Intervention de Gisèle Biémouret

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 21h30
Intégrité des mandats électifs et de la représentation nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGisèle Biémouret :

Sur l'ensemble de ces bancs, nous partageons la volonté de hisser notre République au plus haut niveau des standards internationaux en matière de transparence et de lutte contre la corruption. Ce principe directeur s'impose, et l'on veut, à juste raison, instaurer une exemplarité inconditionnelle des élus et, plus largement, des décideurs publics. C'est d'autant plus nécessaire qu'un antiparlementarisme exacerbé s'est exprimé ces derniers mois. Nous devons y apporter des réponses fermes et assumées.

La défiance des Français envers leurs représentants politiques atteint un niveau historique qui doit nous alerter. Selon le baromètre de la confiance politique établi chaque année par le CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po, jamais les Français n'ont exprimé une telle défiance envers leurs institutions et les acteurs de la vie démocratique. S'il n'est pas nouveau, le constat est particulièrement sévère.

Dans ce contexte, le groupe Socialistes et apparentés comprend l'intention des auteurs de la proposition de loi. Celle-ci vise à renforcer les peines d'inéligibilité prononcées contre les élus, dont le maximum est actuellement fixé à cinq ans pour les délits et à dix ans pour les crimes. Les Françaises et les Français ont régulièrement l'impression qu'il existe une justice à deux vitesses dans notre pays. Ce sentiment n'est pas nouveau, loin de là. « Selon que vous serez puissant ou misérable… », écrivait Jean de La Fontaine au XVIIe siècle.

Il faut se méfier de ce qui est ressenti, car cela ne correspond pas toujours à une réalité. Toutefois, le sentiment existe bel est bien. Il nourrit le rejet de tout ce qui fait système et alimente l'antiparlementarisme, qui se répercute sur l'ensemble des élus, ou peu s'en faut. Notre démocratie souffre, c'est indéniable, de ce rejet des élus, et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rétablir le lien parfois brisé entre le peuple et ses élus.

Au cours de la précédente législature, nous avons accompli de réels progrès en matière de transparence de la vie publique et politique. En 2015, nous avons fait adopter des lois relatives à la transparence de la vie publique. Nous avons créé l'obligation pour les élus de déclarer leur situation patrimoniale et de fournir une déclaration d'intérêts dans les deux mois suivant leur élection. Surtout, nous avons créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Pas moins de 14 000 personnes sont désormais soumises au régime de transparence institué alors. Ces mesures phares ne sont pas nécessairement une fin en soi, et des améliorations demeurent nécessaires. Un an plus tard, nous avons d'ailleurs fait voter la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Nous sommes résolument opposés à l'idée d'une justice à deux vitesses. C'est pourquoi votre proposition de loi suscite plutôt notre perplexité. Certes, un élu ne doit jouir d'aucun privilège en raison de son statut, nous en convenons toutes et tous, mais il ne serait pas non plus normal que ce statut d'élu devienne une circonstance aggravante. Nous sommes favorables à un traitement identique de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, qu'ils soient élus ou non. Par conséquent, nous trouvons que l'angle d'attaque de cette proposition de loi est faible.

L'article 1er vise à sanctionner d'une peine d'inéligibilité de trente ans une personne élue ou un membre du Gouvernement en cas d'infraction très grave manifestement incompatible avec la fonction occupée. Pour certains crimes, le juge serait en mesure de prononcer une peine d'inéligibilité à vie. Si nous apprécions que cela soit laissé au gré du juge, nous trouvons que cette distinction entre citoyens selon leur métier ou leur fonction, en l'espèce celle d'élu, créerait de facto une justice à deux vitesses.

L'article 2 tend à créer une circonstance aggravante aux délits ou crimes commis par un élu ou un membre du Gouvernement. Cette circonstance aggravante jouerait pour les infractions dont la liste figure dans la loi pour la confiance dans la vie politique : atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la personne, discrimination, escroquerie, abus de confiance, acte de terrorisme, manquement au devoir de probité, fraude électorale, fraude fiscale, infraction à la législation en matière de financement de la vie politique, défaut de déclaration à la Haute Autorité. Si elle est compréhensible pour les délits spécifiques aux élus tels que le défaut de déclaration à la Haute Autorité, elle soulève, dans d'autres cas, la question de l'égalité de traitement devant la justice.

Prenons un exemple, certes un peu caricatural : deux citoyens sont condamnés pour avoir porté atteinte à l'intégrité physique d'une personne ; ils sont l'un et l'autre reconnus coupables de violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours. Une peine d'inéligibilité est prononcée contre le premier, car il est élu d'une municipalité. Tel n'est pas le cas pour le second, qui décide de se lancer en politique et de se présenter, par exemple, à une élection régionale. Cette personne, reconnue coupable des mêmes faits mais non élue au moment de sa condamnation, serait ainsi éligible, tandis que l'autre ne le serait plus, parce qu'élue au moment de sa condamnation. Cela n'aurait pas de sens. Nous avons déjà eu ce débat lors de l'examen de la loi pour la confiance dans la vie politique, qui a créé une quasi-automaticité de la peine d'inéligibilité pour certains délits et crimes.

Le groupe Socialistes et apparentés plaide pour l'instauration d'une obligation de casier judiciaire vierge pour les élus. En février 2017, l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi organique allant dans ce sens, issue de la majorité. Malheureusement, la couleur de la majorité a changé, et cette proposition de loi organique attend toujours son inscription à l'ordre du jour du Sénat. Le Président de la République avait promis d'instaurer cette obligation, mais La République en marche a préféré reculer.

Aujourd'hui, pour accéder à près de 400 métiers, il est demandé à nos concitoyens et concitoyennes de n'avoir fait l'objet d'aucune condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Pourquoi les élus seraient-ils traités différemment ? Pourquoi créer une justice à deux vitesses alors qu'il aurait été si simple de les traiter comme n'importe quel citoyen qui souhaite accéder à l'un de ces 400 métiers ? Le groupe Socialistes et apparentés aurait aimé amender votre proposition de loi dans ce sens. Mais, comme il s'agit d'une loi ordinaire et non d'une loi organique, nous ne pouvons le faire.

Il est dommage que vous n'ayez pas choisi de rouvrir ce débat dans le cadre de la discussion de votre proposition de loi. Vous préférez simplement compléter le texte voté en août 2017, qui est loin d'être suffisant, nous sommes d'accord sur ce point. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra sur cette proposition de loi.

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