Intervention de Pascal Brindeau

Séance en hémicycle du lundi 18 février 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau :

Nous voici, au moment où nous abordons la lecture définitive de ce texte, quasiment au même point que lors de nos premières discussions. Vous nous avez proposé, madame la ministre, une réforme concernant tous les domaines de l'institution judiciaire – moyens, procédures, organisation, prisons, entre autres. Mais ce qui paraissait, de prime abord, être une bonne chose semble en définitive préjudiciable, car vous nous soumettez in fine un texte qui s'avère peu clair, et surtout miné d'incertitudes.

Or, la justice de notre pays ne peut pas s'exposer à de tels écueils. Les solutions que vous proposez ne feront, semble-t-il parfois, qu'aggraver les difficultés existantes, si elles n'en créent pas de nouvelles.

Concernant les fusions de juridictions, la saisine des tribunaux sera peut-être plus claire pour le justiciable, mais cette facilité sera de facto annulée lorsqu'il faudra plusieurs heures de trajet pour rejoindre un tribunal.

Le numérique, souvent évoqué, pourra certes faciliter quelques tâches, mais le développer à ce point, sans avoir auparavant équipé les juridictions, formé les personnels ni réduit la fracture numérique, sera finalement la cause de nombreuses difficultés pour un grand nombre de nos concitoyens, en particulier pour ceux déjà éloignés de notre système de justice.

Promouvoir les règlements amiables des conflits est une bonne chose pour apaiser les rapports sociaux. Cependant, le faire sans recruter des conciliateurs, mais en ayant recours à des organismes et à des plateformes privés aura un résultat exactement contraire à l'objectif que vous visez.

Votre nouvelle échelle des peines, peut-être plus lisible, ne fera que créer des effets de seuil contreproductifs. De même, vous prévoyez la révision des pensions alimentaires par les caisses d'allocations familiales, déjà engorgées, et dont les moyens sont en diminution.

C'est pourquoi le groupe UDI-Agir et Indépendants avait proposé des amendements, pour augmenter notamment le budget de la justice. Je reconnais, certes, l'effort du Gouvernement pour que ce budget augmente considérablement, mais il n'est pas à la hauteur des besoins notre institution judiciaire.

D'autres amendements de mon groupe proposaient d'encadrer les fusions des tribunaux d'instance et de grande instance, et permettaient une échelle des peines correspondant à vos objectifs, tout en évitant les effets pervers, et en limitant l'immixtion des organismes privés dans notre droit. Ils ont tous été rejetés.

Je regrette ce manque d'ouverture du Gouvernement aux propositions formulées par les groupes minoritaires, propositions dont l'objectif était bien d'améliorer le texte et de le rendre acceptable pour le plus grand nombre.

Vous croyez simplifier la tâche du juge, mais vous allez engendrer de nouveaux contentieux. Vous croyez rapprocher la justice des citoyens, alors que vous allez l'en éloigner encore un peu plus.

Ce n'est pas que vos idées soient mauvaises, mais la plupart ne sont pas suffisamment préparées, concertées ou encadrées. Les levées de bouclier quasi unanimes contre votre projet de loi, bien au-delà des débats qui se sont déroulés depuis un an, sont la preuve qu'il présente de grandes difficultés. Ces protestations se font entendre sur tous les bancs – ce n'est pas un hasard – et dans toutes les professions juridiques – ce n'est pas un hasard non plus. Ce n'est pas par pur esprit de contradiction que ces oppositions s'expriment.

Et dans toute cette précipitation à faire voter des textes dont l'impact concret n'est jamais réellement étudié, vous en avez oublié les attributs essentiels de la justice. Elle est un pouvoir régalien de l'État, elle est un service public. Vous avez oublié pourquoi l'on a recours au juge, vous avez oublié ce qu'est un litige de proximité.

Fidèle à vos éléments de langage – simplification, modernisation, efficience, célérité – , vous semblez n'avoir qu'une faible conscience des conséquences que ce projet aura dans la réalité sur le quotidien de chacun, justiciable ou professionnel du droit.

Les changements de paradigme que vous proposez auraient mérité une attention plus précise et anticipée ; ils auraient mérité surtout de prendre le temps pour une réforme d'une telle ampleur.

Peut-être, d'ailleurs, aurait-il fallu procéder en deux temps : d'abord augmenter les moyens de la justice pour résorber les vacances de postes et recruter les nouveaux personnels nécessaires, tout en équipant les juridictions des outils numériques indispensables ; puis, dans un second temps, étudier quelles modifications organisationnelles et de compétences s'avéraient utiles et nécessaires.

Il fallait donner à la justice la possibilité d'endiguer sa dégradation chronique, pour qu'elle puisse se moderniser et mieux répondre aux attentes des justiciables.

En l'état, il faudra certainement mieux développer, sur tout le territoire, l'aide à l'accès au droit et les réseaux de maisons de la justice, car le soutien apporté aux citoyens devra être à la mesure des changements occasionnés par la réforme. Je crains cependant que cet effort en faveur de l'accès au droit ne vienne s'ajouter, à son tour, aux charges qui pèsent sur les collectivités territoriales.

Vous l'aurez compris, le groupe UDI-Agir et Indépendants reste très sceptique face à ce texte, et demeure fort déçu de la manière dont se sont déroulés nos débats sur un sujet aussi fondamental que la justice. Par conséquent, nous n'apporterons pas notre soutien à cette réforme, et demeurerons très attentifs et vigilants quant aux suites qui lui seront données.

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