Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 15h00
Intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Depuis quatre mois, nous voyons plus que jamais à quel point les fondamentaux de notre République sont ébranlés par la défiance accrue entre les citoyens et leurs représentants. Ce fossé n'est pas né le 17 novembre dernier, avec le début des manifestations des gilets jaunes. Non, en réalité, le législateur a depuis longtemps compris la nécessité de rénover la vie politique pour restaurer un vrai lien de confiance entre le peuple français et ses représentants.

Si la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans cette logique, le groupe Libertés et territoires estime cependant qu'elle n'apporte pas une réponse adaptée à la crise démocratique que nous traversons, pour trois raisons principales, que je vais développer.

Tout d'abord, ce texte stigmatise par trop, selon nous, les élus, tous les élus. Ceux-ci sont pourtant essentiels au moment où les Français expriment avec force un besoin de proximité et d'écoute. L'élu cristallise aujourd'hui toutes les crispations, toutes les défiances. Pourtant, je veux clairement le réaffirmer, l'immense majorité des élus sont des femmes et des hommes qui exercent leur mandat avec probité, conscience et dévouement. Ils s'engagent au service de nos concitoyens en ayant l'intérêt général pour seul objectif.

Quand les chaînes d'information en continu et les réseaux sociaux parlent de privilèges, d'absentéisme, de conflits d'intérêts, ces élus sont sur le terrain, au contact de leurs concitoyens, à l'écoute de leurs attentes, donnant leur temps et leur énergie sans compter pour améliorer la vie quotidienne des Français. Comment un tel décalage entre la réalité quotidienne des élus et la perception qu'ont nos concitoyens de leur engagement peut-il être possible ?

Le problème, à mon sens, vient surtout de l'insuffisance d'information sur le rôle de l'élu. C'est pourquoi les députés du groupe Libertés et territoires pensent qu'il faut agir sur ce levier pour commencer de rétablir la confiance entre le politique et le citoyen. C'est ce que notre co-président Bertrand Pancher a proposé au Premier ministre, lundi dernier, à l'occasion d'une réunion de travail sur les violences à l'égard des élus.

Car c'est aussi cela la réalité de la défiance : 117 actes, agressions ou menaces à l'encontre des parlementaires ces derniers mois. Je veux ici témoigner à mes collègues qui en ont été victimes toute ma confiance et surtout toute ma compassion – J'ai moi-même connu quelques ennuis, mais sans commune mesure avec ce que d'autres ont pu subir.

Pour plus de confiance, il faut également plus de pouvoirs et de responsabilités pour les élus, que ce soit pour le Parlement ou pour les collectivités territoriales. C'est ce que mon groupe ne cesse de défendre.

Nous ne sommes pas non plus favorables à ce texte parce qu'il ne sert à rien d'ajouter des lois aux lois sans laisser le temps aux précédents textes de faire la preuve de leur efficacité. Les différentes majorités ont légiféré pour rétablir le lien de confiance entre les politiques et nos concitoyens. Ainsi, en 2013, le Parlement a adopté la loi pour la transparence de la vie publique et la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ; en 2016, le Parlement a adopté la loi Sapin 2 ; en 2017, nous avons adopté la loi pour la confiance dans la vie politique. Les dernières lois sont donc relativement récentes, et j'estime qu'il ne sert à rien de légiférer à nouveau pour renforcer les sanctions à l'encontre des élus. Soyons pragmatiques et responsables et évaluons d'abord l'efficacité de ces nouvelles dispositions.

Je crains en effet qu'avec cette proposition de loi, nous ne jetions encore un peu plus l'opprobre sur tous les élus, alors que ceux-ci ont besoin d'un vrai statut, qui définirait leurs droits et leurs devoirs. C'est ce qu'ont affirmé avec force les élus locaux que j'ai consultés dans le cadre du grand débat national, la semaine dernière, dans ma circonscription.

Mes chers collègues, comme chacun d'entre vous ici, nous considérons que la confiance entre les citoyens et les élus est essentielle. Néanmoins, contrairement à vous, monsieur le rapporteur, nous sommes convaincus que celle-ci doit se nourrir d'un lien direct entre le politique et le citoyen, non d'une accumulation de lois, qui finissent par stigmatiser les élus.

Dans les moments que nous vivons, c'est pour cette raison que cette proposition de loi ne m'apparaît donc pas pertinente. Laissons du temps au temps, et n'ajoutons pas à notre arsenal législatif un texte dont le Conseil d'État questionne non seulement la nécessité, si peu de temps après la loi du 15 septembre 2017, mais aussi la pertinence, car cette proposition de loi ne paraît pas pouvoir remplir ses objectifs de répression et de dissuasion.

Outre son improbable capacité à mieux atteindre ses objectifs que le droit positif actuel, plusieurs de ses aspects techniques nous interpellent.

L'article 1er, par exemple, nous paraît inconstitutionnel au regard de la disproportion de la peine complémentaire d'inéligibilité à vie en cas de pluralité d'infractions.

De plus, la procédure spécifique de relèvement prévu à l'alinéa 3 de cet article devrait figurer non pas dans le code pénal, comme vous le proposez, mais dans le code de procédure pénale.

De manière plus globale, l'imprécision de nombreuses mentions dans votre proposition de loi nous paraît être source de véritables difficultés d'interprétation, quand notre devoir de législateur exige que la loi soit pleinement intelligible.

C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires estime que votre texte, outre qu'il n'est pas utile en l'état, ajoutera de la confusion à un cadre juridique qui n'a pas encore eu l'occasion de faire la preuve de son efficacité.

Monsieur le rapporteur, vous souhaitez que l'action publique soit exemplaire, et nous sommes d'accord avec vous. Avec ce texte, vous semblez donner raison à ceux qui pensent qu'il vaut mieux être nommé qu'élu, alors même que nous devons notre légitimité à nos électeurs.

Oui, il faut aller plus loin en matière de probité et de transparence dans l'action publique, mais, comme je l'ai rappelé, des textes existent déjà pour les élus. Il faut maintenant continuer de rendre exemplaires tous les maillons de la chaîne de l'action publique. Comme mon collègue, Paul Molac, a pu le dire en commission, il faut pour cela réformer aussi la haute fonction publique. Le groupe Libertés et territoires aurait souhaité que votre proposition de loi s'attelle à combler ce manque, l'un des principaux manques de la loi de moralisation de 2017.

Il existe en effet, dans la haute fonction publique, des risques de collusion avec les grandes entreprises, de conflits d'intérêts et parfois, disons-le, une opacité insupportable sur les rémunérations et les avantages dont disposent certains hauts fonctionnaires. Il n'est pas question ici d'entretenir la culture du soupçon à l'égard des fonctions publiques françaises, qui, par ailleurs, remplissent bien leurs missions, mais, comme cela a pu être le cas vis-à-vis des élus, il faut mettre en place un dispositif performant visant à prévenir et à sanctionner les abus de certains agents, qui nuisent à la réputation de tous les autres.

Nous devons poursuivre la moralisation de la haute fonction publique. Certes, le cadre applicable aux agents de la fonction publique a été profondément remanié avec la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, mais il s'avère que ce corpus légal n'est pas suffisamment contrôlé. C'est pourquoi nous considérons indispensable de renforcer aussi les règles de transparence et de contrôle de la haute fonction publique.

Mes chers collègues, l'exemplarité inconditionnelle que le groupe GDR souhaite instaurer ne pourra pas être atteinte avec les dispositions prévues par cette proposition de loi. Son adoption, je le crains, ne ferait qu'alimenter un peu plus le soupçon et la défiance à l'égard des élus.

Notre arsenal juridique a été renforcé en la matière, et nous nous en réjouissons. Au contraire, celui que propose ce texte est incomplet puisque, je l'ai dit, il ne prend pas suffisamment en compte tous les maillons de la chaîne de l'action publique. J'espère que nous reviendrons sur ce point.

C'est pourquoi nous devons continuer à avancer ensemble vers plus de transparence pour tous et vers un meilleur contrôle de tous. Nos concitoyens nous le demandent ; le bon fonctionnement de notre démocratie l'exige.

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