Intervention de Sébastien Jumel

Séance en hémicycle du mardi 5 mars 2019 à 21h30
Débat sur la judiciarisation et la criminalisation de l'action militante

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel :

J'avais un discours vachement bien écrit, qui dressait la liste des gueules cassées, des vies brisées et des protestations empêchées ces derniers mois. Il mettait l'accent sur la manière dont l'action militante et syndicale a été abîmée ces dernières années, notamment avec la réforme de la loi travail. Et finalement je me suis dit – c'est mon copain Ruffin qui m'a donné l'idée – que dans ce monde de brutes, il fallait peut-être un peu de poésie. J'ai eu envie de relire dans l'hémicycle le poème de Prévert que François Ruffin a revisité et que je trouve d'une profonde actualité pour le débat qui s'annonce. Il s'intitule : Il ne faut pas rire avec ces gens-là.

« Camarades,

Vous avez l'oubli trop facile

Et votre colère tombe vite

Vous êtes vivants... vous aimez rire

Le bourgeois raconte qu'il aime rire

Alors vous riez avec lui

Pourtant son rire n'est pas le même que le vôtre

Ce n'est pas un véritable rire

L'homme rit

Le bourgeois ricane

Écoutez.

En 1871, les communards sont tombés par milliers

Monsieur Thiers souriait

Les femmes du monde souriaient

Elles se payaient une pinte de bon sang

Pendant la fameuse glorieuse dernière avant-dernière grande guerre

Le président Poincaré rigolait dans les cimetières

Oh ! pas aux éclats naturellement

Un petit rire discret

Un petit gloussement

Un rire d'homme du monde

Un joyeux rire d'outre-tombe

Depuis le mois de février on a tué en France beaucoup d'ouvriers

et le président Doumergue n'a pas cessé de sourire

C'est une habitude... un tic...

Deibler aussi quelquefois sourit...

Tardieu sourit...

Hitler aussi...

C'est le sourire du capital

le sourire de la bourgeoisie

c'est le rire de la Vache qui rit

Un rire aimable... un sourire impitoyable.

Excusez-moi, je regrette, dans le fond, je vous aime bien

Et si je donne l'ordre de vous abattre comme des chiens

C'est parce que c'est la coutume, je suis là pour ça, je n'y suis pour rien...

C'est la coutume

il y a trop de travailleurs dans le monde

il faut les expédier dans l'autre

trop de travailleurs, trop de café, [... ] trop de fraises des bois,

trop d'instituteurs...

À la mer le café

Au vestiaire la canne à sucre

À l'égout le beurre

Aux chiottes les primeurs [... ] »

Il ne faut pas rire avec ces gens-là. Par les temps qui courent, après l'humiliation des ronds-points démantelés chaque jour alors qu'ils se reconstruisent, et alors que la France des oubliés a tenté de retrouver de la lisibilité, du respect et de la dignité, un peu de poésie dans ce monde de brutes pourra éclairer l'Assemblée nationale.

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