Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mercredi 23 janvier 2019 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

Monsieur le président, mesdames les rapporteures, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux d'être devant vous cet après-midi. Je suis persuadé que nos échanges seront fructueux et permettront de faire évoluer ce texte. Je l'ai dit dès ma prise de fonctions, je ne souhaitais pas présenter immédiatement un projet de loi car notre but n'est pas de faire une loi pour faire une loi. Ce n'est pas l'alpha et l'oméga pour faire évoluer l'école, même si on ne peut nier son effet d'entraînement sur certaines politiques publiques.

S'agissant du dédoublement de classes de CP et de CE1 – nous venons de recevoir les premières évaluations –, de la réforme du baccalauréat, de celle du lycée – général, technologique et professionnel –, les évolutions sont intervenues sans modification de la loi.

J'assume parfaitement que ce présent projet de loi ne touche pas à tous les sujets – ils sont innombrables quand on parle d'éducation. Ce texte comporte une mesure emblématique sur laquelle je vais revenir : l'instruction obligatoire à trois ans.

Historiquement, les lois Ferry des années 1880 et l'instruction obligatoire sont constitutives de la République et ont permis sa consolidation, l'école devenant sa colonne vertébrale. L'évolution de l'âge de l'instruction est donc particulièrement symbolique. Mais c'est également un sujet très concret.

Pourquoi l'« école de la confiance » ? Nous souhaitons enclencher un cercle vertueux de confiance au sein du système éducatif, mais aussi dans la société grâce à l'école. Nous ne sommes pas suffisamment une société de confiance, chaque jour nous en apporte la preuve… C'est un enjeu national, mais également international : je sors d'un entretien avec la ministre de l'éducation d'un autre pays et j'ai souvent l'occasion d'évoquer ce sujet avec des homologues. Cela touche l'éducation au numérique, aux médias, le respect d'autrui dans la vie quotidienne, l'ouverture de nos enfants à leur environnement.

Nous créons de la confiance en soi chez nos élèves par le type de climat scolaire que nous réussissons à établir. Je suis heureux de constater que le dédoublement des classes de CP et CE1 a contribué à ce changement de climat. Les premières remontées des professeurs le soulignent : confiance des parents dans l'école, confiance des élèves en eux-mêmes, confiance des professeurs dans l'institution, confiance de tous envers tous.

Le sujet est donc tout sauf abstrait. Nos deux objectifs sont très clairs : élévation du niveau général et justice sociale. Il s'agit à la fois d'élever le niveau général par la justice sociale et d'atteindre la justice sociale par l'élévation du niveau général. Le dédoublement est symbolique de cette volonté de justice sociale : nous sommes allés au coeur de la lutte contre les inégalités dans les territoires les plus défavorisés. Ce faisant, ce dédoublement a contribué à l'élévation du niveau général puisque nous souhaitons réduire et, à terme j'espère, annihiler l'écart entre les résultats des territoires les plus défavorisés et ceux des autres territoires.

Les articles du projet de loi doivent être analysés sous cet angle. L'article 1er porte sur l'école de la confiance. Paradoxalement, les premiers débats dans la presse ne reflètent pas notre volonté d'enclencher le cercle vertueux de la confiance car ils se sont focalisés sur l'étude d'impact, qui insistait sur les effets induits liés au devoir de réserve. Je l'ai déjà dit et le répète devant vous : notre objectif n'est pas là. Le devoir de réserve est juridiquement parfaitement encadré. Il est donc plus important de faire respecter le droit.

En revanche, cet article affirme le caractère essentiel de la notion de confiance. Ainsi, la deuxième phrase de l'article souligne l'importance de la confiance de la société envers les professeurs – notamment des parents d'élèves envers les professeurs – et donc le respect qui leur est dû. La première phrase de l'article vise le même objectif. Elle mériterait sans doute d'être réécrite – nous en avons parlé avec les rapporteures. Vos propositions sont bienvenues afin qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur les objectifs de cet article. C'est sans doute l'article le moins juridique du projet de loi, mais ce n'est pas le moins important, car il faudra lire le code de l'éducation sous cet angle.

Les articles 2 et 3 concernent l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire à trois ans. C'est une mesure emblématique, dont la portée est internationale : nous serons le pays qui positionne l'âge de l'instruction obligatoire le plus tôt dans la vie. Nous allons être scrutés et je suis persuadé que d'autres pays iront en ce sens car la justice sociale passe par l'école maternelle et un meilleur accompagnement des enfants de zéro à six ans.

Du fait de l'importance historique de cette disposition, la concision est essentielle. J'aurai probablement l'occasion de le répéter à plusieurs reprises au cours des débats parlementaires, mais quand nous visons « tous les enfants », il s'agit bien de tous les enfants. Il est inutile d'entrer dans l'énumération de catégories. Chaque enfant sur le territoire français doit être scolarisé, sans autre considération que le fait que c'est un enfant. Vouloir en dire plus serait contre-productif. J'assumerai cette position au cours des débats. Une phrase est plus belle quand elle est courte. Il ne s'agit pas que d'esthétique : nous souhaitons éviter toute casuistique dans le futur.

Cette disposition est non seulement emblématique mais, en pratique, ce sont 20 000 enfants de plus qui seront scolarisés chaque année. Ils peuvent venir du monde rural profond ou de différents territoires de notre République – l'outre-mer est particulièrement concerné.

L'article 4 est une conséquence des deux précédents. Il concerne la compensation financière versée aux collectivités locales. Cet article a reçu un avis favorable du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Nous accompagnerons les communes dans leurs travaux d'investissement, comme nous l'avons fait pour les dédoublements, des instructions très claires étant parvenues aux préfets.

Ces dédoublements et l'instruction obligatoire à trois ans conduisent à une évolution du bâti scolaire pour l'école primaire, avec un appui de l'État à l'investissement des communes, a fortiori les communes rurales ou les plus pauvres. Ce sera un vecteur de progrès.

L'article 5 vise au renforcement du contrôle de l'instruction. Il ne concernera pas que l'instruction des enfants de trois à six ans, mais plus largement le contrôle de l'instruction à domicile, en famille. Une instruction obligatoire à trois ans ne signifie pas une scolarisation obligatoire à l'école ; le droit à l'instruction en famille perdure, mais nous voulons accroître son contrôle, tout comme nous avons accru celui des écoles pour combattre et fermer celles qui ne sont pas conformes aux valeurs de la République grâce à la loi du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat, dite « loi Gatel ».

De la même façon, lorsque l'instruction a lieu à domicile de trois à six ans, elle doit permettre l'épanouissement de l'enfant et son entrée en CP dans de bonnes conditions. Les acquis de langage et de socialisation sont fondamentaux entre zéro et six ans, et plus particulièrement de trois à six ans. À partir du CP, tout retard est ensuite difficile, voire très difficile à rattraper.

L'article 6 porte sur les établissements publics locaux d'enseignement internationaux (EPLEI). Il doit être replacé dans une stratégie plus globale d'ouverture des établissements français sur l'international, par le biais des sections internationales et du plan Langues. J'entends les remarques sur les enjeux de mixité sociale ; nous devons avancer ensemble mais ces sujets sont extrêmement liés. Dans un territoire donné, un établissement public international constitue certes un enjeu d'attractivité pour le pays tout entier – nous estimons que notre tissu scolaire doit inciter des entreprises internationales à s'installer en France. Mais l'enjeu de mixité sociale est de même niveau : nous devons bien sûr y scolariser les élèves des territoires concernés et créer de la mixité sociale au bénéfice du territoire, des personnes qui y sont installées et de nos élèves, a fortiori les plus défavorisés socialement.

Ainsi, le lycée international de Noisy-le-Grand, situé aux confins de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val-de-Marne, est un bon exemple d'implantation volontariste et réussie d'un lycée international prestigieux, construit avec le soutien des autorités publiques, dans un territoire où les enjeux de mixité sociale sont importants.

Le modèle juridique et institutionnel est celui de l'École européenne de Strasbourg. Nous aimerions que ce type d'établissement se développe ailleurs sur le territoire français. Certains ont exprimé des craintes en termes de justice territoriale : je le redis devant vous, il ne s'agit pas de privilégier telle ou telle grande ville de France ; des projets dans des territoires ruraux avec un internat, ou sur des territoires périphériques aux métropoles, permettraient de requalifier ces zones. C'est éminemment souhaitable.

L'article 7 porte sur le rectorat de plein exercice à Mayotte, en remplacement du vice-rectorat. C'est la concrétisation de l'engagement que nous avions pris. Cela fait suite au plan élaboré pour Mayotte, qui permet de nouveaux investissements et un nouveau suivi des réalités scolaires. Nous donnons un signal très important aux Mahorais à un moment important pour l'île où, sous la coordination du Premier ministre, plusieurs stratégies de développement sont en train de porter leurs premiers fruits dans le domaine scolaire et dans d'autres domaines.

L'article 9 concerne la création d'un Conseil d'évaluation de l'école. Le rapport parlementaire de Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe nous a inspirés et je les en remercie. Je le rappelle, nous ne supprimons pas le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) ; nous en changeons simplement le statut pour en faire une chaire académique au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Ses acquis sont préservés – sa capacité à réunir l'expertise académique et internationale au service d'une vision des politiques publiques d'éducation – et le cadre académique nous semble encore plus approprié, le lien avec l'Éducation nationale étant préservé. En outre, conformément à un engagement présidentiel, la nouvelle agence d'évaluation supervisera la méthodologie d'évaluation de nos écoles, collèges et lycées, afin de leur permettre de s'autoévaluer. Cette autoévaluation sera à l'origine des projets éducatifs de tous les établissements français et les projets éducatifs seront accompagnés par tous les rectorats sur des bases objectives, avec l'aide des équipes qui participeront à leur propre évaluation.

Ces dispositions sont porteuses de grandes transformations, et d'une évolution de la notion même d'inspection. Cela nous permettra de dédramatiser l'évaluation et là encore, d'instaurer une école de la confiance. Je suis frappé par la crispation qu'entraîne toute évaluation en France – celle des élèves, des établissements ou des personnels. Or, dans tous les domaines, identifier ses faiblesses et ses forces permet de progresser, tout en contribuant à l'esprit d'équipe. Il en est ainsi dans le sport, par exemple.

Les articles 10, 11 et 12 portent sur les futurs Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ). Ce projet de loi modifie la gouvernance et le nom de ce que l'on appelle actuellement les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPÉ). C'est la partie législative d'un chantier fondamental : celui de la transformation de la formation des professeurs, qui est essentielle si nous voulons améliorer la qualité de notre système scolaire. Au cours des dernières décennies, cette formation a connu des évolutions que l'on peut juger positivement ou négativement. Il est temps de passer à une nouvelle étape, qui prenne en compte les acquis positifs de l'existant, tout en garantissant davantage la qualité de l'enseignement dispensé aux futurs professeurs : nous devons par exemple garantir un nombre minimum d'heures de formation à l'enseignement de la lecture à tous nos futurs professeurs des écoles. Selon que vous étudiez à Marseille, à Lille, à Brest ou à Strasbourg, ce n'est actuellement pas le cas. On sait qu'une centaine d'heures est nécessaire. De même, dans le domaine des enseignements mathématiques et scientifiques, nous devons nous assurer que nos futurs professeurs des écoles – qui souvent ne sont pas issus de formations scientifiques – reçoivent un certain nombre d'heures formation et une formation de qualité. Même si l'enseignement est dispensé à l'université – c'est confirmé par le projet de loi – l'Éducation nationale doit avoir son mot à dire. J'assume totalement cette position, même si elle fera sans doute l'objet de débats. Personne ne demande au ministère de la justice de ne pas regarder ce qui se passe à l'École nationale de la magistrature ou à un jardinier de ne pas contrôler la qualité de l'eau qui alimente son jardin.

Nous tenons aux avantages de l'université – l'excellence scientifique – mais souhaitons préserver le droit de regard de l'employeur que nous sommes et faire preuve de pragmatisme : plus de la moitié des intervenants en INSPÉ seront des professeurs de terrain déchargés partiellement – ils seront encore devant des élèves mais formeront également les futurs professeurs.

L'article 14 du projet de loi rend possible le prérecrutement de professeurs. Le dialogue social entre notre direction générale des ressources humaines et les organisations syndicales nous a permis d'avancer sur ce sujet. Nous renouerons ainsi avec la belle tradition des Instituts de préparation aux enseignements de second degré (IPES), en la renouvelant. Dès la deuxième année d'études universitaires, des étudiants – notamment issus de milieux sociaux défavorisés – pourront se diriger vers la carrière professorale, tout en bénéficiant d'un salaire et d'une première expérience dans le système éducatif en tant qu'assistant d'éducation.

Cela nous permettra de diversifier et d'approfondir le vivier de l'Éducation nationale, tout en poursuivant un objectif de justice sociale. Nous le savons, dans certaines disciplines comme les mathématiques, nous sommes en tension. Nous avons donc intérêt à motiver des étudiants à devenir professeurs dès le début de leurs études.

L'article 17 est une habilitation liée à la réforme territoriale. Nous recherchons un double objectif : améliorer la proximité des services de l'Éducation nationale, tout en capitalisant sur les effets stratégiques de la réforme régionale dont nous pouvons désormais mesurer les avantages et les inconvénients. Nous serons amenés à en débattre, mais nous souhaitons que certains services de l'Éducation nationale soient régionalisés pour améliorer la coordination. Ainsi, en matière d'orientation, le service concerné doit parler d'une seule voix avec la région. D'autres seront mieux gérés au niveau départemental – sous l'autorité des directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN), voire infradépartemental – je pense à la gestion des ressources humaines de proximité vers laquelle nous tendons afin de mieux personnaliser l'accompagnement des professeurs et des personnels.

Avec Frédérique Vidal, nous nous sommes fixé un objectif : ne fermer aucun rectorat mais faire en sorte que le recteur de région académique devienne le supérieur hiérarchique de tous les recteurs du territoire. Nous gagnerons ainsi en capacité de gestion de proximité, tout en disposant d'une vision stratégique à l'échelle régionale.

Beaucoup de sujets vont donc avancer grâce à ce projet de loi. Nous sommes ouverts à l'enrichissement et à l'amélioration du texte, afin qu'il remplisse pleinement ses objectifs de justice sociale et d'élévation du niveau scolaire général.

Ce projet de loi concrétisera également une des annonces importantes du Plan pauvreté : l'obligation de formation pour tous les jeunes de seize à dix-huit ans dès la rentrée prochaine, complémentaire de l'instruction obligatoire dès trois ans.

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