Intervention de Philippe Gomès

Séance en hémicycle du jeudi 21 février 2019 à 15h00
Protéger la population des dangers de la malbouffe — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomès :

Nous examinons cet après-midi une proposition de loi présentée par nos collègues du groupe La France insoumise. Elle procède d'une ambition louable, celle de protéger nos concitoyens des dangers de ce que l'on appelle la malbouffe, c'est-à-dire la prolifération dans nos assiettes d'aliments ultra-transformés, très sucrés et très salés et à faible valeur nutritive.

Permettez-moi, avant toute chose, d'évoquer le cas des agriculteurs. Ceux-ci vivent comme une injustice le fait d'être parfois mis sur le banc des accusés et ressentent les accusations dont ils font l'objet comme une sorte de dépossession des produits de la terre dont ils sont à l'origine. Il faut le redire avec force à quelques jours de l'ouverture du Salon de l'agriculture : notre agriculture fait partie des meilleures du monde. Si toute la planète disposait de produits agricoles et de denrées alimentaires de la qualité de celles que produisent nos agriculteurs, il y aurait tout lieu d'être satisfait.

Toutefois, par les questions qu'elle soulève, l'initiative de nos collègues est intéressante. En effet, elle fait écho aux préoccupations et aux grandes tensions qui traversent nos sociétés.

Nos modes de vie n'ont plus rien à voir avec ceux des générations précédentes. Le temps où nous prenions, justement, le temps de cuisiner est presque révolu, et la consommation de produits transformés, voire ultra-transformés, est désormais la norme. Que l'achat de plats préparés ait été multiplié par six au cours des dernières décennies est, à ce titre, particulièrement significatif.

L'essor de ces produits industriels n'est pas condamnable en soi, car il a contribué à une meilleure sécurité sanitaire et permis au plus grand nombre d'avoir accès à des produits jusqu'alors inaccessibles.

C'est dans ce contexte que se font jour des interrogations et des inquiétudes sur la provenance et le traitement des aliments que nous mangeons. Des scandales sanitaires récurrents contribuent à entretenir la méfiance de nos concitoyens envers la qualité des produits qui se trouvent dans leur assiette.

Les consommateurs attendent légitimement plus de transparence de la part de l'industrie agro-alimentaire – les deux termes étant largement antinomiques – sur la composition et la qualité nutritionnelle des aliments qui leur sont proposés.

La question des additifs entrant dans la composition des produits alimentaires suscite par ailleurs, et à juste titre, des préoccupations. Aujourd'hui, plus de 350 additifs sont autorisés. Or l'utilité de certains est loin d'être évidente, ainsi que l'a relevé le rapport de la commission d'enquête sur l'alimentation industrielle de notre Assemblée. Leur utilité se limiterait parfois à créer artificiellement des saveurs ou à rendre la couleur des aliments plus attrayante afin d'en favoriser l'achat.

De plus, l'absence de dangerosité des additifs autorisés n'est aujourd'hui pas avérée, notamment dans le cas des « effets cocktail ». Il est donc légitime de chercher à faire évoluer les pratiques industrielles d'emploi des additifs dans les aliments transformés et ultra-transformés.

La qualité de l'alimentation constitue enfin un important enjeu de santé publique. L'alimentation est aujourd'hui au troisième rang des causes de cancer évitables, et elle est aussi directement liée à de nombreuses maladies chroniques comme l'obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires.

Par ailleurs, les études scientifiques confirment que les déterminants sociaux représentent un facteur crucial pour l'accès à une alimentation plus variée et de meilleure qualité.

Dans les territoires d'outre-mer, dont Ericka Bareigts a parlé, l'obésité est particulièrement prégnante, notamment chez les jeunes générations. À voir les jeunes de mon archipel avec une bouteille de boisson sucrée à la main dès le plus jeune âge, on comprend pourquoi le diabète est sur notre territoire un fléau de santé publique.

Le rapport rendu en septembre dernier en conclusion des travaux de la mission relative à la prévention santé en faveur de la jeunesse souligne que si, en 2014, 3,6 % des enfants métropolitains de CM2 sont en situation d'obésité, ce taux atteint 5,5 % dans les outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, l'obésité et le surpoids touchent ainsi plus de la moitié de la population.

Nous sommes donc convaincus que, sur ces sujets, nous devons aller plus loin en matière d'information et de prévention. L'éducation à une bonne alimentation ne pourra se faire que grâce à un effort accru de l'ensemble de la communauté éducative, à commencer bien sûr par les parents. Nous devons également encourager nos concitoyens à faire davantage d'exercice physique.

Le dispositif que proposent nos collègues a donc le mérite de mettre cet important sujet sur la table. Il nous paraît cependant à la fois inabouti et peu applicable en l'état.

Les articles 1 et 2, certes séduisants en théorie, constituent des obligations trop générales, peu applicables et par ailleurs contraires à nos engagements conventionnels. En effet, l'interdiction de l'utilisation d'additifs ne peut être appliquée que s'ils constituent un risque avéré pour la santé et, si la dangerosité n'a pas été établie, elle est contraire au principe de libre concurrence et de libre circulation des marchandises prévu par le droit européen.

Les auditions des représentants des industries agro-alimentaires réalisées par la commission d'enquête sur l'alimentation industrielle ont par ailleurs mis en évidence une prise de conscience sur cette question et la mise en oeuvre de politiques de réduction de l'utilisation de ces additifs.

C'est sur cette base, plutôt que par un dispositif coercitif qui trouvera rapidement ses limites – Ericka Bareigts a rappelé la faible application de la loi adoptée en 2013 pour diminuer le taux de sucre de certaines boissons dans les outre-mer – , que nous devons avancer. Nous devons le faire, de manière très volontariste, en partenariat avec les représentants des industries agro-alimentaires.

Une interdiction pure et simple de toute publicité pour les aliments à destination des enfants, comme le prévoit l'article 3, n'opère par ailleurs pas de distinction entre la malbouffe et les aliments ayant une bonne qualité nutritionnelle.

Elle serait donc, à notre sens, contre-productive.

Du reste, une telle mesure relève très probablement du niveau réglementaire.

Enfin, la mise en place d'un apprentissage hebdomadaire de la nutrition à l'école, outre que celui-ci existe déjà dans notre droit, de manière peut-être plus souple et adaptée, constituerait une charge supplémentaire pour les enseignants dans un contexte horaire déjà contraint.

Nous considérons d'ailleurs, de manière générale, qu'il faut demander à l'école de rester fidèle à sa mission première : elle doit demeurer le lieu de l'apprentissage des savoirs fondamentaux et de l'émancipation intellectuelle de nos enfants, en vue de former des citoyens.

C'est donc avec des réserves que le groupe UDI, Agir et indépendants aborde l'examen de cette proposition de loi. Il se prononcera à l'issue des débats, en fonction des évolutions intervenues.

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