Intervention de Gilles Andréani

Réunion du mardi 29 janvier 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes :

S'agissant des travaux menés au sein des juridictions françaises à l'échelon local, nous les avons analysés en détail, ils sont tout à fait pertinents. Ils pourraient être versés au travail national qui est actuellement suspendu et dont nous appelons de nos voeux la reprise.

S'agissant du dialogue budgétaire, et de la construction du budget au sein du ministère de la justice, nous faisons trois propositions visant à améliorer le dialogue budgétaire au sein du ministère. D'abord, avancer le calendrier de la construction budgétaire pour faire remonter les besoins des cours d'appel. Ensuite, harmoniser les dates et limiter le nombre de mouvements de magistrats à deux par an – nous répondons-là à l'excessive mobilité encouragée par le système, avec l'obligation de réaliser deux changements quatre ans après l'arrivée pour faire carrière. Enfin, dans ce dialogue budgétaire, il manque un affichage des critères d'allocation des moyens. La circulaire de localisation des effectifs n'est pas compréhensible pour les premiers intéressés – les chefs de cour –, les critères n'étant pas explicitement affichés.

Madame Louwagie, s'agissant de la conduite des projets informatiques au sein du ministère, la question des appels d'offres, de la qualité de la gestion des grands projets, de la passation des contrats, concerne essentiellement Cassiopée et Portalis, PHAROS et OUTILGREF ne sont pas du même ordre.

La question de M. Laqhila est importante. L'objectivation d'une norme d'activité des magistrats ne risque-t-elle pas d'être une atteinte à leur indépendance ? Je ne peux que répéter ce que j'ai dit à propos du système allemand : c'est la mesure individuelle du travail réalisé annuellement par les magistrats qui permet leur affectation là où ils sont le plus nécessaires. Ces mesures permettent ainsi d'établir une hiérarchie objective des besoins qui n'existe pas dans l'allocation des ressources du système français.

Une fois que le chef de cour est affecté, il est libre de l'emploi des moyens qui lui sont alloués. Il s'agit bien de normes d'affectation des moyens et non de normes individuelles d'activité des magistrats qui seront déterminées par les chefs de cour en fonction de la complexité des affaires, de la charge administrative, etc. Il est donc tout à fait possible de concevoir un système d'allocation des moyens qui contienne une référence d'activité annuelle pour un magistrat, sans que celle-ci lui soit directement opposable.

Il est aussi évident qu'un tel système pourrait faire apparaître un sous-dimensionnement des moyens. Il n'y a aucune raison, si le système est bien fait, si nous arrivons à objectiver le temps de travail nécessaire et le volume de ressources humaines nécessaire au bon fonctionnement de la justice, que nous ne puissions pas mesurer l'écart entre l'existant et le souhaitable.

Ensuite, il faut tenir compte de la contrainte budgétaire, des choix de priorité de politique publique, du rôle de la représentation nationale, cela va de soi. Mais pourquoi s'interdire de le mesurer ? Il faut le connaître avant de pouvoir décider en connaissance de cause. Nous ne pouvons donc pas exclure que ce système fasse apparaître des besoins importants. Il fera aussi apparaître des différences régionales, selon les juridictions, qui permettront de mieux allouer les moyens ou de « répartir plus judicieusement la pénurie ».

Oui, monsieur Bricout, nous partons de loin en matière de gestion. Le ministère n'a pas de culture gestionnaire. Le chef de cour ne se concevait pas, au départ, comme un ordonnateur secondaire ou responsable de la gestion de son personnel. Il est tout à fait exact qu'il existe au ministère de la justice une tradition de sous-administration. Nous partons donc de loin, mais nous remontons la pente. La préoccupation gestionnaire et budgétaire est plus forte maintenant qu'il y a dix ou quinze ans.

La relation avec la réforme de la justice est une question fondamentale. Il y a l'administration de la justice et les deux directions législatives, la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction des affaires civiles et du sceau. Il est évident que ces directions, ou d'autres ministères, vont produire de la législation, proposer au Parlement de la législation ou prendre des réglementations qui affecteront le travail de la justice. L'interaction entre ces deux directions et ces deux séries de considérations est très difficile à faire et est mal faite. Normalement, elle se fait dans les études d'impact.

Mais nous avons dit un mot des études d'impact, et je me permets d'ajouter que le ministère de la justice n'est pas seul dans ce cas. À la Cour des comptes, par exemple, il reste d'anciennes incarnations – j'ai pu le vérifier – sur des lois sociales très importantes, et avec des ordres de grandeur bien plus importants que ceux-là. Les études d'impact n'étaient simplement pas à la mesure des enjeux budgétaires.

Il existe donc bien un double problème : un problème d'organisation du ministère de la justice pour rendre compatible ces objectifs gestionnaires et législatifs, mais aussi un problème de production d'études d'impact de qualité qui permettraient à la représentation nationale de se prononcer en connaissance de cause.

Monsieur de Courson, s'agissant des taux de réponse, la pratique et la définition même du concept varient d'un pays à l'autre. Il est extrêmement difficile de faire des comparaisons. En France, le classement sans suite fait partie de la réponse pénale. Mais avant cela, il y a toute la masse des affaires dites « non orientables », qui ne font même pas l'objet d'un tri entre le classement sans suite et la réponse pénale. Cette distinction, la façon dont elle est pratiquée dans les différents pays, est vraiment propre à chacun d'eux. L'exercice serait intéressant mais les notions de base même sont difficiles à comparer.

Pour être tout à fait complet dans ma réponse, je pense, monsieur le député, que vous avez raison sur un point, celui de l'impact de la procédure. Nous venons de réaliser un travail qui a donné lieu à un référé du Premier président sur la répression de la délinquance économique et financière. Nous avons pu constater la complexité des affaires, l'impact de la procédure qui, avant de porter sur les juridictions, porte sur les services d'enquête.

Je ne dis pas qu'il soit facile à mesurer, mais il est tout à fait évident qu'il existe un coût dû à de la complication croissante des procédures, et qu'il peut s'agir d'un sujet d'investigation pour permettre à la réforme de la justice de se développer en toute connaissance des coûts induits par ces réformes. Il faut que l'on progresse dans cette voie et que l'on fasse une application raisonnée des exemples étrangers.

Madame Peyrol, vous avez raison : le ministère doit s'approprier progressivement une culture de l'évaluation qui lui fait encore un peu défaut. D'ailleurs, vous verrez – c'est un hasard de la rédaction qui me permet d'illustrer mon propos – qu'à un moment, nous mettons entre guillemets les termes « performance » et « productivité », qui ne sont pas faciles à objectiver. Nous nous en approchons dans une activité régalienne comme celle de la justice qui, en outre, obéit à un principe d'indépendance dans son fonctionnement. Il s'agit d'une démarche nécessaire mais qui doit s'effectuer au sein du ministère, selon des modalités particulières et avec une certaine prudence.

Monsieur Cornut-Gentille, j'ai du mal à répondre à votre question car je risquerais de sortir de mon rôle.

Mme Cariou a prononcé une phrase intéressante : « On légifère à l'aveugle ». Ce que nous proposons a justement pour objectif de vous aider à y voir plus clair. Car sans objectiver convenablement le coût des procédures, des affaires, de la justice, il est évident que la mesure de l'impact sur ces coûts des réformes législatives est extrêmement difficile à définir.

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