Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du lundi 18 février 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Comme la Constitution le prévoit, le dernier mot sur le texte de la réforme de la justice revient à l'Assemblée nationale, puisque les deux chambres n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur le vote d'un texte commun.

Cela se comprend : l'avenir de la justice n'est pas sans poser de nombreuses questions.

Vous semblez, en effet, accentuer la centralisation de notre organisation juridique, ce qui inquiète tout particulièrement le groupe Libertés et Territoires, pour lequel la proximité est essentielle, car elle est synonyme d'efficacité. D'ailleurs, tout au long de l'examen de cette réforme, les différents acteurs des territoires, qu'ils soient des professionnels du droit, des élus locaux, des associations ou des citoyens, ont exprimé leurs inquiétudes.

Le groupe Libertés et Territoires a eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises, madame la ministre : votre texte ne paraît pas assez équilibré et nous craignons qu'il n'ait des conséquences négatives pour le justiciable, qu'il s'agisse de l'accès au juge, de la protection des personnes les plus fragiles, de celle des libertés et des droits de la défense ou du maintien de la justice de proximité.

Tout au long de nos débats, nous avons attendu de votre part des gestes susceptibles de montrer votre volonté de construire, avec l'ensemble de la représentation nationale, une justice soucieuse de chacun et respectueuse des territoires. Malheureusement, madame la ministre, vous défendez une vision de la réorganisation de notre justice qui nous paraît erronée.

Pourtant, nous sommes convaincus que vous serez d'accord avec nous sur ce point : la justice a besoin de réformes justes. C'est pourquoi, pour les élus enracinés dans les territoires que sont les députés de notre groupe, votre refus d'entendre la protestation unanime qui s'élève, aujourd'hui, contre la réforme telle que vous la concevez, nous laisse perplexes. Nous vous redemandons, madame la ministre, de ne pas porter atteinte à l'accès à la justice, de ne pas orchestrer la disparition de notre justice de proximité et de ne pas affaiblir les droits de la défense.

Expliquant, il y a quelques années, que lorsque nos droits sont directement menacés, « le réflexe normal est de chercher un juge », Guy Carcassonne posait cette question : « L'existence même du droit et des juridictions chargées de l'appliquer n'est-elle pas le premier des droits de la défense ? » Ce premier des droits de la défense, madame la ministre, semble aujourd'hui malmené.

En refusant les différents amendements de notre groupe, vous ouvrez la porte à une nouvelle étape de l'éloignement du juge, un juge que le justiciable trouvera difficilement : il devra tout d'abord déterminer si son affaire relève d'un contentieux spécialisé traité par un tribunal de grande instance de son département, ou d'un autre département. Compte tenu de la spécialisation de certains contentieux en première instance et en appel, le justiciable sera susceptible de parcourir de longues, voire de très longues distances. Pour le groupe Libertés et Territoires, il existe un véritable risque d'aggravation de la fracture territoriale.

Votre loi de programmation risque d'opérer le glissement d'une justice humaine vers une justice virtuelle, également porteuse d'atteintes aux droits de la défense, comme le montre votre refus d'inscrire dans la loi une exigence de certification obligatoire par le ministère de la justice des services en ligne de résolution amiable des litiges et d'aide à la saisine des juridictions. Un autre exemple est celui de l'encadrement insuffisant du recours à la plainte en ligne.

Notre groupe est également inquiet du déséquilibre qui peut s'opérer entre l'efficacité des enquêtes et la garantie des droits et libertés en matière pénale, par exemple en rejetant l'obligation de présentation au procureur, en cas de prolongation de la garde à vue, présentation qui garantit pourtant le contrôle de l'autorité judiciaire sur l'activité des services enquêteurs.

Votre volonté de réformer la justice des mineurs par ordonnances ne saurait recueillir notre assentiment. Quant à la création d'un parquet national antiterroriste, non seulement elle n'a pas été suffisamment discutée, mais elle ne nous paraît pas devoir non plus améliorer la lutte contre le terrorisme ni le fonctionnement de la justice.

Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte s'éloigne de l'idée que le groupe Libertés et Territoires se fait de l'organisation de notre justice. Il aurait été possible de s'entendre sur un texte plus proche des spécificités territoriales et mieux adapté aux enjeux de la justice de demain. C'est la raison pour laquelle notre groupe, dans sa grande majorité, ne s'associera pas à ce texte.

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