Intervention de Véronique Louwagie

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 9h30
Rétablissement de l'isf et renforcement de la progressivité de l'impôt sur le revenu — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie :

Depuis plusieurs mois, un vent de fronde souffle sur la France. Excédés par la politique fiscale inégalitaire du Gouvernement, des milliers de Français ont revêtu leur gilet jaune pour dire stop au matraquage fiscal sous le poids duquel étouffent les plus modestes de nos concitoyens. Ce ras-le-bol fiscal n'est pas seulement compréhensible, il est surtout légitime. Avec plus de 1 000 milliards d'euros de prélèvements obligatoires, soit un taux de prélèvements fiscaux et sociaux de 43,5 % du PIB, la France est devenue la championne du monde de l'impôt, selon les études d'Eurostat et de l'OCDE publiées en septembre dernier. Ce matraquage fiscal, en touchant directement les classes moyennes et les plus modestes, a montré toute l'injustice de la politique fiscale de ce Gouvernement.

Dans l'espoir de répondre à la grogne populaire qui couve partout dans le pays, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine proposent le rétablissement de l'ISF et le renforcement de la progressivité de l'impôt sur le revenu. Dangereusement démagogique et totalement contre-productive, cette proposition de loi n'a qu'un seul objectif : transformer les Français les plus aisés en véritables boucs émissaires de la crise du pouvoir d'achat.

Il est pourtant évident que ces mesures populistes, qui cherchent à raviver la lutte des classes au nom d'une vision très dogmatique seraient totalement contre-productives, puisqu'elles risquent, au nom de la justice fiscale, de faire fuir les investissements hors de France sans améliorer pour autant le sort des plus fragiles ou des classes moyennes.

De plus, l'impôt sur le patrimoine n'a pas été supprimé : il a évolué et a été remplacé par un impôt sur le patrimoine immobilier. Or, ce nouvel impôt est plus pénalisant pour certains contribuables, notamment les détenteurs des plus petits patrimoines assujettis à l'ISF.

Certes, et nous en sommes tout à fait d'accord, il est indispensable d'obtenir une baisse rapide de la pression fiscale, en particulier sur les ménages les plus fragiles et les classes moyennes, mais la nécessité de justice fiscale ne doit pas conduire à une chasse aux sorcières systématique à l'encontre des plus fortunés. Il est de notre responsabilité de représentants de la nation de ne pas dresser les Français les uns contre les autres.

Véritable totem de la gauche, l'ISF est un impôt plébiscité par les Français, car il n'est acquitté que par un très petit nombre d'entre eux : avant son remplacement par l'impôt sur la fortune immobilière, l'ISF concernait seulement 350 000 foyers. Cependant, la popularité de cet impôt et la volonté de s'attirer les faveurs des gilets jaunes ne doivent pas nous conduire à céder aux sirènes de l'électoralisme.

Cela est d'autant plus vrai que l'ISF est un impôt inefficace et injuste. Inefficace, car il est un véritable repoussoir à l'investissement, Il fait fuir hors de France les capitaux et les recettes fiscales. Près de 4 000 contribuables déclarant plus de 100 000 euros de revenus ont ainsi quitté le territoire français en 2016. En dix ans, la France a perdu près de 5 000 redevables de l'ISF, entraînant un manque à gagner de près de 20 millions d'euros. Au surplus, cet impôt est viscéralement contre-productif, car il obligeait les actionnaires de PME à vendre leurs sociétés ou les titres qu'ils y détenaient pour être en mesure de payer leur ISF, ce qui empêchait, au bout du compte, la constitution d'un actionnariat familial stable.

L'ISF est également un impôt injuste, car il touche plus les classes moyennes supérieures que les grandes et les très grandes fortunes. Ces dernières développent en effet des stratégies d'optimisation particulièrement efficaces leur permettant d'échapper à l'ISF comme la création de sociétés ou de holdings qui détiennent leur patrimoine et accumulent des revenus directement réinvestis ou versés sous forme de dividendes, lesquels sont soumis au prélèvement forfaitaire unique.

De plus, le plafonnement de l'ISF bénéficie principalement aux contribuables les plus riches. En effet, le montant d'impôt dont s'acquitte un assujetti à l'ISF – impôts sur le revenu, prélèvements sociaux et ISF compris – ne doit pas dépasser 75 % de ses revenus de l'année précédente : ce mécanisme a permis, en 2017, à 9 575 foyers fiscaux de payer un ISF plafonné, économisant ainsi 3 milliards d'euros d'impôts. À l'inverse, l'ISF frappe de plein fouet certaines classes moyennes et les classes moyennes supérieures. D'après le Conseil des prélèvements obligatoires, un contribuable sur cinq soumis à l'ISF en 2017 déclarait moins de 51 000 euros de revenus par an, soit près de 80 000 ménages. Beaucoup plus préoccupant encore, 16 750 ménages s'acquittaient de l'ISF alors même qu'ils déclaraient moins de 18 700 euros de revenus annuels. C'est l'exemple très évocateur du paysan de l'île de Ré : bien que les terres agricoles y soient de grande valeur, l'assujettissement à l'ISF est totalement déconnecté du salaire que ce paysan peut se verser en les exploitant.

Enfin, l'ISF a perdu, au fil du temps, de son potentiel redistributif et de sa légitimité. Conçu à une époque où le rendement de l'épargne était élevé, il pouvait être supportable. Ainsi, à l'ère de l'impôt sur les grandes fortunes, lequel a été créé en 1982, ses taux s'échelonnaient entre 0,5 % et 1,5 %, alors que le taux d'intérêt des emprunts d'État à dix ans culminait à plus de 10 %. Après sa suppression en 1986 et la création de l'impôt sur la fortune, son taux le plus élevé était de 1,1 % pour un rendement des emprunts d'État à dix ans qui était alors de plus de 8 %. Depuis lors, les taux de l'ISF se sont envolés : alors que le rendement des emprunts d'État est en deçà de 1,1 %, son taux maximal dépasse 1,5 %. Du fait de cette évolution, les rendements du patrimoine ne suffisent plus à acquitter l'impôt, poussant certains contribuables à quitter la France ou à vendre leurs actifs ou leur patrimoine.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris : l'ISF est un impôt moribond, qu'il convient de ne pas ressusciter. Malheureusement, le remplacement très dogmatique de l'ISF par l'IFI n'a fait qu'accentuer son caractère injuste, en favorisant les plus riches des plus riches. Alors qu'il épargne les grosses fortunes, dont le patrimoine est essentiellement financier, l'IFI assomme les classes moyennes supérieures qui ont investi dans la pierre. De fait, 40 % des plus petits patrimoines assujettis à l'ISF sont composés d'immobilier, contre 10 % pour les grosses fortunes.

Si l'on ne peut pas toujours revenir sur ce qui a été voté, sous peine d'induire une forte instabilité fiscale, cette stigmatisation de la fortune immobilière n'en est pas moins révélatrice de l'incohérence du macronisme. Le Gouvernement ne voit dans l'investissement immobilier qu'une rente, alors que c'est au contraire, dans certains cas, un moyen pour une famille de transmettre un capital à ses enfants.

La proposition de loi qui nous est soumise vise également à modifier le barème de l'impôt sur le revenu, en passant de cinq à neuf tranches, pour revoir sa progressivité. Au-delà de 112 990 euros de revenus annuels, l'impôt à acquitter serait plus élevé qu'actuellement, avec des taux de 45 % et 50 % contre 41 % et 45 % actuellement. En deçà de 112 990 euros de revenus annuels, l'impôt à acquitter serait globalement plus faible qu'actuellement, au moyen d'un système plus progressif et graduel.

Cette mesure veut, en théorie, réduire légèrement l'imposition des classes moyennes et des classes moyennes supérieures, pour augmenter en contrepartie l'imposition des foyers fiscaux les plus aisés. Néanmoins, ce nouveau découpage de tranches est totalement arbitraire, peu lisible, voire assez incompréhensible, car il pénaliserait directement certains foyers fiscaux de la classe moyenne, en contradiction totale avec l'objectif recherché – les revenus compris entre 20 000 et 27 000 euros annuels seraient, par exemple, taxés à 16 %, au lieu de 14 % aujourd'hui.

Certes, sur le fond, la logique de la mesure et le souci de rééquilibrage qui l'inspire semblent légitimes. Toutefois, prétendre que l'impôt sur le revenu n'est pas assez progressif se révèle fortement contestable, car il est, en réalité, extrêmement concentré – et à raison – sur les Français les plus aisés. En effet, moins de 47 % des foyers fiscaux sont soumis à cet impôt, alors que 10 % des Français en payent 70 %. La concentration est même encore plus forte sur les tranches supérieures. De fait, plus de 40 % de l'impôt sur le revenu a été acquitté par les 2 % de foyers les plus riches, disposant de plus de 100 000 euros de revenus annuels. Là encore, la solution doit venir d'une baisse globale de la pression fiscale, en particulier sur les classes moyennes. C'est pourquoi le groupe Les Républicains propose plutôt de baisser de 10 % les taux des deux premières tranches pour réduire substantiellement la pression fiscale sur les classes moyennes. C'est pour faire valoir ces solutions de bons sens au lieu d'opposer une nouvelle fois les Français les uns aux autres en agitant le spectre de la lutte des classes, que nous, députés Les Républicains, voterons contre un texte démagogique et inefficace.

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