Intervention de Loreleï Limousin

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 11h05
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Loreleï Limousin, responsable des politiques climat-transports de Réseau Action Climat (RAC) :

Je suis responsable des politiques de transport du Réseau Action Climat (RAC), réseau d'organisations non gouvernementales (ONG) nationales qui luttent ensemble contre les changements climatiques et qui comprend notamment la Fondation pour la nature et l'homme, France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT), la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), Oxfam ou Greenpeace. Nous nous coordonnons afin de proposer des solutions pour accélérer la transition climatique dans tous les secteurs, en l'occurrence ici le transport aérien.

Je tiens en préalable à rétablir quelques vérités. On entend souvent que le transport aérien est responsable de 2 % des émissions internationales de CO2. Cette estimation est ancienne et ne tient pas compte des autres impacts du secteur sur les dérèglements climatiques – vapeurs d'eau qui créent des cirrus dans l'atmosphère, oxydes d'azote. Le pouvoir radiatif – donc réchauffant – du transport aérien est plutôt de l'ordre de 5 %. Il convient de le garder en tête, d'autant que ces impacts ne sont donc pas intégrés dans les accords comme CORSIA. Même si l'on s'en tient à 2 %, c'est l'équivalent de l'empreinte carbone de l'Allemagne, un des pays les plus industrialisés et les plus émetteurs au monde.

S'agissant des émissions de CO2 au niveau français, vous avez raison, celles du trafic aérien intérieur ont diminué, notamment grâce au développement du TGV. Mais l'analyse de l'ensemble des émissions de CO2 du trafic aérien national est plus mitigée : en additionnant les vols métropolitains et internationaux, la hausse est d'environ 60 % depuis 1990, alors que tous les autres secteurs – hors transports – ont réduit leurs émissions…

Il nous semble essentiel de rappeler que tous les secteurs doivent être mis à contribution pour réduire – donc non pas seulement limiter ou compenser – leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de tenir les engagements de l'accord de Paris. La logique est la même dans tous les secteurs : il faut faire moins, mieux et autrement. Certes, la performance énergétique ou les carburants alternatifs sont importants, mais un autre levier indispensable est pour le moment passé sous silence : la maîtrise de la demande.

Le trafic aérien européen et international a explosé et double environ tous les quinze ans. Les chercheurs du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), comme David Lee qui travaille plus spécifiquement sur le transport aérien, estiment qu'une réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien de l'ordre de 50 % à l'horizon 2050 passe aussi par un mécanisme de tarification de la pollution du transport aérien. Les scénarios de ces études prennent en compte les avancées technologiques et des substitutions très poussées de carburant fossile par des carburants alternatifs. Mais cela ne suffira pas… Une maîtrise de la demande par la tarification du CO2 est donc indispensable.

Quels sont les freins soulevés lorsque l'on évoque la mise en place d'une telle mesure ? Le premier est d'ordre juridique : on présente la Convention relative à l'aviation civile internationale, dite Convention de Chicago, comme un frein à la mise en place d'une taxe sur le carburant. C'est faux : ce sont les accords bilatéraux de services aériens passés entre États pour favoriser le transport aérien entre leurs pays qui l'interdisent, mais ils peuvent être revus. Cela n'a donc rien d'inéluctable.

En outre, la taxation du kérosène est possible au niveau intérieur et européen, entre les pays qui le souhaitent. Une étude de nos collègues de la Fédération européenne pour le transport et l'environnement vient d'être publiée sur le sujet, que je pourrai vous transmettre.

Le deuxième frein est social : c'est celui de l'acceptabilité. Vous avez parlé de la démocratisation du transport aérien ; elle est indéniable en Europe où de plus en plus de personnes ont accès à l'avion. Mais ce constat mérite d'être nuancé : à l'échelle internationale, le transport aérien reste un mode de déplacement réservé aux populations économiquement les plus favorisées ; même en France, je vous rappelle que 40 % de la population ne part pas en vacances. Elle ne prend donc pas l'avion… En outre, selon les enquêtes nationales transports et déplacements (ENTD), les 20 % de personnes les plus aisées prennent autant l'avion que les 80 % des plus pauvres. Les Français sont donc très inégaux face au transport aérien.

Le dernier argument opposé est économique : un tel blocage n'est d'ailleurs pas l'apanage du transport aérien. C'est un véritable défi pour la transition écologique dans tous les secteurs. Cela ne devrait pas nous empêcher d'avancer, comme c'est malheureusement le cas depuis des années : il est impossible de débattre d'une éventuelle taxation du kérosène sur les billets d'avion, car cet argument nous est toujours opposé. Pourtant, on peut trouver des solutions : des reconversions professionnelles sont envisageables si la transition est organisée dans le secteur, d'autant que des emplois peuvent être créés dans d'autres secteurs, en l'espèce dans le transport ferroviaire.

Nous avançons donc deux propositions : d'une part, mettre en place une contribution sur les billets d'avion nationaux, qu'ils soient métropolitains ou internationaux. La taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « Chirac », est très faible par rapport à celles applicables à l'étranger – en Suède, en Norvège, au Japon ou aux États-Unis par exemple.

En second lieu, il y a un combat complémentaire à mener à l'échelle européenne, dont on sait qu'il est long à cause des questions fiscales. Il faudra, à terme, mettre fin à l'exonération de taxe sur le kérosène, ce qui constituera une mesure bénéfique sur le plan écologique, mais aussi sur le plan économique et social.

Nous avons commandé au consultant néerlandais C E Delft une étude qui met en évidence les effets de l'institution d'une taxe sur les billets d'avion sur l'économie, sur les émissions de C02 ainsi que sur la réduction de la demande.

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