Intervention de Jean-Louis Masson

Séance en hémicycle du lundi 18 février 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Masson :

Depuis des décennies, la justice française manque de moyens : les tribunaux sont engorgés et les prisons surpeuplées. Le temps de traitement des affaires est devenu long, trop long. Après la phase de concertation dans le cadre des chantiers de la justice, la chancellerie a élaboré sous votre autorité les textes que nous examinons aujourd'hui en dernière lecture.

Je tiens, au nom du groupe Les Républicains, à insister sur quelques-uns de leurs aspects, notamment sur le premier d'entre eux, les moyens financiers consacrés à la justice. Oui, madame la garde des sceaux, j'en prends acte, votre budget progressera de 1,6 milliard d'euros d'ici à 2022 dans le cadre d'une loi de programmation. Toutefois, cette augmentation ne permettra pas de combler le retard pris depuis tant d'années. Cet effort n'est pas à la hauteur des besoins ni des enjeux. Dans sa grande sagesse, le Sénat vous l'a démontré.

Je rappelle que la France est le pays dont le budget de la justice est, par habitant, un des plus faibles de l'Union européenne. S'agissant des services pénitentiaires, il y aurait tant à dire sur la surpopulation carcérale, dont le fléau perdure ! Elle affecte gravement les conditions de réinsertion des détenus et pèse sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Vous savez que Les Républicains sont attachés à l'incarcération, en raison de son caractère préventif vis-à-vis des personnes qui commettent des infractions.

Alors que le candidat Macron s'était engagé sur la création de 15 000 places de prison durant le quinquennat, le texte n'en prévoit que 7 000 d'ici à 2022. Encore cet objectif semble-t-il hors d'atteinte, en raison des contraintes administratives incompressibles.

S'agissant de la réorganisation de la justice civile, le projet de loi prévoit la fusion administrative des tribunaux d'instance et de grande instance, pour créer des tribunaux judiciaires départementaux. Certes, vous n'avez cessé de répéter que cette fusion n'entraînera pas de fermeture de tribunaux. Toutefois nous avons, d'une part, la crainte de voir nombre de petits contentieux passer à la trappe, noyés dans le nouveau tribunal, et, d'autre part, celle que cette fusion ne soit qu'une première étape, la prochaine étant la suppression en tout ou partie des 300 tribunaux de proximité.

Vous avez dit et répété que telle n'était pas votre intention : nous croyons en votre bonne foi. Toutefois, madame la ministre, ouvrez les yeux : il existe, sur ce sujet, comme je l'ai souligné en première lecture, un déterminisme qui, échappant à tous, vous échappe également.

S'agissant de la procédure civile, nous avons plusieurs observations à faire. En raison de la numérisation, la saisine se fera obligatoirement en ligne. Ce sera la fin de l'accès normal du justiciable à son juge. Nous ne sommes pas les seuls à y voir une forme de déshumanisation de la justice.

Notre groupe s'étonne par ailleurs d'une privatisation de la justice en matière de médiation préalable : ce sont, en effet, des sociétés privées qui interviendront à ce stade. Nous ne sommes pas certains que les plus fragiles des justiciables seront défendus avec équité : les sociétés privées ne sont pas la justice, madame la garde des sceaux.

L'article 4 de la loi ordinaire étend le périmètre des contentieux pour lesquels la représentation par un avocat est obligatoire : c'est une mauvaise conséquence de la fusion des TI et des TGI.

S'agissant de la procédure pénale, nous sommes favorables aux mesures susceptibles de favoriser le travail des enquêteurs, à savoir les mesures de simplification, que, faute de temps, je n'évoquerai pas dans le détail. Nous sommes également favorables à la création du parquet national antiterroriste qui ne figurait pas dans le texte initial. Lors des précédentes lectures, nous avons proposé des amendements, qui ont été écartés, sur l'extension du périmètre d'application de l'amende forfaitaire, sur le fait de réserver à la juridiction le soin de décider s'il y aura ou non une peine d'aménagement ou sur le caractère automatique de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine.

Dans le cas particulier des crimes et des délits contre les personnes, la numérisation de la procédure pénale nous semble inappropriée, même si le recours au dépôt de plainte traditionnel est maintenu.

Nous estimons que les différentes simplifications en matière civile et pénale vont dans le bon sens. En revanche, le budget n'est à la hauteur ni des objectifs ni des enjeux. L'objectif de créer 7 000 places d'ici à 2022 est très insuffisant et inaccessible. La fusion des TI et des TGI et la numérisation des procédures éloignent les citoyens d'une justice humaine. Enfin, la dématérialisation des plaintes est inadaptée en matière pénale pour un grand nombre de crimes et délits.

En conséquence, je suis au regret de vous dire que Les Républicains voteront contre ces textes.

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