Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 15h00
Revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

En décembre, sur un rond-point de Nîmes, je croisais Natacha, en gilet jaune par-dessus son jogging. Elle galérait, avec son allocation aux adultes handicapés, tellement dans la pauvreté que, comme elle disait : « Je m'habille comme une clocharde. Je n'ai pas changé de vêtement depuis trois ans, et pourtant – sa voix s'étranglait, réclamant la dignité – , et pourtant je suis une femme ! Je suis une femme quand même ! » C'est que son trop peu d'argent, elle le réservait à ses enfants, à leurs vêtements, à leurs repas. Elle, ses compléments alimentaires, elle les cherchait dans les poubelles derrière le Monoprix. « On n'a pas le choix, on n'a pas le choix. Il faut survivre. » Avec ses camarades gilets jaunes, elle s'était rendue à la permanence d'une députée La République en marche du Gard, qui lui prodigua des conseils avisés : « Elle m'a dit que je n'avais qu'à travailler. » Je l'interrogeais : « Et vous lui avez répondu quoi ? » Elle m'a répondu : « Rien, rien, j'en suis restée sur les fesses ! Les entreprises n'embauchent pas les handicapés ; elles préfèrent payer des amendes ! » Dans votre charabia, sur les bancs de la majorité, vous appelez ça de « l'inclusion positive ». Dans ce débat, du côté de La République en marche, je retrouve des échos de l'échange avec Natacha.

Que proposent Marie-George Buffet et le groupe GDR ? Que la pension versée aux personnes handicapées ne varie plus selon leur situation conjugale ; que leur maigre allocation ne soit pas rognée lorsqu'ils se pacsent, se mettent en couple, se marient ou lorsque leur conjoint trouve un emploi ; que cette prestation soit pour eux, pour elles, un gage d'autonomie, l'assurance d'une indépendance. Que répondez-vous ? Qu'avez-vous répondu lors de l'examen en commission ? « Non, pas question, ce que nous voulons, nous, c'est une "inclusion positive". » Je cite la députée marcheuse Emmanuelle Fontaine-Domeizel : « Sortir l'AAH du droit commun des aides irait à l'encontre de la politique d'inclusion sociale des personnes en situation de handicap. Or nous faisons le pari, que vous jugerez peut-être trop ambitieux, de l'emploi et de la formation de ces personnes. Nous voulons favoriser leur inclusion plutôt que de les enfermer dans les minima sociaux. » C'est pour leur bien, entendez-vous, pour leur « inclusion positive », qu'on maintient les personnes handicapées sous le seuil de pauvreté, histoire que ça les motive, que ça les stimule, que ça les booste vers l'emploi, qu'il y ait une contrepartie, tout de même, à leurs 900 euros d'allocations.

Le Gouvernement n'a pas songé, en revanche, à relever les amendes pour les entreprises – la très vaste majorité d'entre elles – qui n'embauchent pas, comme le réclame la loi, 6 % de personnes handicapées. Le Gouvernement n'a pas davantage songé à réclamer la moindre contrepartie pour les 40 milliards du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Ça encore moins effleuré son esprit, au Gouvernement, que de conditionner, pour Bernard Arnault et Gérard Mulliez, la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune à leur situation conjugale, selon qu'ils sont célibataires, en couple ou pacsés. Pour les riches, c'est sans condition et sans contrepartie, mais quand il s'agit des pauvres, il faut chipoter et chicaner, inspecter leur lit, contrôler les brosses à dents dans la salle de bain, s'assurer de leur solitude pour, mesquinerie des mesquineries, gratter 100 ou 200 euros sur leurs minima.

Pourtant, la société est prête. Mieux, la société réclame aujourd'hui un progrès, un progrès véritable, un progrès généreux pour les enfants handicapés, pour leurs parents, pour leurs accompagnants, pour les adultes handicapés.

Dans l'après-guerre, le ministre Ambroise Croizat mettait en oeuvre un vaste plan de sécurité sociale, afin que la vieillesse, la maladie, la maternité, l'accident n'entraînent plus la misère. C'est désormais notre devoir de maintenir ces acquis mais aussi de l'étendre à un cinquième pan : le handicap. « Handicapé » ne doit plus rimer avec « pauvreté ».

Nos concitoyens, je le disais, y sont prêts. Les communistes, les insoumis, les socialistes, les Républicains, les UDI-Agir, tous les groupes de cet hémicycle y sont prêts. Tous vont voter la proposition de loi de Marie-Georges Buffet, tous sauf vous, chers collègues de la République en marche. Vous allez vous opposer à ce petit pas d'humanité, vous allez ratiociner votre « inclusion positive ». Pourtant, même vous, vous y êtes prêts ; même vous, au fond de votre coeur, vous la voyez bien, l'injustice, la profonde injustice faite aux personnes handicapées. Sur le principe, vous êtes pour. Sur le fondement moral, vous êtes pour. Sur le sens de l'histoire, vous êtes pour.

Mais voilà, avant tout vous surveillez le budget, vous redoutez le déficit, vous protégez la bourse : l'argent avant les gens. Encore une fois, on ne cessera de vous le rappeler, parce que c'est la pure vérité, l'entière vérité, la stricte vérité : vous êtes moins économes, bien plus laxistes, lorsqu'il s'agit d'enrichir les riches ; là, vous ne lésinez pas sur les chèques en blanc. Vous avez la générosité inversée : vous donnez tout à ceux qui ont tout et il ne vous reste rien pour ceux qui n'ont rien. Il ne vous reste, pour eux, pour Natacha, que du charabia sur l'inclusion positive.

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