Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du mercredi 11 octobre 2017 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Sophie Cluzel, secrétaire d'état chargée des personnes handicapées :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vais commencer par vous présenter mes collaborateurs ici présents : Virginie Magnant, directrice de cabinet ; Patrice Fondin, conseiller éducation, jeunesse, vie associative ; Yanis Bacha, conseiller sport, culture, réseaux sociaux ; Karen Martinon, cheffe de cabinet, conseillère parlementaire et conseillère diplomatique. Je remercie également M. Jean-Marc Huart, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale, d'être à nos côtés aujourd'hui.

Je suis très heureuse de pouvoir vous présenter cette belle mission portée par le secrétariat d'État aux personnes handicapées, rattaché au Premier ministre, ce qui est très important pour sa transversalité. L'une des premières annonces faites par le Conseil des ministres en juin dernier a consisté à annoncer que le handicap serait une priorité du quinquennat ; le Président de la République a alors réaffirmé ses engagements consistant à faire des citoyens en situation de handicap des citoyens à part entière, en fixant comme premier objectif de changer le regard sur le handicap et les personnes handicapées, afin que nous les voyons vraiment comme des personnes.

Ce bel engagement, nous l'avons décliné en partant d'une expertise des besoins et des attentes des personnes en situation de handicap, afin de construire une politique publique avec eux et pour eux. Le signal était lancé : le handicap allait traverser et irriguer toutes les politiques publiques de droit commun, pour devenir un sujet complet au sein de chaque ministère et dans toutes les compétences des ministres.

Dès le mois de juillet, une première feuille de route est venue concrétiser cet engagement, lorsque le Président de la République a dévoilé les contours du quatrième plan « autisme », qui portait la marque d'un vrai changement de regard, d'une vraie dignité donnée aux personnes autistes, désormais écoutées au plus haut niveau de l'État et surtout objet d'une réelle concertation de tous les acteurs. Quatre ministres étaient présents : la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'éducation nationale, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et moi-même, ainsi que des représentants de toute la société civile, les départements, les recteurs, les inspections, les administrations, pour aborder dans ce quatrième plan des sujets qui n'avaient pas été couverts par les précédents – nous ne partons pas de rien –, notamment en ce qui concerne la prise en charge précoce des personnes autistes, l'emploi des adultes, la recherche, la formation des professionnels. Cela aura également été l'occasion de faire le point sur les actuels consensus scientifiques, car la recherche avance.

Tout était réuni pour lancer ce plan sur la base d'une méthode concertative très intéressante, puisque partant du terrain. La concertation est assurée soit par les agences régionales de santé (ARS), soit par les rectorats, qui sont très impliqués dans une politique de parcours fluide de l'enfant et du jeune autiste, soit par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). La concertation associe désormais les départements, jusqu'alors insuffisamment impliqués alors qu'ils sont les maîtres d'oeuvre de la politique du handicap sur le territoire. Les comités de pilotage sont activés et les plans de concertations sont en cours, pour un rendu prévu début 2018. Nous pourrons revenir devant vous à ce moment afin de vous présenter les propositions devenues effectives.

Parallèlement, le Président de la République a réaffirmé l'un de ses engagements de campagne, celui de revaloriser l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui constitue un revenu minimum pour les personnes handicapées, afin de concourir à la lutte contre la pauvreté de ces publics, qui subissent leur état et se trouvent souvent empêchées de travailler. Cela a constitué le deuxième chantier du début de quinquennat.

Le troisième chantier a été celui de la rentrée scolaire, en concentrant notre action sur une situation dont nous avons hérité. Je tiens à féliciter toutes les administrations, celle de l'éducation nationale comme les ARS, qui se sont mobilisées durant tout l'été afin de pouvoir dresser un état précis des besoins d'accompagnement des enfants en situation de handicap, sujet crucial pour les familles. Afin d'être en mesure d'anticiper les besoins des services décentralisés de l'éducation nationale et des ARS, et surtout les moyens nécessaires pour assurer l'accompagnement, un énorme travail a été accompli, consistant notamment à aller chercher, au sein des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), toutes les notifications en cours.

Heureusement, tous les élèves n'ont pas besoin d'un accompagnement : l'évaluation en aide humaine est effectuée par les MDPH dans le cadre d'un projet personnalisé de scolarisation, aboutissant à définir une compensation pour une situation de handicap, déclinée selon trois axes : l'aide à l'apprentissage, l'aide à la socialisation, l'aide à la vie quotidienne, qui correspondent aux missions des accompagnants. En accord avec l'éducation nationale, nous avons pu estimer le besoin à environ 100 000 accompagnants pour honorer les notifications anticipées lors de la rentrée scolaire. Ainsi, nous avons pu sanctuariser le nombre de 50 000 contrats aidés, auxquels s'ajoutent des accompagnants de droit public, les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), recrutés dans le cadre d'un contrat plus pérenne au sein de l'éducation nationale – un CDD de six ans susceptible de déboucher sur un CDI. Nous avons réussi à bâtir un panorama paraissant à même de couvrir les besoins.

Certes, il s'est encore trouvé des enfants sans auxiliaire de vie scolaire (AVS) à la rentrée, non pour une question de moyens, les budgets ayant été sanctuarisés, mais en raison des problèmes techniques de recrutement. Recruter 50 000 contrats aidés – heureusement, certains étaient déjà en poste et devaient donc simplement être renouvelés – n'est pas chose aisée. Pour être éligible au contrat aidé, il faut être soi-même éloigné de l'emploi, et les services de l'État font preuve à cet égard d'une vigilance qu'on ne saurait leur reprocher, mais qui se traduit par des problèmes de disponibilité de personnels à l'instant « T » de la rentrée. Certains territoires connaissaient une tension particulière du fait de l'état de leurs bassins d'emplois, mais l'éducation nationale s'est montrée attentive et a procédé aux ajustements qui s'imposaient. Une cellule « aide handicap école » assortie d'un numéro vert a été mise en place, et a même été renforcée afin de permettre aux familles de trouver des réponses à leurs interrogations. L'éducation nationale a donc été pleinement mobilisée pour que cette rentrée scolaire se passe au mieux.

Dès le 20 septembre dernier, un comité interministériel du handicap (CIH) s'est tenu à Matignon, sous l'égide du Premier ministre et selon le format « conseil des ministres », c'est-à-dire en présence de tous les ministres ou de leurs représentants. La question posée à chacun d'eux était très simple : « Comment comptez-vous améliorer la vie quotidienne des personnes handicapées dans votre domaine de compétences ? ». Car ce que les personnes en situation de handicap veulent, c'est tout simplement vivre la vie la plus ordinaire possible, dans le droit commun, dans tous les domaines – scolaires, professionnelle, sociale, culturelle, sportive –, comme tout un chacun, et surtout bénéficier d'un accès simplifié au droit et d'une meilleure lisibilité de tout ce qui peut leur permettre de compenser leur handicap.

Cinq grandes thématiques ont été abordées au cours de ce CIH, qui a été ouvert par deux personnes en situation de handicap : Josef Schovanec, autiste de haut niveau, qui a posé la problématique de la visibilité de la personne et du changement de regard porté sur le handicap, ainsi que Ryadh Sallem, athlète paraplégique paralympique, champion de natation, de basket et de rugby fauteuil, qui a rappelé le besoin des personnes handicapées de vivre une vie ordinaire. Des jeunes déficients intellectuels, en apprentissage dans le centre de formation d'apprentis (CFA) rattaché à un lycée hôtelier, étaient également présents et ont assuré le service et l'accueil des ministres et de la presse durant toute cette journée. C'était l'occasion ou jamais de changer le regard ; et pour changer le regard, il faut donner de la visibilité aux personnes.

Une fois cette commande passée aux ministres, chacun d'eux a travaillé dans sa politique de droit commun, cherchant à identifier les leviers à activer pour changer la vie quotidienne des personnes handicapées. Tout le parcours de vie des personnes handicapées a été passé en revue, de la crèche à l'université : comment améliorer l'accès à la crèche pour les enfants handicapés, puis l'accès à l'école et à une vraie formation professionnelle, tout cela en vue d'accéder à un véritable parcours d'emploi, puisque l'une des demandes les plus importantes des personnes handicapées est de pouvoir accéder au monde du travail, ce qui soulève des questions en termes de formation professionnelle, de qualification, d'accès à l'emploi mais aussi et surtout de maintien dans l'emploi ; l'accès à une vie sociale, culturelle et sportive la plus épanouie possible, toujours dans le droit commun, a également été évoqué.

Enfin, l'accent a été mis avec force sur la thématique suivante : comment accéder à ces droits et simplifier l'accès aux droits ? Comment ne plus avoir à faire tout au long de sa vie la preuve de son handicap ? C'est pour les personnes en situation de handicap un vrai parcours du combattant : face aux institutions, elles doivent en permanence prouver qu'elles sont éligibles à une compensation. Nous avons là un réel effort de simplification et d'allégement des procédures à faire pour en finir avec ces évaluations successives, compliquées, souvent redondantes et particulièrement pénibles à vivre.

Un axe important des réformes à accomplir est celui de l'amélioration des délais et du service rendu par les MDPH, qui cristallisent beaucoup d'attentes et d'insatisfactions de la part de nos concitoyens. Je rappelle que ces maisons sont gérées par les départements avec une gouvernance prenant la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), dans lequel sont mis à disposition des personnels de différents horizons – éducation nationale, ARS, conseil départemental, milieu hospitalier. Les équipes pluridisciplinaires des MDPH ont pour tâche de travailler à l'évaluation des besoins de compensation. Les missions qui leur ont été confiées n'ont cessé de se complexifier au fil du temps ; la multiplication de dispositifs, d'outils, de référentiels s'est traduite par un allongement des délais au fil des ans. À cela il faut ajouter que faute de disposer d'un système d'information unique, nous n'avons pas de pilotage national des politiques du handicap ni de vision d'ensemble des places disponibles sur le territoire, des droits notifiés et de la situation des personnes.

Nous avons par conséquent demandé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui gère l'animation des MDPH, d'accélérer le déploiement d'un système d'information commun aux 102 MDPH ; nous avons embarqué les départements et les présidents de conseils départementaux dans cette dynamique visant à nous doter enfin d'un outil informatique qui nous permettra de piloter beaucoup mieux la politique du handicap. C'est un très gros chantier, qui implique de déployer un nouveau référentiel des métiers, mais qui améliorera réellement les délais de traitement, la qualité de l'évaluation et le service rendu.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'un tel bouleversement d'un système informatique se traduit par un allongement, au moins temporaire, des délais de traitement des dossiers. Nous devons tenir bon car, à terme – un terme que nous espérons avancer à fin 2018, début 2019 –, nous devrions enfin pouvoir disposer d'une idée précise de ce que nos citoyens attendent et surtout d'une vision de l'état des places disponibles sur le territoire, en établissements médicaux comme au sein des différents services.

Parallèlement, changer le regard, cela passe aussi par une capacité à mobiliser les talents des personnes en situation de handicap. De ce point de vue, l'obtention des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 va constituer un très beau tremplin en permettant une accélération de la mise en accessibilité des transports pour les citoyens handicapés – en Île-de-France, mais pas seulement – et surtout la possibilité de faire connaître et reconnaître les talents et les compétences des athlètes paralympiques en leur donnant une grande visibilité dans les médias. L'espoir véhiculé par l'image de ces athlètes de haut niveau va également nous permettre de développer, en partenariat avec la ministre des sports, les thématiques du sport pour tous et du sport santé, ce qui, nous l'espérons, aidera nos concitoyens en situation de handicap à améliorer leur quotidien.

Changer le regard sur le handicap, c'est aussi permettre aux personnes en situation de handicap d'accéder à la culture, mais surtout à la pratique artistique. Pour cela, nous travaillons en étroite collaboration avec la ministre de la culture, Françoise Nyssen, pour améliorer la pratique artistique dans les conservatoires, dans les théâtres et tous les lieux de création artistique, toujours dans l'idée de rester dans le droit commun, c'est-à-dire la proximité. Cela implique de travailler sur la formation des professionnels du sport et de la culture qui accueillent des personnes en situation de handicap, car nous ne voulons plus que les personnes handicapées voient les portes se fermer à leur approche et s'entendent conseiller d'aller voir un spécialiste : au contraire, il faut que toute personne en situation de handicap puisse être accueillie où elle le souhaite, à proximité de chez elle, pour pouvoir vivre sa vie de la façon la plus simple et la plus ordinaire possible.

La rentrée scolaire étant passée, nous avons, conformément aux engagements du Président de la République et à la mission qui m'a été confiée, ouvert un chantier copiloté avec l'éducation nationale et mon secrétariat d'État, visant à améliorer la professionnalisation des accompagnants – AVS, AESH, etc. C'est une problématique récurrente. Des réunions ont déjà eu lieu afin de réfléchir à la professionnalisation de ces accompagnants, à leur cadre d'emploi, leur statut, et de voir comment pérenniser leurs missions afin de parvenir à une meilleure anticipation des moyens dès la rentrée 2018.

Parallèlement, l'éducation nationale s'est engagée à ouvrir, sur le quinquennat, 250 unités localisées d'inclusion scolaire, surtout au sein des collèges et des lycées, afin de constituer un maillage sur le territoire et de tracer un parcours pour les élèves handicapés, afin de les faire monter en qualification. Aujourd'hui, il reste encore un plafond de verre à briser pour l'accès aux études supérieures et à une vraie formation. Ce plafond de verre tient pour une part aux personnes concernées elles-mêmes, qui ont fortement tendance à s'autocensurer ; nous voudrions qu'au contraire, les personnes handicapées et les jeunes cherchent à aller plus loin, au bout de leurs rêves, de leurs ambitions et de leurs attentes. Mais il tient aussi au maillage des différents dispositifs dans le secondaire. Nous travaillons également sur ce point avec la ministre de l'enseignement supérieur, afin de permettre aux étudiants handicapés d'accéder aux études supérieures et de les y accompagner ; une mission d'ambassadeur en service civique va d'ailleurs être proposée à des étudiants, visant à favoriser l'accès des étudiants handicapés et surtout à les placer dans des conditions de vie quotidienne beaucoup plus confortables durant leurs études supérieures.

La rupture de parcours est due aussi à l'usure sociale des familles, qui baissent parfois les bras devant la multitude de difficultés auxquelles doit faire face un jeune handicapé voulant suivre des études supérieures : les problèmes de mobilité, de transport, d'accès aux bâtiments et au logement, constituent un tout encore plus prégnant pour l'étudiant handicapé que pour l'étudiant valide. Un gros travail s'impose pour favoriser le parcours des étudiants handicapés dans le secondaire et dans les études supérieures, afin de leur permettre d'obtenir une qualification – d'autant plus indispensable que le taux de chômage des personnes handicapées est le double de celui des personnes valides, et que leur qualification est nettement inférieure à celle du reste de la population, puisqu'elle se situe au niveau V de la classification de l'INSEE – sortie après l'année terminale de CAP ou BEP ou une sortie de second cycle général et technologique avant l'année terminale, autrement dit avant le bac.

Enfin, je vous informe que la rapporteure spéciale de l'ONU sur le droit des personnes handicapées est actuellement en France pour rédiger un rapport sur la situation de notre pays dans ce domaine ; elle donnera une conférence de presse sur ce thème vendredi. Faisant partie des nombreux ministres qui l'ont reçue, je peux vous dire qu'elle a manifesté un intérêt particulier pour la question du droit des personnes handicapées. Il faut savoir que nous avons en France un taux de mise sous tutelle – impliquant une perte du droit de vote – assez élevé par rapport aux autres pays ; c'est un point auquel l'ONU est très sensible. Nous allons devoir nous employer durant le quinquennat à améliorer le droit des citoyens handicapés à être de vrais citoyens.

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