Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 21h30
Fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Je vous remercie d'appeler mon attention sur ce sujet sensible, éminemment complexe, car je sais toute la souffrance des victimes de produits phytopharmaceutiques. Par cette proposition de loi, vous nous interrogez directement sur la juste indemnisation des personnes atteintes de pathologies, souvent graves, liées à l'exposition aux produits pharmaceutiques.

Ce sujet est difficile. Il convient d'être juste et attentif à la souffrance des victimes. Il convient aussi d'être responsable, en mettant en place un dispositif d'indemnisation cohérent avec les connaissances scientifiques, mais également en lien avec les voies d'indemnisation déjà existantes, en particulier dans le cadre des accidents du travail et des maladies professionnelles – AT-MP.

Je tiens par ailleurs à vous assurer de l'engagement du Gouvernement sur le sujet de l'amélioration de l'indemnisation des victimes professionnelles. Nous avons saisi deux agences d'expertise, l'INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale – et l'ANSES – Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – , pour actualiser les connaissances scientifiques afin de pallier les insuffisances actuelles des tableaux de maladies professionnelles, lesquels facilitent la reconnaissance de ces dernières. En outre, nous avons demandé à ces deux instances de prioriser leurs travaux sur le chlordécone, afin de faire évoluer plus rapidement les possibilités de reconnaissance si les connaissances scientifiques le justifient.

Même avec ces travaux et ces perspectives, qui traduisent notre volonté de venir en aide aux victimes, je suis consciente que le système d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles présente des limites pour les produits phytopharmaceutiques, car il ne permet pas à tous les travailleurs concernés d'être indemnisés de manière équitable.

En cela, je rejoins votre conviction selon laquelle ces limites pourraient justifier la création d'un fonds d'indemnisation.

La première de ces limites tient à la difficulté de reconnaître les maladies professionnelles lorsqu'elles n'entrent pas dans les conditions fixées par les tableaux dévolus à cette fin. Cette procédure, longue et hétérogène selon les régions, empêche un traitement équitable des victimes.

La deuxième limite réside dans le fait que certains professionnels ne sont aujourd'hui pas indemnisables au titre de la branche AT-MP. Je pense en particulier aux travailleurs dont la pathologie s'est déclarée au moment de la retraite ou encore aux conjoints ayant déclaré une maladie antérieurement à la création du statut de conjoint collaborateur, en 2005. Les enfants exposés en phase prénatale en raison de l'exposition professionnelle de leurs parents ne sont pas non plus pris en charge, alors que l'expertise collective de l'INSERM fait état d'une présomption forte pour certaines pathologies.

Troisième limite, alors que ces pathologies concernent en majorité les exploitants agricoles, ceux-ci ont un niveau d'indemnisation plus faible que celui des salariés.

Forts de ces constats, l'IGF, l'IGAS et le CGAAER – l'inspection générale des affaires sociales, l'inspection générale des finances et le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux – ont remis, en janvier 2018, un rapport selon lequel « la création par la loi d'un fonds d'indemnisation peut être une réponse pertinente aux limites actuelles à l'indemnisation ». Je partage tout à la fois les conclusions de ce rapport et l'ambition de votre proposition de loi.

Cependant, je le répète, le sujet est éminemment complexe, tant sur le plan scientifique que sur le plan juridique ou financier. C'est la raison pour laquelle vous aviez voté, dans le cadre de la loi dite « EGAlim », relative à l'agriculture et à l'alimentation, un amendement tendant à ce que le Gouvernement remette au Parlement, d'ici au 30 avril prochain, un rapport sur le financement et les modalités de création d'un tel fonds. Ce délai nous semblait nécessaire pour instruire le sujet de manière exhaustive.

Vous souhaitez discuter de la création du fonds dès maintenant, et je l'entends. Je souhaite d'abord préciser qu'en l'état, la totalité des sujets ne pourront pas être réglés, faute d'expertise suffisante, mais il s'agit aujourd'hui d'acter de grands principes et d'améliorer les dispositifs existants.

Le fonds ainsi créé devra permettre de tenir compte des limites que nous avons identifiées et qui font l'objet, je crois, d'un diagnostic partagé. C'est en tout cas l'esprit du texte issu de la commission des affaires sociales. Je proposerai de l'adapter en séance, pour que le fonds puisse véritablement atteindre ce que je considère comme ses trois objectifs principaux : faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles des personnes concernées en rendant la procédure plus simple, plus rapide et plus juste ; indemniser plus équitablement les victimes professionnelles – l'indemnisation des exploitants agricoles, en particulier, est faible, et le fonds permettra d'y apporter un complément visant à l'aligner sur celle des salariés – ; enfin et surtout, indemniser les victimes qui n'ont actuellement pas droit à une indemnisation bien que leur pathologie soit liée à une exposition professionnelle, singulièrement les retraités et les enfants.

En revanche, certains des amendements qui ont été déposés me semblent poser des problèmes de principe ; ils feront donc l'objet d'un avis défavorable du Gouvernement.

C'est le cas d'abord de la réintégration des expositions environnementales dans le périmètre du fonds, dont elles avaient été exclues à juste titre en commission des affaires sociales, la mesure ne s'appuyant sur aucun rationnel scientifique. Je le rappelle, en la matière, la raison doit guider notre action.

Il s'agit ensuite de la réparation intégrale des victimes professionnelles, qui serait inéquitable vis-à-vis des autres victimes d'accidents du travail. En effet, il n'apparaît pas justifié d'indemniser intégralement les maladies professionnelles liées aux produits phytopharmaceutiques tandis que d'autres cancers professionnels ne sont indemnisés que de manière forfaitaire. Dès lors, l'indemnisation intégrale dans le cas de ces produits pourrait conduire à ouvrir le dossier pour l'ensemble des AT-MP et mettre ainsi en danger les fondements de la branche – une réparation forfaitaire en contrepartie d'une reconnaissance facilitée. Ce serait très dommageable pour le système de reconnaissance des AT-MP, qui a prouvé son efficacité depuis plus de cent ans. Par ailleurs, la réparation intégrale pose la question de la responsabilité alors que, dans le cas précis des produits phytopharmaceutiques, les responsabilités sont multiples et difficiles à établir.

Certains comparent cette affaire à celle de l'amiante ; elle est pourtant très différente. Je rappelle ainsi que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a été instauré après l'interdiction de l'amiante et dans un contexte où l'on considérait l'État comme responsable des dommages encourus, alors que la plupart des produits phytopharmaceutiques sont toujours autorisés à la vente.

Si je partage donc vos constats et les objectifs de votre proposition de loi, je suis également lucide quant aux questions qui demeurent et qu'il nous faut approfondir pour pouvoir créer un fonds.

Je pense en particulier au financement, qui appellera une expertise complémentaire ; il devra être cohérent avec l'objet du fonds, et ses implications sur le pouvoir d'achat des exploitants agricoles devront être précisément analysées.

Je songe aussi à tous les éléments relatifs à la procédure et aux modalités de fonctionnement du fonds ; ils pourront être déterminés par décret en Conseil d'État. Un amendement vous sera simplement proposé en vue de rétablir les dispositions relatives à la prescription, qui relèvent de la loi.

Si certaines questions de méthode méritent d'être approfondies, nous avons l'ambition commune d'apporter des réponses concrètes et proportionnées à la souffrance des victimes des produits phytosanitaires. Je compte donc sur l'esprit de responsabilité de chacun pour trouver les équilibres nécessaires et, ce faisant, pour concilier la justice et la justesse.

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