Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 9h30
Mesures d'urgence contre la désertification médicale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Dans mon département, en 2017, 100 000 habitants se partageaient cinquante-neuf cabinets de généralistes. Imaginez ce qui en résulte en matière de délais d'attente et de risques pour la population, chers collègues !

Un chiffre me glace davantage encore. Dans mon département, vous avez deux fois plus de chances de mourir d'un accident cardiaque qu'à Paris. Deux fois plus ! Je ne doute pas que vous confrontés très nombreux à cette situation, dans vos circonscriptions. En tout, plus de 10 millions de Français doivent subir les conséquences d'un accès limité aux soins.

Nous nous accorderons, je l'espère, sur le caractère tragique du constat, connu et reconnu. Pour notre part, nous refusons de voir les déserts médicaux s'implanter durablement dans le paysage national. Ils ne sont aucunement une fatalité, mais le produit de choix politiques que nous contestons et que vous aggravez, chers collègues de la majorité.

En laissant exploser les écarts de richesse entre métropoles et périphéries et en frappant du sceau de la rentabilité chaque pan de l'action publique, les gouvernements successifs ont ajouté aux inégalités sociales une fracture territoriale en matière d'accès aux soins.

Ces inégalités sont le miroir des décisions prises dans cet hémicycle. Ce sont les économies budgétaires votées ici même qui ont amené les gouvernements à fermer 63 % des maternités entre 1975 et 2014. Ces fermetures sont criminelles.

Pour rappel, le taux de mortalité périnatale passe de 0,64 % à 1,07 % si le temps de trajet du domicile à la maternité excède quarante-cinq minutes. Je vous laisse imaginer, chers collègues, la situation d'une femme sur le point d'accoucher qui doit parfois faire jusqu'à une heure de route pour accéder à la maternité.

Dans le combat contre les déserts médicaux que nous devons mener, la version initiale de la proposition de loi déposée par le groupe socialiste occupe une position qui nous semble un peu confuse.

L'article 1er, consacré au conventionnement sélectif des médecins, a tout notre soutien. Il s'agit d'une mesure juste, que nous avons défendue à plusieurs reprises dans cette assemblée et ailleurs.

Elle consiste à opposer à la liberté d'installation des médecins le respect du droit fondamental à la santé. En l'espèce, nous devons adopter pour valeur cardinale la défense de l'intérêt général. Quel intérêt peut être plus général que l'accès aux soins pour toutes et tous ?

Cette disposition nous semble à même de ralentir l'installation des médecins dans certaines zones où ils sont très nombreux. La sécurité Sociale, usant de son pouvoir de conventionner des médecins, pourrait ainsi agir contre les déserts médicaux.

Une telle disposition est également une réponse à l'échec des très nombreux dispositifs incitatifs existants. Leur liste est longue – vous la connaissez, madame la ministre – : contrat d'aide à l'installation des médecins, contrat de stabilisation et de coordination pour les médecins, contrat de transition pour les médecins, contrat de solidarité territoriale médecin, contrat d'engagement de service public, sans oublier les exonérations fiscales et les aides financières.

L'abondance des dispositifs fait ressortir l'absence de résultats probants. Au demeurant, les études réalisées à leur sujet mettent surtout en avant leur coût prohibitif.

Le conventionnement sélectif des médecins nous semble donc constituer une réponse équilibrée à la désertification médicale. Il s'agit d'une façon d'organiser le territoire. Livrons-nous à une brève comparaison avec les enseignants : on n'imagine pas qu'un enseignant désireux d'enseigner le fasse où il le souhaite, et qu'importe si des élèves n'ont pas de professeur devant eux ! C'est à peu près du même tonneau.

Nous devrions raisonner ainsi et faire en sorte que chacun dispose, partout sur le territoire, d'une offre de soins correcte. Au demeurant, cette disposition fait l'objet de recommandations favorables de la Cour des comptes et du Conseil économique, social et environnemental – CESE. Elle est digne de notre République et de notre modèle social, considéré dans ses facettes les plus progressistes et les plus protectrices.

L'article 1er constitue donc bien une réponse concrète au besoin d'égalité territoriale accrue exprimé par nos concitoyens. Toutefois, cette quête d'égalité territoriale doit avoir son pendant social.

Nous avons donc tenu à rappeler, par le biais de nos amendements, que la désertification médicale n'est pas uniquement spatiale. On l'éprouve sitôt que l'un de nos concitoyens se trouve dans l'incapacité – matérielle ou financière – d'accéder aux soins.

Afin de lutter contre cette médecine à deux vitesses, nous nous sommes donc attachés à défendre résolument le retour du tiers payant et la fin des dépassements d'honoraires. Le non-recours aux droits constitue un échec, et d'abord pour notre État social. Au demeurant, on le constate dans d'autres domaines, comme le prouve l'exemple du RSA, auquel tant de personnes ne recourent pas alors qu'elles le pourraient.

Le non-recours concerne aujourd'hui un quart des assurés sociaux. Nous touchons ici à la frange la plus précarisée de la population, la plus légitime à bénéficier de l'aide de la société. Le retour du tiers-payant doit nous permettre de raccrocher au train de la santé ces personnes que la précarité rend malheureusement invisibles. Les dépassements d'honoraires, en forte augmentation dans certains secteurs, comme celui de la santé bucco-dentaire, constituent aussi une manière d'éloigner les soignés des soignants.

Nous tenons à rééquilibrer ce texte en rappelant que l'éloignement de la médecine du malade ne saurait être envisagé du seul point de vue géographique. Nous lançons un appel à la vigilance, à laquelle nous invitait Ambroise Croizat : celui qui fut à l'initiative de notre sécurité sociale nous rappelle de « ne jamais parler d'acquis sociaux mais de conquis sociaux » – nuance de grande importance.

Si l'article premier de la proposition de loi nous semble pertinent, les articles qui suivent montrent la nécessité de cette vigilance, car ils sont d'une tout autre teneur.

L'article 5 se révèle en l'espèce particulièrement douteux : il s'agit d'autoriser les pharmaciens à délivrer des médicaments pour lesquels une prescription est obligatoire. La mesure est présentée comme une expérimentation, certes, mais elle entérine un recul : se passer du médecin pour prendre des médicaments. De plus, il faut rappeler que le pharmacien a un intérêt économique à vendre. Donner aux pharmaciens la possibilité de délivrer des médicaments sous prescription, c'est revoir nos normes à la baisse et fragiliser l'ensemble du parcours médical.

De la même manière que le Gouvernement entend répondre à la désertification en déléguant plus de tâches aux infirmières et en développant le télétravail, la proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés est ici l'avatar d'un néolibéralisme qui entend guérir une blessure avec un sparadrap contaminé.

Répétons-le : nous n'avons pas un problème d'accès aux médicaments, mais bien un problème d'accès aux soins. Nous ne résoudrons certainement pas la crise de la désertification médicale par l'automédication, ni par la banalisation des antidouleurs, mais bien par une réhabilitation des lieux de soins et des soignants – en particulier dans notre monde où les réseaux sociaux délivrent des informations nombreuses, mais pas toujours d'une nature très scientifique.

La prescription n'est pas un acte médical anodin, au contraire. Signe qu'un diagnostic a été établi, elle doit rester l'apanage d'un praticien habilité à effectuer un examen médical. Attaquer la légitimité du médecin en la réduisant, c'est ouvrir la porte à de nombreux abus qui, loin de résoudre le problème de la désertification médicale, vont au contraire l'accentuer. Le message, bien que souvent répété, ne semble pas retenu : les antibiotiques, comme on dit, ce n'est pas automatique.

Les ambiguïtés de cette dernière proposition, en particulier, nous empêchent d'approuver l'esprit de ce texte. S'il n'évolue pas, nous nous abstiendrons.

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