Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 9h30
Mesures d'urgence contre la désertification médicale — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

L'extension progressive de leur rôle doit toutefois se faire en étroite articulation avec le corps médical pour offrir aux patients toutes les garanties nécessaires à la sécurité des soins. C'est ce que nous avons commencé à faire avec la possibilité de se faire vacciner contre la grippe en officine. À ce titre, l'article 5, qui prévoit d'expérimenter la prescription de certains médicaments par le pharmacien lui-même, constitue à mon sens une évolution insuffisamment encadrée.

Nous prévoyons, en revanche, ainsi que nous y autorise la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, d'expérimenter rapidement le dispositif de « pharmacien correspondant », qui permettra au pharmacien d'adapter des posologies et de renouveler les traitements de certains patients, sur orientation du médecin traitant. Cette évolution permettra d'éviter des ruptures de soins dans les zones les plus fragiles.

Je partage la volonté qu'exprime votre article 2 de faire des zones sous-denses des territoires d'innovation. Je constate d'ailleurs que c'est très souvent le cas en pratique : c'est dans et à partir de ces territoires fragiles qu'émergent de nouvelles manières d'exercer et de soigner, ainsi que de nouvelles coopérations entre professionnels et avec l'hôpital. Là où les soignants manquent, les concurrences traditionnelles s'estompent, et les acteurs apprennent à travailler ensemble. Ce n'est sans doute pas un hasard si le plus grand nombre de communautés professionnelles territoriales de santé se trouvent dans le Centre-Val de Loire, région qui connaît les difficultés les plus importantes en matière d'accès aux soins. Le ciblage du fonds d'intervention régional – FIR – me semble, en revanche, un levier rigide et partiellement inadapté. Les agences régionales de santé – ARS – prêtent déjà de facto une attention privilégiée à ces territoires, mais elles prennent autant en compte dans leurs décisions, ce qui est normal, la qualité des projets et les dynamiques des acteurs que l'acuité des difficultés rencontrées par les territoires. En outre, tous les usages du FIR n'ont pas vocation à être ciblés sur des zones sous-denses – je pense notamment aux financements dédiés à des projets de prévention de perte d'autonomie des personnes âgées ou de développement de la démocratie sanitaire.

Si je partage ainsi certaines orientations de votre proposition de loi, je suis, en revanche, plus sceptique sur la solution la plus radicale que vous avancez dans l'article 1er. Le conventionnement sélectif peut s'avérer efficace pour toutes les professions à fort dynamisme géographique, comme certaines professions paramédicales, mais il le serait beaucoup moins pour les professions en sous-effectif, comme les médecins. Il ne suffit pas d'avoir une densité médicale supérieure à la moyenne nationale pour être un territoire bien doté en médecins : il sera probablement très difficile de définir de telles zones sur-denses sans créer d'effets pervers importants, et je ne connais pas de zones sur-denses en matière de médecins généralistes aujourd'hui en France. Rien ne garantit, en outre, que les jeunes médecins viendront s'installer dans les territoires les plus en difficulté : ils préféreront probablement, comme nous l'observons pour les infirmières, les territoires les mieux desservis et les plus attractifs qui se situeront juste en dessous du seuil que vous aurez défini.

En regardant ce qu'ont fait nos voisins, notamment européens comme l'Allemagne, on se rend compte que les mesures coercitives d'installation, qui paraissent une idée séduisante sur le papier, n'ont pas amélioré l'accès aux soins pour les populations et ont très souvent eu l'effet inverse. Enfin, et je souhaite particulièrement insister sur ce point, une telle mesure coercitive entraînerait, à coup sûr, la très forte opposition des professionnels, notamment chez les jeunes médecins en formation, au moment même où nous avons besoin de leur engagement pour améliorer concrètement l'accès aux soins des Français. Vous présentez cette mesure comme venant « utilement compléter les dispositifs d'incitation existants » : en réalité, elle priverait très rapidement d'effets la quasi-totalité des dispositifs incitatifs, qui reposent sur la mobilisation des acteurs et des médecins, et sur leur implication dans des projets territoriaux, coordonnés avec d'autres professionnels. Je pense, en particulier, au déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé, qui sont la priorité de la stratégie « Ma santé 2022 » et qui constituent la pierre angulaire du décloisonnement entre la ville et l'hôpital, et entre professionnels, que nous appelons de tous nos voeux.

Vous dites que les mesures incitatives n'ont pas fonctionné, mais elles n'étaient que financières : or le projet que nous allons présenter opère un changement de paradigme, car il vise à rendre du temps médical, à décloisonner les tâches, à coordonner les soins et à impliquer de nouveaux professionnels, comme les infirmières, dans la pratique et le suivi des maladies chroniques.

Nous devons donc renoncer à la tentation d'adopter des mesures coercitives, dont les effets seraient fortement déstabilisants pour notre système de santé. Nous avons choisi de faire confiance aux acteurs et de coconstruire progressivement avec eux, dans le cadre d'une responsabilité territoriale des professionnels de santé, une nouvelle structuration de l'offre de soins dans notre pays. Il est essentiel de ne pas rompre avec cette dynamique émergente, à laquelle tout le monde croit et qui repose sur des changements radicaux d'organisation des soins. Il n'existe pas de solution miracle et simple au problème des déserts médicaux : c'est la raison pour laquelle le plan d'accès aux soins s'appuie sur une multitude d'outils complémentaires, à chaque fois adaptables aux situations et aux spécificités locales.

« Ma santé 2022 », avant le projet de loi à venir, est venue enrichir cette palette avec de nouveaux dispositifs. Je pense au déploiement des assistants médicaux, qui permettra de libérer rapidement du temps médical là où il en manque le plus, et pour lequel les négociations conventionnelles se sont ouvertes ces derniers jours.

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