Intervention de Alain Ramadier

Séance en hémicycle du mardi 5 février 2019 à 21h30
Débat sur l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en seine-saint-denis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Ramadier :

Je tiens tout d'abord à saluer la présence dans les tribunes du premier vice-président du Sénat, M. Philippe Dallier, et du président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, M. Stéphane Troussel. Je veux aussi remercier chaleureusement nos collègues François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo pour leur travail.

C'est la première fois dans l'histoire parlementaire qu'une mission d'évaluation porte sur un territoire donné et que des faits et des chiffres sont ainsi notifiés en vue de décrire une réalité que l'on a trop longtemps occultée, faute d'avoir adopté la bonne grille de lecture. En effet – je vais peut-être vous surprendre – , je ne pense pas, moi non plus, que tout soit une question de moyens. Les moyens ne sont jamais que la conclusion logique d'une réflexion, l'aboutissement d'une vision – ou d'une absence de vision. En ce qui concerne le sujet dont nous discutons ce soir, le manque de moyens est le produit d'une idée fausse, mais répandue : celle selon laquelle l'État serait, au fond, un problème ou une solution.

Madame, messieurs les membres du Gouvernement, ce soir, c'est un élu de la Seine-Saint-Denis qui monte à la tribune s'exprimer devant vous, un élu armé de la conviction que si l'État ne peut pas tout, il peut beaucoup, s'agissant des missions qui fondent sa raison d'être. L'efficacité, dont se réclame votre Gouvernement, implique des résultats et une évaluation de ceux-ci. La chose est tout autre lorsqu'il s'agit d'obligations : les obligations ne se notent pas, elles ne peuvent être reportées ; elles existent ou n'existent pas, elles sont respectées ou ne le sont pas.

En matière d'obligations, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'aujourd'hui comme hier, l'État a failli en Seine-Saint-Denis. L'élu qui vous parle ce soir, madame et messieurs les membres du Gouvernement, est élu de la ville d'Aulnay-sous-Bois depuis plus de trente ans ; c'est un élu qui a grandi en Seine-Saint-Denis, qui aime son département et qui a vécu en première ligne les évolutions qui ont traversé celui-ci. Ce soir, je formule le voeu que de notre débat jaillisse une conviction simple, qui transcende les clivages inutiles : l'État, s'agissant de ses missions régaliennes que sont l'éducation, la police et la justice, doit d'urgence regagner du terrain. Mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, votre responsabilité est immense. Ne remettez pas au lendemain ce que pouvez faire aujourd'hui.

Quand l'État recule, le cadre de vie de nos concitoyens se dégrade, les repères moraux se perdent, l'autorité se délite, la cohésion s'effrite, laissant place, non pas à l'anarchie, mais à un nouvel ordre, un contre-ordre. Comme le disait Pascal : « La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique. [… ] Il faut donc mettre ensemble la justice et la force. » L'État est garant de cette association du juste et du fort, de cet équilibre qui permet aux plus faibles, à ceux qui n'aspirent qu'à vivre dignement de leur travail, de ne jamais être soumis au règne du plus fort. Lorsque l'État recule, lorsque la justice renonce à condamner ou ne le fait que tardivement, faute de moyens, lorsque l'impunité s'installe, le sentiment d'inutilité de nos forces de l'ordre s'accroît, le bien-être des enseignants et de l'immense majorité des élèves qui travaillent et veulent réussir est fragilisé et se transforme en un poison mortel : la méfiance – cette méfiance qui rompt la fraternité entre les hommes, conteste la concorde entre les citoyens et leurs institutions.

Les effets directs du délitement engendré par le recul historique de l'État sont nombreux, mais ils peuvent être résumés de la manière suivante : la chaîne pénale, avec les missions de police – investigation, interpellation, lutte contre la délinquance – , de renseignement – collecte, analyse, action – et de justice – répression, réparation, réhabilitation – , est aujourd'hui à bout de souffle. Comme le précisent nos collègues dans leur rapport, au tribunal d'instance d'Aubervilliers, le délai avant l'audience est de douze mois, contre deux à Paris. Est-ce normal ? Aux tribunaux de Bobigny et de Saint-Denis, les délais sont un peu plus courts, mais ils restent largement supérieurs à la moyenne nationale. Au tribunal pour enfants de Bobigny, la plupart des jugements ne sont pas signifiés tout de suite ; dans certaines affaires, la signification peut prendre jusqu'à un an, voire deux. La procureure de Bobigny dit que 418 dossiers d'instruction stagnent dans les rayons, sans réelle perspective, ni à court terme ni à moyen terme, faute de crédits. La charge de travail pesant sur le tribunal impose aux magistrats d'établir des priorités dans les affaires à traiter. Chaque année, des centaines de procédures sont classées, faute de magistrats pour les traiter. Les instructions d'affaires de trafic de stupéfiants ne sont engagées que lorsqu'il y a de fortes chances de faire tomber des trafics importants. Est-ce tenable ? Est-ce seulement vivable ?

À l'école, les services des communes de Seine-Saint-Denis observent un délitement de l'institution éducative du fait du départ des professeurs expérimentés vers des contrées moins difficiles et du fait de l'absentéisme important. Les efforts des communes et des élus locaux pour maintenir tant bien que mal une instruction de qualité sont pourtant importants. Je pense notamment aux programmes municipaux d'aide aux devoirs ou aux journées d'échanges avec nos forces de l'ordre, qui touchent des milliers de jeunes. Je salue votre action, monsieur le ministre de l'éducation, en matière de dédoublement des classes ; cela a apporté un plus. Toutefois, cela suppose des locaux et des financements.

Tous ces efforts, madame, messieurs les membres du Gouvernement, je vous le dis en ma qualité de député de Seine-Saint-Denis et de président des centres sociaux de ma ville, ne suffisent pas. Ils ne suffisent pas, car ils sont ruinés dans l'heure par le contre-ordre des trafiquants, qui détournent nos jeunes de l'école. Et ils resteront vains si la délinquance, faute d'être fermement et justement punie, continue de ruiner l'image de ces quartiers prioritaires où tant de jeunes ne demandent nullement des aides, mais aspirent simplement à un cadre de vie prospère et serein.

Or les forces de police nationale n'ayant plus les capacités humaines et matérielles suffisantes pour répondre à leurs missions, elles se déchargent souvent sur la police municipale. Dans ma ville, à Aulnay-sous-Bois, le maire a décidé de participer à l'équipement de la police nationale : du matériel numérique, du matériel de défense et d'équipement, du mobilier et même quatre véhicules ont été fournis par la commune aux policiers nationaux afin d'aider ceux-ci à accomplir leur mission de service public. C'est le monde à l'envers !

En outre, le traitement de l'occupation illégale, que ce soit dans les squats ou dans l'espace public, manque de précision dans notre droit. Les guetteurs sont toujours présents aux quatre coins des résidences dans les quartiers prioritaires, ce qui gêne les visites des candidats locataires.

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