Intervention de Xavier Paluszkiewicz

Réunion du mardi 5 février 2019 à 17h10
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaXavier Paluszkiewicz, rapporteur pour avis :

Madame Bénédicte Peyrol, je le répète, aucune étude d'impact n'a été livrée de manière chiffrée par Bercy. Je ne manquerai pas de solliciter une nouvelle fois cette administration pour obtenir des chiffres au sujet du nombre de résidents français au Luxembourg.

Vous vous êtes interrogée sur l'articulation des normes françaises et internationales. Elles ne sont pas incompatibles, car, si l'article 28 de la convention prime sur le droit français lorsque celui-ci prévoit des mesures d'investigation en matière de fraude fiscale, le droit international n'évoque que les investigations, alors que le droit français parle d'investigation et de sanction. Ainsi, le droit français est complémentaire de la convention et donne à l'administration fiscale une marge d'interprétation du droit.

Pour résumer, l'article 55 de la Constitution consacre la primauté du droit international, mais, dans la mesure où le droit national permet des sanctions dont le champ n'est pas couvert par le droit international, l'administration fiscale française peut développer sa propre interprétation pour appliquer l'ordre international, voire pour aller plus loin, en appliquant la norme française qui offre la possibilité de sanctionner les montages et les éventuels avantages fiscaux incorrects.

Vous m'avez interrogé, madame Cariou, sur la notion d'établissement stable et, notamment, sur l'article 5 de la convention que nous examinons. Certes, cet article ne fait que se conformer aux standards de l'OCDE, mais il faut tout de même noter qu'aucune autre convention entre la France et, par exemple, la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas, ne contient de telle clause sur l'établissement stable, non plus d'ailleurs que de clause générale anti-abus. Cela représente donc une avancée considérable. Elle permettra de reconnaître l'existence de certaines activités au-delà des frontières. Comme élu d'un territoire frontalier, je peux en donner simplement un exemple. Des entrepreneurs luxembourgeois ont parfois une activité du côté français, qui, du fait de leur résidence fiscale luxembourgeoise, est exonérée d'imposition française... Dans le cadre de cette convention, l'article 5 permettra précisément de pouvoir les taxer.

L'article 14 concerne en réalité le télétravail. D'autres conventions contenant des dispositions similaires ont été signées entre le Luxembourg et d'autres pays limitrophes : avec la Belgique, en 2010 semble-t-il, et une autre avec l'Allemagne, en 2015. La durée de télétravail autorisée dans l'autre État varie suivant ces conventions : dix-neuf jours en Belgique et vingt-quatre jours de télétravail en Allemagne.

Ainsi, l'article 14 ouvre la possibilité d'une prise en compte qui n'existait pas auparavant. L'administration française était jusqu'alors assez permissive, puisqu'aucune convention avec le Luxembourg ne définissait un nombre de jours de télétravail autorisé. Celui-ci est fixé à vingt-neuf par la présente convention. Évidemment, on aurait pu aller encore au-delà, mais cela reste une avancée, au regard de la situation antérieure.

Madame Louwagie, que la procédure d'examen simplifiée soit retenue ou non, en tout état de cause, nous ne pourrons pas amender ce texte. C'est pourquoi il était judicieux d'en débattre au moins cet après-midi, dans le cadre d'une saisine pour avis, puisque cette convention relève de la commission des affaires étrangères. Par ailleurs, nous n'avons pas d'éléments chiffrés sur le nombre de foyers fiscaux concernés. Je vais réitérer ma demande auprès de Bercy et j'espère avoir une réponse pour la discussion en séance publique, le 14 février.

L'article 2 fait en effet référence à l'impôt sur la fortune, ce qui peut paraître surprenant. L'explication est cependant toute simple : l'ISF n'était pas supprimé lorsque les travaux sur cette convention ont commencé en 2016. L'objectif était de les achever avant la visite d'État du couple grand-ducal, prévue les 19 et 20 mars 2018.

Monsieur Bourlanges, vous me posiez la question de savoir ce qui pourrait manquer dans ce document. Au regard des différents sujets qui ont été soulevés, je pourrais répondre : beaucoup de choses ! Et cette convention fiscale bilatérale ne pourra pas combler tous ces manques. L'harmonisation fiscale ne peut se faire qu'au niveau européen, et non simplement entre deux États. Il en est ainsi, par exemple, de l'ACCIS.

Madame Rabault, vous évoquiez l'article 15, qui prévoit l'imposition de la rémunération des administrateurs des sociétés, conformément au modèle de l'OCDE, dans l'État de résidence de la société considérée. Le sujet est relativement complexe, et la réponse ne peut être apportée que dans le cadre d'un accord européen. Sur l'article 5, je pense avoir répondu en traitant la question de Mme Peyrol.

Monsieur Coquerel, certes, le Luxembourg a été qualifié de paradis fiscal par le passé – et peut-être est-il encore vu ainsi par beaucoup ou dans le subconscient collectif. Pourtant, ce pays a abandonné le secret bancaire en 2015. Depuis cette date, la situation n'a véritablement plus rien à voir avec celle qui pouvait prévaloir au regard de l'échange d'informations. Celui-ci s'effectue aujourd'hui de manière très directe entre les administrations fiscales française et luxembourgeoise. C'est vrai aussi pour les caisses d'allocations familiales et aussi bien sur les salaires que sur les dividendes perçus.

Le Luxembourg ne figure plus sur aucune liste noire. C'est un fait. On peut peut-être le contester, mais, en pratique le Luxembourg, tout comme l'Irlande, Malte ou les Pays-Bas, ne répond plus juridiquement à la définition du paradis fiscal. Il faut bien reconnaître en revanche – et je réponds là indirectement à M. Dufrègne – qu'il se livre encore à une politique fiscale agressive, pour attirer les multinationales au détriment des autres États membres.

Sur les retraites – ou plutôt les pensions pour reprendre la terminologie luxembourgeoise –, l'approche retenue relève de l'habitude. Évidemment, il convient de défendre les intérêts français, lesquels iraient dans le sens d'une imposition pratiquée en France. Mais je pense qu'on ne peut oublier la situation locale. On compte près de 70 000 frontaliers français au Luxembourg. Vous connaissez probablement le territoire concerné, ancien bassin minier et sidérurgique qui a largement souffert. Bon nombre de frontaliers ont fait leur carrière au Luxembourg, à défaut d'avoir trouvé du travail du côté français. Cela ne choque personne là-bas. Aujourd'hui, après avoir abondé les caisses de retraite luxembourgeoises pendant quelque quarante ans, ils perçoivent donc une pension, payée par ce pays et également taxée par lui. Voilà ce qui justifie cette situation, en tout cas aux yeux des Luxembourgeois.

Monsieur Dufrègne, oui, vous avez raison, le Luxembourg se livre encore à une politique fiscale agressive pour attirer les multinationales. Des réponses sont certes à apporter, et des travaux sont menés à l'échelle européenne, notamment avec l'ACCIS. Mais, comme l'avait souligné le commissaire Moscovici, nous n'arriverons pas à une harmonisation fiscale tant que la règle de l'unanimité sera de mise sur ces sujets.

Monsieur de Courson, l'article 12, qui fixe le régime applicable aux redevances, ne prévoit pas d'imposition exclusive dans l'État contractant dont le bénéficiaire est un résident. Il permet à l'État de la source de prélever une retenue au taux maximal de 5 % du montant brut des revenus considérés – dans les négociations, une demande à hauteur de 10 % avait été formulée. Notons que, jusqu'alors, aucun prélèvement, aucune retenue n'étaient effectués. Ces 5 %, ce n'est peut-être pas grand-chose mais c'est mieux que rien.

S'agissant du chiffrage, je le répète, j'espère obtenir des informations pour le 14 février prochain.

Concernant la taxation sur les bénéfices, madame David, au vu des chiffres disponibles sur la période 2011-2015, il convient d'établir une distinction entre l'imposition effective et l'imposition nominale dans l'Union européenne. Effectivement, le Luxembourg impose les bénéfices des sociétés à hauteur de 29 % sur le papier ; mais, en réalité, l'imposition ne se fait qu'à hauteur de 2 %. Pour votre information, en France, l'imposition nominale s'élève à 33 %, tandis que l'imposition effective est de 17 %. L'écart est donc assez important entre la France et le Luxembourg. Si l'on réalisait toutefois un étalonnage européen, la France ne serait pas si mal placée, même si elle pourrait faire mieux encore.

Madame Dalloz, les 17 milliards d'euros auxquels j'ai fait allusion dans mon propos liminaire correspondent à l'évasion fiscale française à l'échelle européenne. Quant à savoir si nous disposons d'études chiffrées en la matière, je pense que mon sourire vous donne la réponse... On en revient aux limites de l'étude d'impact. Notez que l'évasion fiscale est évaluée entre 50 et 70 milliards d'euros à l'échelle européenne. Mais il serait vraiment intéressant de disposer des chiffres pour celle qui est pratiquée entre la France et le Luxembourg. Je ne reviens pas sur votre question relative à l'ISF à laquelle j'ai d'ores et déjà répondu.

Mme Duby-Muller m'a interrogé sur les rétrocessions fiscales. La position du Gouvernement français est claire à cet égard et elle a été réaffirmée dans une lettre de mission que M. Mézard, ancien ministre de la cohésion des territoires, a adressée au préfet de la région du Grand Est, M. Marx : la France ne demande pas de rétrocessions fiscales au Luxembourg. Certes, c'est une lecture tout à fait personnelle, mais il me semble qu'il ne s'agit pas pour l'État ou pour les élus locaux de taper des pieds pour réclamer des rétrocessions fiscales auxquelles le Luxembourg ne souhaite pas procéder.

Vous faisiez un parallèle avec les accords qui ont été passés avec la Suisse. Mais les textes, les conditions et la situation ne sont pas du tout identiques. Ainsi, la convention de rétrocessions fiscales entre le canton de Genève et la France remonte à 1973. Lors d'une conférence, en juin dernier, à Thionville, le Luxembourg a pris une position ferme : il a fait savoir qu'il souhaitait travailler sur des opérations de coopération et de cofinancements de projets. Dans ce cadre-là, d'ailleurs, des accords ont été trouvés, notamment concernant le transport, à hauteur de 120 millions d'euros sur dix ans. La France a entendu le message.

Monsieur Bricout, vous avez fait allusion à l'article 13, qui définit le régime applicable aux gains en capital. Conformément à la pratique habituelle de la France et aux principes les plus récents proposés par l'OCDE, son paragraphe 4 permet à la France d'appliquer sa législation pour l'imposition des plus-values de cession des titres de sociétés à prépondérance immobilière, lorsqu'elle résulte de l'aliénation non seulement d'actions, mais aussi de parts ou d'autres droits dans toute entité. Le paragraphe 5 vise par ailleurs à permettre l'imposition en France des gains en capital réalisés par une personne physique et résultant de la cession d'une participation substantielle dans le capital d'une société française. Cet article ne figurait pas dans la précédente convention, et nous ne pouvons évidemment que nous satisfaire de son insertion.

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