Intervention de Célia de Lavergne

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCélia de Lavergne, rapporteure pour avis :

Dans son discours du 17 juillet 2017 lors de la première conférence des territoires, le président de la République a annoncé la création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires. Cette annonce répondait à une demande forte des élus locaux de renouveler leur relation à l'État au profit de projets de territoires.

En octobre 2018, nos collègues sénateurs du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) ont proposé un texte concrétisant cette volonté. Cette proposition de loi est le fruit d'un travail commun avec le Gouvernement, qui avait confié, le 9 avril 2018, au commissaire général à l'égalité des territoires, M. Serge Morvan, une mission de préfiguration de l'agence.

La première lecture au Sénat a suscité une large adhésion autour du projet de création de cette future agence, dite « Agence nationale de la cohésion des territoires » (ANCT). Je souhaite ici saluer leur travail et m'associer à la démarche constructive de nos collègues sénateurs. Elle laisse présager un travail constructif de coopération nécessaire au profit de nos territoires.

Si la volonté de créer une Agence nationale de la cohésion des territoires remonte aux premiers mois du quinquennat, elle trouve une résonance toute particulière dans l'actualité que nous connaissons. Cette agence s'adresse aux territoires fragiles, qu'il s'agisse de territoires ruraux, parfois de montagne, urbains, notamment les quartiers de la politique de la ville, ou encore ultramarins, que l'éloignement et l'insularité ont parfois fragilisés. Elle vise à répondre à une attente forte des élus locaux : changer de méthode de travail partenarial entre l'État et les collectivités territoriales, afin de faciliter la vie des porteurs de projets que sont les élus des territoires fragiles et de lutter contre les fractures économiques, sociales, environnementales, numériques qui divisent nos territoires et que nous ne connaissons que trop bien.

La proposition de loi telle qu'elle nous vient du Sénat comporte douze articles relatifs au statut, aux missions, à l'organisation, au fonctionnement, aux ressources et aux modalités de création de l'agence. Elle crée l'ANCT sous la forme d'un établissement public hybride, mélangeant les caractéristiques d'un établissement public administratif et d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Des dispositions réglementaires sur le fonctionnement précis de l'agence compléteront ce cadre général.

La commission des affaires économiques s'est saisie pour avis de l'ensemble du texte, en raison de ses compétences en matière de politique de la ville, de commerce et de numérique. Le texte a été renvoyé au fond à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, tandis que nos collègues de la commission des lois et de la délégation aux collectivités territoriales se sont également saisis pour avis.

Au cours des dernières semaines, au travers d'une trentaine d'auditions, nous avons pu échanger avec des élus locaux, des acteurs économiques, des administrations de l'État et les représentants des différents opérateurs concernés par le projet de création de cette agence. Toutes ces auditions ont confirmé la pertinence du projet de création de l'agence.

Les élus locaux des territoires fragiles, qu'ils soient ruraux, de montagne, ultramarins et ceux de la politique de la ville ne manquent pas d'idées pour développer leurs territoires, mais se heurtent aujourd'hui à un manque de moyens et de ressources pour accompagner et faire aboutir leurs projets ; qui plus est, les financements et les procédures sont de plus en plus complexes. Trop souvent, nos maires ont ressenti un sentiment d'isolement et de manque de soutien. Trop souvent, ils ont dû déployer une énergie considérable pour tenter de faire aboutir leurs projets, parfois écrasés par le caractère administratif et la dérive de complexité et de rigidité dans laquelle notre pays est entré. Et trop souvent, certains ont renoncé, abandonné.

Nos territoires attendent de l'ANCT et de l'État, au travers de cette agence, de transformer radicalement la manière de travailler avec les collectivités. Ils attendent que l'État soit bienveillant et accélérateur de leurs projets de territoire ; ils attendent que l'État leur fasse confiance. C'est précisément la promesse de l'ANCT.

Cette agence doit privilégier la logique ascendante à celle descendante qui est le lot commun de ces dernières décennies.

Cette promesse se matérialise par deux missions principales de l'ANCT : le soutien aux collectivités territoriales et leurs groupements dans la définition et la mise en oeuvre de leurs projets locaux, au fil de l'eau ; la mise en oeuvre de la politique de l'État en matière d'aménagement et de cohésion des territoires, en conduisant des programmes nationaux territorialisés, dans la logique qui a guidé l'installation des programmes « Action Coeur de ville » ou encore « Territoires d'industrie », que nous connaissons bien.

Dans les deux cas, le projet est porté par la collectivité et accompagné par l'État : premièrement, en mobilisant des moyens d'ingénierie juridique, technique et financière ; deuxièmement, grâce à un appui de proximité incarné par le préfet de département, auprès duquel le pouvoir de décision est largement déconcentré ; troisièmement, en offrant un guichet unique, c'est-à-dire une entrée unique sur l'administration, les services de l'État et ses opérateurs.

En propre, l'ANCT résulte de la fusion de trois opérateurs : une partie du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) et l'Agence du numérique. Elle travaillera en réseau avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), par le biais de conventions qui permettront de mobiliser sur les territoires fragiles des expertises et des financements, au travers notamment d'une forme de « droit de tirage » que pourra exercer le préfet de département et qui, si nécessaire, sera régulé par les préfets de région.

Qu'est-ce que doit être cette agence pour que cela fonctionne ? Avant tout, une structure souple et agile, ce que sont déjà l'EPARECA ou l'Agence du numérique. Sa réactivité, sa proximité et sa capacité à travailler avec les élus locaux seront les gages de sa réussite.

Ensuite, elle doit fonder une culture et un projet commun gagnant-gagnant pour les trois structures fusionnées : CGET, Agence du numérique et EPARECA doivent s'inspirer mutuellement des cultures des uns et des autres. Elle doit absolument éviter que cette fusion n'entraîne la fuite des compétences opérationnelles présentes au sein de l'Agence du numérique et de l'EPARECA, très sollicitées par le secteur privé. Pour cela, il est essentiel de rassembler les personnels autour de valeurs qui les caractérisent déjà, la mission d'intérêt général, la chose publique, la solidarité, et de préciser les missions et modes de fonctionnement de chacun.

Enfin, pour que cela fonctionne, les collectivités doivent être au coeur du dispositif aussi bien à l'échelle nationale, par une large représentativité au sein du conseil d'administration et en assurant la présidence de l'agence, mais également au niveau départemental en coprésidant le comité départemental de la cohésion territoriale. J'appelle néanmoins l'attention de mes collègues sur le fait que l'ANCT incarne la manière dont l'État agit au service des collectivités ; à ce titre, il m'apparaît nécessaire de rétablir une majorité, fût-elle courte, au bénéfice des représentants de l'État au sein du conseil d'administration.

Dernier point d'attention, le comité départemental de la cohésion territoriale créé par le Sénat. Telle que je la perçois, cette instance, copilotée par le préfet de département et un élu, doit garantir la fluidité et l'information des collectivités territoriales sur l'action de l'ANCT, mais de manière très souple et opérationnelle. Comme cela ressort des auditions et de nos entretiens sur le terrain, elle ne doit pas créer une étape supplémentaire dans le processus de sélection et de validation des projets. Une nouvelle strate de décision n'est ni nécessaire, ni souhaitable. Elle alourdirait le projet et nuirait au projet global.

Je voudrais maintenant appeler votre attention sur quelques points de vigilance, que j'ai déjà évoqués hier au cours de la discussion générale organisée à la commission du développement durable, devant la ministre de la cohésion des territoires, Mme Jacqueline Gourault.

Pour que le préfet de département puisse assurer sa mission de délégué territorial de l'agence, au coeur du dispositif, il doit être assuré des moyens nécessaires alors même que les effectifs des services déconcentrés de l'État ont été constamment réduits au cours de la dernière décennie. De ce point de vue, le Plan Préfectures nouvelle génération apporte des garanties d'organisation des services de l'État.

Deuxième point de vigilance : l'intégration de la politique de la ville au sein de l'ANCT est un point clé de réussite. La politique de la ville est ancienne, elle a développé et renforcé des outils et des solutions qui gagneraient à être partagées et enrichies. Des difficultés similaires caractérisent nos territoires, qu'ils soient ruraux, ultramarins ou des quartiers défavorisés : l'enclavement et l'absence de moyens de transport, le recul voire la disparition des services publics, des difficultés dans l'accès aux soins, la raréfaction des commerces et de l'emploi…

Depuis plusieurs années, un travail important a été accompli dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et l'ANCT ne vient nullement le remettre en cause. Mais des projets actuels dépassent les zonages essentiels et nécessitent de penser les outils de la cohésion au-delà des limites administratives déjà établies – je pense aux tiers lieux, aux maisons de services au public (MSAP) ou encore au programme Action Coeur de ville.

Enfin, nos auditions nous ont conduits à nous interroger sur la place des acteurs privés dans les relations avec cette future agence : ce sont autant de partenaires des territoires qu'il ne faudrait pas négliger, qu'il s'agisse des chambres consulaires, des organisations professionnelles ou des réseaux d'entrepreneurs. Il est du ressort de notre commission de nous assurer que leur place est garantie dans la future ANCT et j'ai alerté en ce sens la ministre hier en commission du développement durable.

Tel est, Monsieur le président, mes chers collègues, dans les grandes lignes, l'avis que je soumets à notre commission. Notre avis doit être l'occasion de réaffirmer notre engagement permanent pour la cohésion des territoires. Car tout ce que nous travaillons au sein de cette commission doit servir la cohésion des territoires. Je ne doute pas du succès de nos travaux communs pour que l'ANCT devienne un outil inscrit dans une logique gagnant-gagnant, pour un État mieux structuré, au service de collectivités mieux accompagnées.

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