Intervention de Clémentine Autain

Réunion du mercredi 13 février 2019 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain, rapporteure :

Une très belle commission ! Comme la commission des affaires étrangères, du reste !

Notre proposition de loi vise à créer un cercle vertueux, en faisant de l'examen du permis de conduire un service public gratuit pour les jeunes.

Je pense que nous pouvons tous nous mettre d'accord sur le constat qui sous-tend ce texte : le coût prohibitif du permis de conduire fait que de nombreux jeunes – et des moins jeunes – renoncent aujourd'hui à le passer. Avec plus d'un million de candidats chaque année, c'est pourtant le premier examen de France. Il est tout à la fois une garantie d'autonomie et de mobilité, une pièce d'identité et la condition d'accès à de très nombreux emplois, puisque le permis B est souvent requis. Or son prix – 1 804 euros en moyenne – menace l'égalité d'accès de toutes et tous au permis de conduire.

Face à cette situation qui, je pense, ne fait pas débat, deux grandes options s'offrent à nous.

La première, c'est celle qui a été choisie par la « macronie » (Exclamations parmi les députés du groupe La République en Marche.) Votre réaction me fait espérer que le rapport remis par certains collègues de la majorité au Gouvernement ne sera pas suivi d'effets ! En colère contre cette logique, les personnels des auto-écoles se sont mobilisés lundi dernier et ont organisé des blocages en Île-de-France pour faire valoir leur vision des choses, que je partage. Ce qui est en jeu, c'est la précarisation, l'« ubérisation » de leur profession.

Cette proposition de loi, à l'origine, visait surtout à garantir l'accès gratuit des jeunes au permis de conduire. Mais, au cours des auditions, nous avons découvert l'ampleur de la colère des personnels d'auto-école. Cette colère est légitime, car ils ont le sentiment de subir une attaque en règle contre leur profession. La politique qui est menée aujourd'hui se résume à favoriser la précarisation car, pour rendre le permis moins cher, on fait le choix d'« ubériser » la profession.

Cette démission de l'État pose un certain nombre de problèmes. D'abord, elle accrédite l'idée selon laquelle, une fois libérées des contraintes législatives, réglementaires et fiscales, les entreprises pourront apporter elles-mêmes les solutions qui s'imposent. À défaut de sauver la qualité d'un service qui, à notre sens, devrait devenir public, on l'« ubérise » et on le précarise. Les syndicats ont décrit précisément cette fabrique de l'« ubérisation », qui se nourrit de déréglementation et qui se fait au détriment de la sécurité des candidats, dans la mesure où l'assouplissement des règles favorise un apprentissage lacunaire. À titre d'exemple, le rapport commandé par le Gouvernement défend le recours aux simulateurs de conduite. Par ailleurs, les moniteurs d'entreprises comme Ornikar ou En voiture Simone sont recrutés sous le statut d'auto-entrepreneurs, ce qui fragilise le suivi personnalisé des candidats et la certification professionnelle. Quant à l'intégration du permis de conduire au service national universel, proposée par Emmanuel Macron, elle risque de dissocier de plusieurs années l'apprentissage du code et celui de la conduite, ce qui, d'après les professionnels, est très problématique.

Nous sommes inquiets pour deux raisons. D'une part, les professionnels vont être soumis à une concurrence que d'aucuns ont coutume de qualifier de « libre et non faussée », mais qui va en réalité tirer tout le monde vers le bas. D'autre part, la formation va perdre en qualité, ce qui aura nécessairement des conséquences sur la sécurité routière, qui est un enjeu fondamental pour notre société. Dans ces conditions, je ne comprends pas qu'on laisse libre cours à cette « ubérisation », avec les menaces qu'elle implique.

Plutôt que cette attaque en règle contre les auto-écoles, nous proposons, pour notre part, une tout autre logique, qui vise à démocratiser et à protéger le passage de cet examen, sans rogner sur la qualité de la formation délivrée. Ce projet est aux antipodes de celui du Gouvernement, puisqu'il vise à faire du permis de conduire un examen protégé et de qualité.

Il s'agit d'abord de défendre la qualité de l'examen, car c'est l'une des seules variables du prix de la formation. Plutôt que d'entrer dans une course au moins-disant éducatif, nous entendons défendre la qualité à tous les étages. C'est pourquoi notre proposition de loi fait la part belle à la formation, avec un volume horaire de trente heures, un quota qui se rapproche des pratiques réelles de l'apprentissage. La meilleure manière de garantir la qualité de ce service est de le rendre public. Cela ne signifie pas que nous voulons tout nationaliser et que tout doit relever de la compétence de l'État, car il existe de multiples manières de faire vivre un service public.

Le service public nous semble être le meilleur moyen de garantir la qualité de l'enseignement du code et de la conduite et nous proposons, à l'article 2, de confier cette mission à l'éducation nationale ou à des organismes agréés.

Un autre volet essentiel de cette proposition de loi concerne l'écologie et la protection de l'environnement. Il importe selon nous que les personnes qui passent le permis de conduire aient pleinement conscience du coût environnemental des trajets en voiture, des alternatives à la conduite et du partage de l'espace public entre les différents modes de déplacement. Ce sont des choses qui s'apprennent : il faut former les candidats et leur faire prendre conscience, par exemple, du coût environnemental des tout petits trajets, ceux que nous pourrions faire à pied et que nous faisons en voiture, comme de l'intérêt du covoiturage. Cette approche innovante est une manière de faire face au défi climatique.

La dernière question d'importance, celle que vous ne manquerez pas de me poser, est celle du financement de cette mesure. Nous y avons pensé, car on ne rase pas gratis à La France insoumise (Sourires.) Nous proposons, même si nous en appelons à la créativité de tout le monde, de créer une taxe sur les concessionnaires d'autoroutes. Le coût annuel estimé pour l'instauration d'un permis B gratuit est de 1,6 milliard d'euros, ce qui correspond justement au montant annuel moyen des dividendes versés par les sociétés d'autoroutes, qui ont bien profité de la privatisation de ce secteur.

Nous avons une manne à disposition, qui permettrait de garantir un permis de conduire gratuit à tous les jeunes, et aussi aux moins jeunes. Un certain nombre de femmes décident de passer leur permis tardivement, autour de quarante ans, lorsque leurs enfants ont grandi. Je songe aussi aux personnes qui n'ont jamais passé le permis, parce qu'elles vivaient dans une métropole, et qui décident de s'installer dans une région rurale ou en périphérie urbaine. À tous les âges de la vie, le fait de ne pas avoir le permis de conduire peut être une source de difficulté et il ne faut pas que l'argent soit un critère discriminant.

L'investissement de la puissance publique garantira la qualité de la formation, tout en protégeant les salariés des auto-écoles. En luttant contre l'« ubérisation », nous garantirons un statut et une juste rémunération aux personnels d'auto-école, qui font un travail formidable en préparant les jeunes et les moins jeunes à l'examen du permis de conduire.

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