Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du mercredi 6 février 2019 à 21h30
Débat sur les avantages fiscaux donnés aux français les plus aisés depuis 2017

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Alors qu'une crise sociale sans précédent secoue notre pays, il est de bon ton, dans la majorité, de ne pas se laisser aller à des passions tristes, à jouer les inutiles Cassandre en maugréant contre l'injustice fiscale ou les inégalités sociales. Vous avez raison ! Votre politique profite à certains – très peu de monde en vérité, mais qui gagnent déjà beaucoup et gagneront davantage encore demain.

Si le pouvoir d'achat des Français se réduit comme peau de chagrin, celui des très riches se porte bien : le revenu disponible des 0,1 % des plus aisés parmi nos compatriotes a explosé de plus de 17 % depuis que Jupiter est au Capitole.

Prenons l'un de ces Français les plus fortunés. Appelons-le Jean-Eudes, par pure commodité. Harassé par son travail de PDG d'une grosse multinationale, Jean-Eudes, en lisant les pages saumon de son Figaro du matin, peut néanmoins trouver quelques motifs de réconfort : son Président entend bien mettre au pas ces « Gaulois réfractaires » en « transformant » notre économie pour « encourager la richesse ».

Mais Jean-Eudes ne vit pas que de bonnes paroles : il attend des actes forts. C'est bien le premier électeur qui ne sera pas déçu par son vote : pour sa personne, suppression de l'ISF et flat tax : pour son entreprise, maintien puis pérennisation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, à travers la baisse des cotisations sociales, de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur les dividendes.

Il n'est pas jusqu'à son cousin Hippolyte, trader à la City de Londres, qui ne bénéficie pas d'une petite faveur avec le gel de ses cotisations retraite, histoire de l'inciter à passer la Manche pour boursicoter sous les auspices de notre beau drapeau tricolore. Cet ensemble de mesures coûte déjà plus de 80 milliards à l'État français, c'est-à-dire au contribuable.

Pourtant Jean-Eudes – toujours si prompt à fustiger le poids écrasant de notre dette publique – n'en a cure, de ces moindres recettes : pour lui, qui fait partie des 30 000 ménages les plus fortunés, les gains supplémentaires iront d'une petite trentaine à plusieurs centaines de milliers d'euros chaque année. De quoi investir dans l'économie productive ? Embaucher des salariés ? Investir dans la transition écologique ? Non ! Avec cette somme soustraite à notre richesse nationale, Jean-Eudes pourra éventuellement se permettre des voyages supplémentaires, et ne tardera pas élargir son portefeuille d'actions. Fera-t-il oeuvre de mécène philanthrope ? C'est peu probable : avec la suppression de l'ISF, le voilà moins incité à défiscaliser une partie de ses revenus par des dons, la nouvelle assiette de l'IFI étant beaucoup plus restreinte.

Ce que je viens de mettre en scène vous semblera sans doute une plaisante caricature : cela reflète pourtant assez fidèlement l'état d'esprit d'un excellent article du Monde que je vous invite à lire, intitulé : « Ce que les très riches disent des gilets jaunes ». Dans cet article, ils ne s'appellent pas Jean-Eudes, mais Patrick ou Grégoire, et ils sont entrepreneurs, promoteurs immobiliers ou PDG de boîtes qui comptent plusieurs milliers de salariés. Ils sont unanimes à penser que la politique du Gouvernement, si elle leur est agréable et profitable, ne sera pas de nature à favoriser l'investissement.

Ainsi, Édouard, 51 ans, à la tête d'un fonds d'investissement, ne s'en cache pas, avouant : « Je n'ai rien investi, ni embauché personne grâce à l'argent conservé ». Un autre entrepreneur à succès s'est offert « plus de voyages en famille » avec les 50 000 euros qu'il a pu dégager. Un autre précise que « ce qui est laissé à la main des riches ne sera réinvesti qu'à la marge ». Enfin, un dernier confesse candidement avoir été « peut-être un peu trop gâté » par les « cadeaux accordés aux entreprises sans contrepartie » – sans doute pense-t-il au CICE, un dispositif relevant à la fois de la forfaiture morale et de l'hérésie économique, et qui aura coûté à lui seul près de 90 milliards d'euros à la collectivité depuis sa mise en place sous François Hollande, soit presque le double du budget de l'éducation nationale !

Autre marqueur de votre politique budgétaire : l'allégement prévu de la fiscalité pesant sur les entreprises, représentant un manque à gagner de 14 milliards d'euros pour les recettes de l'État. C'est encore une fiscalité à géométrie variable, faible avec les forts et forte avec les faibles, qui se dessine : selon Bercy, près de la moitié de cet allégement de la fiscalité sera captée par les grosses entreprises, au détriment de nos PME et de nos TPE.

Si nos Jean-Eudes, Patrick, Édouard et compagnie s'inquiètent de l'inexpérience du Président pour faire admettre cette injustice fiscale, que dire de la majorité des Français qui en pâtissent ? Car les efforts, les sacrifices à consentir pour éponger ces cadeaux aux riches, c'est aux retraités, aux fonctionnaires, aux jeunes et aux bénéficiaires des minima sociaux de les supporter. Et à eux encore de subir la casse de nos services publics, de nos hôpitaux, de nos écoles – une casse qui résulte de votre obsession à réduire les dépenses publiques. Dans ce contexte, j'affirme que cette politique doit cesser, et je m'associerai volontiers à la conclusion récemment exprimée par le penseur Frédéric Lordon en disant, moi aussi, que « maintenant, il faut qu'il parte ».

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