Intervention de Marc Cheverry

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 11h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Marc Cheverry, directeur de l'économie circulaire et des déchets à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) :

Je suis actuellement directeur de l'économie circulaire et des déchets à l'ADEME, mais ai également connu antérieurement l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (ANRED), si bien que j'ai vécu le développement de la méthanisation depuis les années 1990.

Je souhaiterais tout d'abord souligner le travail considérable, retracé par Mme Coron, effectué au niveau du groupe de travail méthanisation dont nous partageons les mesures et les conclusions : il est le fruit d'une dizaine d'années de mobilisation et de professionnalisation de l'ensemble des acteurs de la méthanisation.

Les enjeux de la méthanisation résident bien évidemment dans une production d'énergie renouvelable à partir de biomasse, mais également dans la possibilité de dégager de la valeur ajoutée sur les territoires. La méthanisation représente en effet un ensemble de filières qui obéissent à des substrats et des modèles économiques différents. Elle ne se limite pas à la filière de méthanisation agricole, bien que cette dernière soit prépondérante et vecteur de développement. Elle comporte aussi le développement de la méthanisation sur les stations d'épuration d'eaux usées urbaines ou industrielles, ce qui constitue un élément de développement fort pour les années à venir. Elle consiste également en la récupération et la valorisation du biogaz provenant des installations de stockage de déchets, notamment dans la partie organique. Elle renvoie enfin aux modèles des industries agroalimentaires et du monde agricole. Tous ces modèles économiques sont différents et il convient à chaque fois d'adapter l'installation et le procédé de traitement à des intrants spécifiques.

Dans ce contexte, l'ADEME a distribué, entre 2007 et 2018, 355 millions d'euros d'aides à la méthanisation, dont plus de 250 millions directement aux projets, c'est-à-dire soit au niveau des études de faisabilité, soit pour les investissements liés à ces projets, essentiellement dans le domaine de la méthanisation agricole. Notez que l'ADEME n'aide pas le dispositif de récupération de gaz sur les installations de stockage de déchets, puisque cela relève d'une obligation réglementaire. Elle intervient par ailleurs de manière ponctuelle sur les stations d'épuration, puisque d'autres acteurs, dont les agences de bassin, s'en chargent majoritairement. Plus de 980 projets ont ainsi été soutenus. Vous constaterez la différence entre le nombre de projets en fonctionnement et le nombre de projets soutenus : cela tient au fait qu'entre l'accord de soutien à un projet et sa mise en fonctionnement, quatre ou cinq années peuvent s'écouler. Même si ce délai tend à diminuer, il reste long, ce qui peut s'expliquer à la fois par l'existence de divers freins sur lesquels je vais revenir et par le fait que la filière est encore en phase d'apprentissage. Les directions régionales de l'ADEME ont recensé, pour 2019, 240 projets matures, dont 200 susceptibles d'être instruits dès cette année, pour un total d'aides demandées d'environ 140 millions d'euros. Or le budget de l'ADEME prévoit d'y consacrer quelque 50 millions d'euros d'aides directes. Cela vous donne un aperçu du décalage qui existe dans ce domaine. Je tiens ce faisant à signaler que l'ADEME a vraiment joué un rôle important pour aider à la construction, l'émergence et la professionnalisation de cette filière ; mais il convient aujourd'hui de trouver d'autres moyens, éventuellement hors de l'ADEME, pour être véritablement en phase avec l'ambition de développement de cette filière.

Notre expérience nous a par ailleurs permis d'identifier différents freins. Le premier concerne le financement de ces projets, essentiellement agricoles. Le principal écueil est lié à une certaine réticence des acteurs financiers habituels à s'engager dans cette filière et à une absence de fonds propres des porteurs de projets du monde agricole. Si je caricaturais, je pourrais dire que les acteurs financiers souhaitent une mise de fonds propres de 20 %, alors que le monde agricole, dans les dossiers aidés par l'ADEME, n'apporte qu'entre 4 % et 10 % : on attend donc que l'ADEME ou un autre organisme apporte le complément sous forme de fonds propres, en subventions. Il existe là un vrai problème et une réflexion à mener, à la fois sur le montage financier de ces opérations, sur le partage de la valeur et sur la façon d'être en cohérence avec les ambitions et le nombre de projets. Je précise que le dispositif de soutien financier de l'ADEME a pour vocation d'attribuer un complément de financement sous forme de subvention, pour faire en sorte que le modèle économique sur dix ans soit rentable, non pour apporter des fonds propres. Notre aide est calculée sur la rentabilité des projets à dix ans, compte tenu des autres soutiens existants, dont les tarifs d'achat. On se trouve donc aujourd'hui dans une situation de dérive ou de perversion du système, qui souhaiterait que l'ADEME, au-delà de l'apport de subventions pour un équilibre économique, apporte également des compléments de financement.

Nous constatons en outre aujourd'hui qu'un certain nombre de projets, y compris dans le monde agricole, compte tenu des tarifs de soutien existants ou des mesures prévues, deviennent rentables et n'auront plus besoin de financements aussi lourds que par le passé pour assurer leur rentabilité à moyen et long terme.

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