Intervention de Jean-Carles Grelier

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 15h00
Mesures d'urgence contre la désertification médicale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Carles Grelier :

Dans une récente allocution, vous avez reconnu et admis, madame la ministre, que les remèdes que vous avez commencé à administrer sont, sinon trop lents, à tout le moins trop tardifs. Je ne peux malheureusement qu'approuver cette soudaine prise de conscience, moi qui, depuis près de vingt mois, à coup de livre blanc, de propositions de loi et de discours et interventions, n'ai cessé de vous inviter à agir. Et à agir vite, tant les dysfonctionnements de notre système de santé sont criants ! Tant de nos compatriotes sont, chaque jour, un peu plus inquiets et angoissés à l'idée de ne plus trouver de médecins pour les soigner, eux, leurs enfants ou leurs parents âgés.

Dans quelques semaines, nous examinerons votre projet de loi issu du plan « ma santé 2022 ». Il aura donc fallu presque deux années pour qu'enfin le Gouvernement se saisisse de cette question primordiale qu'est la santé de proximité. Et encore, dire que nous examinerons votre projet de loi n'est qu'une figure de style, puisqu'une partie importante du texte échappera aux débats parlementaires pour être adoptée par voie d'ordonnances, au nom d'une urgence tout juste risible deux ans après votre entrée en fonction.

Pourtant, votre majorité n'a manqué ni d'occasions, ni de propositions pour accélérer le rythme des décisions. À peu près tous les groupes d'opposition ont déposé des propositions de loi. Le groupe Les Républicains n'a pas manqué de vous soumettre la sienne, avec, pour notre santé, une proposition que, immodestement sans doute, je juge complet et cohérent.

Las ! Chaque fois, votre majorité, comme cela a été le cas ce matin sur un autre texte, a usé d'artifices de procédure pour rejeter ces textes, sans même consentir à les examiner. Sans doute consentez-vous, la crise des gilets jaunes étant sans doute passée par là, dans un esprit d'ouverture sans bornes, que nous examinions aujourd'hui la proposition de notre collègue Guillaume Garot, ou ce qu'il en reste après que la majorité l'a vidée de sa substance.

Je veux saluer M. le rapporteur, et le remercier d'avoir, une fois de plus, contraint le Gouvernement et la majorité à nous dire, comme vous l'avez fait madame la ministre, qu'il est bien trop tôt pour traiter de la démographie médicale, que le Gouvernement s'en est préoccupé bien avant nous, et que le plan « ma santé 2022 » viendra, prochainement, tout régler. Une nouvelle fois, les Français des villes et des campagnes, des ronds-points et d'ailleurs, sauront apprécier.

Mais, n'ayant rien du prophète Jérémie, je vais cesser ici mes récriminations et me consacrer à l'examen du texte. Dans les prochaines semaines et les prochains mois, j'aurai l'occasion de dire, et même d'écrire, ce que m'inspire tant de désinvolture dans la gestion de notre système de santé, dont je ne dis même plus qu'il va dans le mur, puisqu'à l'évidence il y est déjà !

Si je partage, monsieur le rapporteur, votre souci d'apporter une solution aux nombreuses questions que laisse pendantes la démographie médicale, si je mesure la force de votre engagement sur cette question – dont parlent pour vous vos expérimentations mayennaises – je ne puis, cependant, vous rejoindre sur les solutions proposées, dont certaines me paraissent pires que le mal.

Certes, je vous en donne acte bien volontiers, vous avez veillé à la sémantique : jamais les mots « contrainte » ou « coercition » n'apparaissent dans votre texte. Pourtant, votre proposition de conventionnement sélectif s'apparente bien à cela. Je ne crois pas que ce soit un bon signal à envoyer aux futurs médecins, ni même un message honnête à l'adresse de nos concitoyens.

Car, enfin, remettre cette contrainte, qui ne dit pas son nom, sur la table, alors qu'elle a été très largement rejetée par les majorités successives, alors que les étudiants et les professionnels eux-mêmes n'en veulent pas, cela ne s'apparente-t-il pas à une petite manoeuvre, à un coup médiatique ? Monsieur le rapporteur, les manifestations que connaît notre pays depuis quelques semaines sont la démonstration qu'il n'est de réforme efficace qui ne reçoive le soutien de ceux qu'elle concerne. Réformer les règles d'installation des médecins contre les médecins eux-mêmes est, au mieux une maladresse, au pire une faute grave. Votre proposition, fut-elle douce à entendre par quelques-uns, jusque sur tous les bancs mayennais, n'est pas à la hauteur de l'enjeu et, pour tout dire, est irresponsable dans les conséquences qu'elle ne manquerait pas d'entraîner.

Je mesure bien l'abîme d'effronterie dans lequel je fonds depuis le début de mon mandat. Imaginez : je ne suis pas médecin, pas même professionnel de santé ; je ne suis que le petit élu d'un petit territoire, et je me targue néanmoins de parler de santé ! Mais, dans l'exercice de mes mandats locaux, comme dans toutes les rencontres que j'ai depuis des mois, je suis arrivé à la conclusion simple que la santé est, pour bon nombre de nos concitoyens, un sujet prioritaire et que les dogmes habituels qu'on applique à la santé depuis quarante ans ne suffiront plus à sauver le système.

Nous partageons tous le même constat. Sur ces bancs, nous cherchons tous des solutions. Pourtant, PLFSS après PLFSS, on continue de faire comme avant. Imaginer qu'on pourrait administrer l'installation des professionnels libéraux relève de cette même logique mortifère. Sans doute vaudrait-il mieux regarder pourquoi, dans les cohortes d'étudiants en médecine, si peu avouent être tentés par la médecine générale.

À force de sélectionner les meilleurs parmi les meilleurs à l'entrée dans les facultés de médecine, l'on a peut-être assuré le devenir des disciplines à forte valeur scientifique ajoutée, assuré le devenir de la recherche hospitalière. Mais depuis quand s'est-on posé la question de savoir si ces profils correspondaient à la médecine de famille, comme elle était joliment appelée jadis ? Trop souvent, on continue d'entendre, ici ou là sur les bancs – il est vrai de plus en plus clairsemés – des facultés de médecine, que la médecine générale est la filière de ceux qui ne réussissent pas. Qui, depuis longtemps, s'est penché sur le cursus des études médicales et sur la façon dont on choisit – ou pas – sa spécialité ?

Aux épreuves classantes nationales de 2016, 3 500 places étaient à pourvoir en médecine générale. Or seules 3 200 places ont été pourvues et, sur ces 3 200 étudiants, seuls 1 500 ont reconnu avoir expressément fait le choix de la médecine générale. Nous ne retrouverons jamais en médecine générale les 1 700 autres, qui disparaîtront dans les services de médecine interne des hôpitaux. Qui l'a dit, en 2016, monsieur le ministre Garot ? Qui s'en est soucié ? Or, voyez-vous, monsieur le rapporteur, même en créant toutes les contraintes conventionnelles du monde, tant qu'il n'y aura pas plus de candidats pour la médecine générale, les cabinets de nos villes et de nos villages continueront à fermer, inexorablement.

Que dire également de la pratique des stages qui confinent les étudiants en médecine à l'intérieur des murs de l'hôpital public. Qui parle des 15 000 places vacantes de maître de stage et des difficultés à en recruter, quand on ne sait pas même les rémunérer ? Dès lors, comment s'étonner qu'un jeune médecin généraliste fraîchement diplômé, qui a passé neuf années et demi d'étude sur dix dans le giron de l'hôpital public, n'ait pas envie d'y demeurer au moment de faire un choix professionnel ? L'hôpital est devenu le premier concurrent de la médecine de ville. Et cela ne semble pas choquer grand monde dans le pays.

Il faut dire qu'il offre tout ce qu'attendent les nouveaux professionnels de santé : la sécurité et le confort de la pluridisciplinarité, la possibilité de se partager entre vie professionnelle et vie de famille, en choisissant le temps partiel au moins pour une partie de sa carrière, des rémunérations qui soutiennent plutôt bien la comparaison avec le secteur libéral. Que demander de plus ? Or, monsieur le rapporteur, si votre proposition était adoptée, elle serait une incitation supplémentaire faite aux étudiants à rester à l'hôpital, où, finalement, les contraintes qui pèsent sur le praticien sont moins fortes qu'en ville.

J'ajoute, ayant lu dans le plan « ma santé 2022 », que le concours de praticien hospitalier pourrait être supprimé, qu'il n'y aura plus aucune raison, ni aucun obstacle, à ce que les étudiants en médecine demeurent à l'hôpital. Mais peut-être est-ce un choix ? Peut-être est-ce la finalité de la réforme, en parfaite conformité avec la doctrine historique du ministère de la santé, c'est-à-dire « par et pour l'hôpital public » ? On est en droit, au regard du traitement qui est fait depuis des années aux professionnels libéraux, de se poser la question.

Faute de vous être posé toutes ces questions – dont je ne prétends pas qu'elles puissent trouver facilement réponse – , faute d'avoir considéré la partie invisible de l'iceberg, et finalement d'en être resté à l'écume des choses, votre texte ne peut apporter remède à la démographie médicale, à l'attente de nos concitoyens de pouvoir, au plus près de chez eux et dans le temps le plus court, être pris en charge par un professionnel de santé. C'est là en effet, et là seulement, que réside le véritable enjeu de toute réforme.

Enfin, je m'étonne que le groupe Socialistes et apparentés n'ait pas mesuré le risque que sa proposition conforte l'existence d'une médecine à deux vitesses. Car, pour les médecins qui n'auraient pas préféré rester à l'hôpital, votre solution offre encore la possibilité de renoncer au conventionnement et, partant, de proposer aux patients des tarifs forcément sélectifs.

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