Intervention de Daniel Hissel

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 9h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Daniel Hissel, professeur à l'Université de Franche-Comté :

Je souhaite, en guise d'introduction, vous présenter en quelques mots la Fédération FCLAB. Cette fédération travaille depuis vingt ans environ dans le domaine des systèmes pile à combustible, de la recherche amont jusqu'à l'accompagnement des industriels au service de la filière. Nous disposons donc d'une vision relativement complète, tant de la situation française que du contexte mondial.

En matière de transition énergétique, l'hydrogène présente, d'un point de vue scientifique, un atout qu'il convient de souligner : il est en effet l'élément le plus abondant, constituant 92 % des atomes de l'univers. Il s'agit d'un vecteur énergétique, fabricable en tout lieu à partir de l'électricité. Son intérêt est également lié au fait qu'il présente un bon rendement en termes de production, en particulier lorsque cette dernière est envisagée à partir d'énergies renouvelables, d'électrolyseurs. L'hydrogène est de surcroît facile à stocker et à transporter, quasiment sans perte. Il est surtout non polluant à l'usage, puisque lorsqu'il est utilisé dans des piles à hydrogène, il n'émet que de la vapeur d'eau. Il représente donc le vecteur énergétique par excellence, pour différentes applications, du domaine du transport à la production énergétique stationnaire.

Je travaille sur ces sujets depuis une vingtaine d'années et constate depuis deux ou trois ans une très forte évolution du marché, qui est passé d'une logique d'offre à une logique de demande, avec des enjeux sur des marchés précurseurs allant de la mobilité de niche à l'alimentation de sites isolés, aux groupes électrogènes, avec d'importants investissements publics et privés. Je recevais par exemple hier dans mon laboratoire un grand industriel chinois qui fabrique des véhicules et a décidé d'investir de façon considérable dans l'ensemble de la filière, avec un objectif de commercialisation de véhicules en 2022.

La France est très bien placée dans ce contexte mondial, avec une recherche reconnue de très haut niveau sur toute la chaîne de valeur et un tissu important de TPE, de PME et de grands groupes, présents ici ce matin.

Il est important de souligner que l'on se situe dans une logique de substitution, consistant à remplacer des technologies existantes par d'autres, ce qui engendre un certain nombre de freins.

Le premier frein est lié aux réticences de la part de certains industriels présents dans les industries carbonées. Nous faisons ainsi face aujourd'hui à divers lobbies.

J'estime par ailleurs que nous manquons d'une véritable feuille de route au niveau de l'État, donnant une vision claire sur un grand nombre d'années tant au secteur de la recherche qu'au monde industriel. Nous nous interrogeons par exemple de façon récurrente sur la potentielle instauration d'une taxe sur l'hydrogène à moyen terme, qui pourrait infléchir les décisions d'investissement des industriels, tant au niveau de la recherche que pour le déploiement de la filière.

Il est également important, dans ce contexte, d'être en capacité de déployer un grand plan pluriannuel pour l'hydrogène en matière de recherche, via l'Agence nationale de la recherche (ANR), afin que les laboratoires puissent avoir une idée claire de la politique de l'État dans ce domaine. La mobilisation des chercheurs nécessite en effet d'avoir une perspective à moyen et long terme ; il ne s'agit pas de répondre à des sollicitations au coup par coup.

Il serait en outre intéressant de bénéficier du soutien de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) pour l'achat de systèmes hydrogène énergie à destination des particuliers et pas uniquement pour accompagner l'installation ou la démonstration. Cela permettrait de déclencher des achats, donc de mettre progressivement en place une filière.

Il convient par ailleurs d'insister sur l'enjeu majeur qui est la production propre d'hydrogène. Il existe différentes voies de production de l'hydrogène : à partir d'énergies fossiles, de la valorisation de l'hydrogène coproduit dans l'industrie ou encore et surtout à partir d'énergies renouvelables. Imaginons que l'on fasse rouler 100 % de la flotte de véhicules routiers française actuelle à l'hydrogène issu par électrolyse d'énergies renouvelables – hydraulique, photovoltaïque, éolien et biomasse–, alors il faudrait alors multiplier par cinq ce qui existe en matière d'énergies renouvelables, ce qui n'apparaît pas totalement insurmontable. Certes, cela n'a pas de sens d'un point de vue technologique, mais constitue une indication intéressante. e.

Il est également envisageable de mener une politique incitative ou coercitive pour développer des marchés et faire évoluer certains industriels vers ce domaine. Cela pourrait consister par exemple à interdire l'accès aux centres-villes pour les véhicules thermiques, à un horizon à définir, ce qui permettrait de créer un marché de flottes captives, de type bus, taxis ou bennes à ordures ménagères électriques, tout en apportant des améliorations en termes de nuisances sonores et de qualité de l'air, donc de santé.

Je terminerai en évoquant la question des normes et certifications. Nous avons réellement besoin d'un centre de référence français pour la certification des produits et, au niveau des normes, d'un véritable « choc de simplification ». L'installation d'hydrogène dans un établissement recevant du public est, par exemple, régie par un arrêté du 25 juin 1980, comportant 320 occurrences liées aux gaz combustibles, dont 23 concernent le butane et le propane et seulement deux concernentl'hydrogène.

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