Intervention de Stéphane François

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 11h55
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Stéphane François :

Aux États-Unis coexistent les suprémacistes blancs, pour lesquels la race blanche est supérieure aux autres, et un autre courant différentialiste également issu du néo-nazisme. Dans cette idéologie, on ne cherche pas à prouver que l'on est supérieur ; simplement, on s'en va vivre au fin fond des montagnes les plus reculées, on crée une communauté blanche, on vit entre chrétiens, païens ou pagano-chrétiens et, surtout, on fait tout pour pas se mélanger. C'est le séparatisme racial, et c'est un discours totalement survivaliste. C'est une composante très importante aujourd'hui parce que les tenants de ces thèses ayant non seulement peur que l'on soit entré dans une guerre ethnique mais aussi de l'effondrement civilisationnel et écologique, ils se renferment, à la Mad Max.

Je confirme qu'il n'y a pas de spécialistes de l'extrême-droite payés par l'Université française. J'avais moi-même un contrat de cinq ans à l'Université, je devais être recruté, et l'on m'a clairement indiqué que l'on ne me garderait pas en raison de mes sujets de recherche. L'hémiplégie intellectuelle de ce milieu est assez catastrophique.

L'un des points de convergence entre les extrêmes droites survivalistes et certains milieux zadistes, c'est l'écologie. Il existe des convergences intellectuelles et parfois idéologiques entre une frange conservatrice de l'écologie politique qui n'est pas consciente de tenir des discours réactionnaires et, de l'autre côté, des gens qui récupèrent certaines références et diffusent leurs thématiques réactionnaires assumées dans des milieux écologistes. On a eu en France des cas intéressants dans les années 1990-2000, quand des militants écologistes dirigeaient des collections éditoriales chez des éditeurs écologistes ouvertement d'extrême droite – tels Laurent Ozon, encarté chez Waechter et qui était l'une des figures du discours identitaire le plus radical en France. Il y a aussi le discours du Mouvement d'action sociale (MAS), un discours fasciste de gauche qui provient de Nouvelle Résistance, groupuscule qui, dans les années 1990, voulait se rapprocher d'une frange gauche radicale, notamment les milieux écologistes ; ils l'ont tenté et cela n'a pas marché – cela ne marche jamais –.

Mais il y a une volonté d'ouverture. Voyez la revue conservatrice Limite : s'y mêlent des éléments conservateurs, voire très conservateurs, et des militants de gauche, qui traitent de l'écologie et de l'anti-modernisme. C'est une autre notion très importante que le rejet de l'idéologie du progrès : puisque, quoi que l'on fasse, cela nous amènera de toute façon une catastrophe, on tourne le dos au progrès. C'est stupide, mais c'est un autre débat.

La perméabilité est souhaitée pour banaliser des thématiques, mais il est difficile de parler de perméabilité entre gauche et droite. Ce sont plutôt des gens de droite qui récupèrent une culture de gauche, ou des gens de gauche qui basculent à droite sans vouloir le reconnaître. Je déteste le terme « confusionnisme » : il n'y a pas de confusion mais une stratégie d'évitement pour les uns, de manipulation pour les autres.

Partageant le point de vue de Nicolas Lebourg sur l'arsenal juridique, je ne reviendrai pas sur ce sujet.

Pour ce qui est de la relation entre AFO et l'OAS, j'ai étudié longtemps une librairie en ligne aux thématiques intéressantes. On y trouvait des livres sur l'OAS ; ils étaient plutôt destinés à un lectorat âgé qui a connu la guerre d'Algérie. Chez les jeunes, ces idées sont plutôt du passé, parce qu'une bonne partie de la jeunesse militante radicale se place sur le créneau ethno-différentialiste – chacun chez soi, Dieu pour tous et surtout pas de métissage. Ce site nationaliste révolutionnaire proposait peu de livres sur la geste de l'OAS mais beaucoup d'ouvrages sur la libération nationale. Des livres de militants anticolonialistes ou décolonialistes sont cités et vendus, car la logique de ces éléments radicaux, c'est qu'il faut se débarrasser du « système », entendez l'axe américano-sioniste, avec une Europe indépendante des deux blocs, et surtout des États-Unis et d'Israël. En résumé, le rapport à l'OAS est toujours très bizarre et dépend des milieux et des tranches d'âge.

Dans le GUD de deuxième génération, celui des années 1980, qui scandait « À Paris comme à Gaza, intifada ! », le discours était certes fasciste pour certains mais pour d'autres il était ouvertement néo-nazi. C'était l'expression de la vieille alliance nationaliste révolutionnaire et même nazie avec le monde arabe contre Israël et ses alliés. Le discours était donc à la fois nationaliste révolutionnaire et néonazi. Le Bastion social est issu de cette matrice fasciste et néofasciste, influencée par la République de Salo, sociale, très violente et antisémite. Pour le Bastion social, c'est le côté contre-culturel qui est très important et doit être pris en compte : ils ont copié les Italiens de CasaPound avec des groupes de rock, ils ont un côté sympathique et la volonté d'attirer des jeunes. L'aspect social de leur action est sincère, mais pour « les nôtres », pas pour « les autres », selon le slogan identitaire.

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