Intervention de Thibault Bazin

Séance en hémicycle du mercredi 6 mars 2019 à 15h00
Débat sur les effets des aides fiscales dans le secteur du logement sur l'évolution des prix du foncier et sur la redistributivité du système fiscal

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThibault Bazin :

Le thème de ce débat nous interroge. Par cette inscription, la majorité veut-elle, avec le MODEM, nourrir le discours stigmatisant des pouvoirs publics sur la fiscalité immobilière ? Ce ne serait pas étonnant, puisqu'Emmanuel Macron répète à l'envie que l'immobilier coûte trop cher à l'État et crée peu d'emplois.

Contrairement aux idées reçues, l'immobilier est pourtant rentable pour l'administration fiscale. Les différents dispositifs en faveur de l'aide au logement ont coûté 41 milliards d'euros aux finances publiques en 2017 ; mais, dans le même temps, les différentes taxes ont apporté à l'État 74 milliards, soit 32 milliards d'excédents.

Ou bien la majorité veut-elle enfin reconnaître, par ce débat, les effets néfastes de la réduction dramatique des aides qu'elle a imposée au secteur du logement au début de ce quinquennat ?

Les effets qu'induit la concentration des aides dans les zones très denses sont clairs : baisse de l'offre, hausse des prix, baisse de la production de logements. Au cours du seul dernier trimestre, le nombre de nouvelles constructions a baissé de 20 %.

L'année 2018 a connu des baisses inquiétantes : moins 7 % pour les mises en chantier, moins 7 % aussi pour les permis de construire, moins 15 % pour les maisons.

Sous votre gouvernement, la France est retombée sous le seuil des 400 000 logements. En 2019, la tendance à la baisse persiste, et votre gouvernement en est en partie responsable.

L'avenir inquiète. En parlant de dizaines de niches fiscales dans l'immobilier, on pourrait faire croire que ce sont des citoyens très riches qui en bénéficient. En réalité, ceux qui sont assez riches fuient l'immobilier.

Considérons les niches fiscales, en commençant par les plus coûteuses pour les finances de l'État. Les premières sont en réalité celles destinées à soutenir les Français qui veulent rénover leur logement et réduire leur précarité énergétique. Elles représentent près de 4,3 milliards d'euros au titre de la réduction de la TVA à 10 % et 5,5 %.

Le deuxième groupe de ces dépenses fiscales vise à soutenir le logement aidé, en réduisant la TVA sur certaines opérations et en exonérant certains promoteurs de l'impôt sur les sociétés, pour un coût proche de 3,6 milliards d'euros.

Le troisième groupe vise à aider les ménages aux revenus modestes à accéder à la propriété par le prêt à taux zéro, pour près d'1,1 milliard d'euros.

Le quatrième correspond à la réduction d'impôt sur le revenu accordée par les dispositifs Duflot et Pinel, pour un montant de 767 millions d'euros seulement. Ces investissements privés dans la pierre intéressent d'abord la classe moyenne supérieure, car les Français les plus aisés sont assez riches pour investir dans d'autres produits, plus rentables.

Ces investissements privés favorisent surtout la mixité des statuts dans les immeubles collectifs. Ils sont même indispensables si l'on veut construire des immeubles collectifs et promouvoir une certaine densité de l'habitat, car les accédants à la propriété mettent davantage de temps à se décider, ce qui rend difficile pour les promoteurs d'atteindre des taux minimums de précommercialisation pour lancer ces opérations.

Les niches fiscales n'abritent pas « des chiens qui aboient », mais sont destinées à des Français qui ont besoin de logements accessibles, peu énergivores.

La majorité lance ici un faux débat sur le lien entre les aides fiscales et le prix du foncier, d'une part, et la redistributivité du système fiscal d'autre part.

Faisons preuve de lucidité, en écartant les idées préconçues. La part consacrée au foncier est négligeable dans les zones où l'aide fiscale est indispensable pour soutenir la solvabilité des ménages candidats à l'accession. Ainsi, le foncier représente moins de 10 % en zone B1 à Vandoeuvre-lès-Nancy, dans le périmètre éligible à la TVA réduite, à proximité d'un quartier prioritaire de la ville. Au contraire, le foncier peut représenter près des deux tiers d'un bien à Paris, et l'aide fiscale plafonnée représente 20 % de ce coût du foncier. Elle ne peut donc pas être tenue pour responsable de l'augmentation des prix. On peut même se demander si elle constitue une aide efficace.

Les questions que nous devons nous poser pour déterminer notre politique budgétaire et fiscale en matière d'aides dans le secteur du logement doivent conduire à préciser qui doit en bénéficier, et dans quels territoires.

Par la quasi suppression de l'APL accession et la division par deux de la quotité finançable par le prêt à taux zéro pour plus de 90 % du territoire français, votre politique a supprimé ou limité les aides fiscales destinées à ceux qui, sans elles, se voient contraints d'abandonner leur projet. Le résultat est immédiat : moins de constructions.

Il faudrait au contraire assumer une politique volontariste de soutien à l'accession à la propriété là où le foncier ne coûte pas cher.

Ces niches fiscales se justifient d'autant plus qu'elles sont efficaces et qu'elles suscitent de l'activité qui n'existerait pas sans elles. Cette activité engendre elle-même des recettes fiscales.

La fiscalité immobilière a un gros défaut : elle change tout le temps. Or les investisseurs ont besoin de stabilité, de lisibilité. Nous attendons toujours, monsieur le ministre, des précisions sur les opérations de revitalisation du territoire – ORT – , afin de pouvoir bénéficier du dispositif Denormandie pour le logement ancien. Qui pourra les signer ?

Le climat est peu favorable à l'investissement dans notre pays. Qui peut faire confiance à un gouvernement qui ne sait pas lui-même où il va ? Il en résulte inéluctablement un attentisme certain, particulièrement dans l'immobilier. Les chiffres le montrent : la construction baisse.

Il faut dire que ce gouvernement n'aime pas la pierre ou, du moins, n'aime pas les propriétaires. Or la pierre a une vertu fondamentale : elle permet aux personnes de se loger.

Le prix du logement est déterminant. L'équilibre économique des opérations est de plus en plus difficile à trouver. La capacité d'acquisition ou de rénovation de logements est de plus en plus réduite.

Je vous invite, monsieur le ministre, à ne pas vous cacher derrière l'unique prétexte des élections municipales à venir pour justifier la baisse de la production de logements.

Moins de soutien aux candidats à l'accession à la propriété, moins de territoires éligibles aux investissements immobiliers, moins de soutien aux bailleurs sociaux : voilà les trois causes principales de la baisse de production. Il est urgent de changer de politique, et d'offrir à tous les territoires la possibilité d'un développement équitable de logements.

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