Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 20 février 2019 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Monsieur le président, je ferai en sorte de ne pas vous conforter dans votre opinion, que vous avez exposée sans animosité ni esprit de polémique, et qui peut se lire communément dans la presse. Vous avez d'abord pointé le fait que nous ne faisions pas suffisamment d'efforts pour réduire les dépenses, le déficit et les prélèvements obligatoires. Cela n'est pas le cas et je l'ai démontré dans les exercices 2017 et 2018 – je vous renvoie au discours de Mme Louwagie à la tribune, qui expliquait que le budget 2018 était insincère et que nous ne tiendrions jamais les 3 %. Dans un deuxième temps, vous nous avez accusés de ne pas écouter la colère des Français, d'être sourds à leurs demandes, et de ne pas consentir à certaines dépenses – je ne me livrerai pas au jeu des petites phrases, mais je me souviens très bien des refus qui nous ont été opposés. Et maintenant que ces fameux 10 milliards ont été annoncés par le Président de la République – lesquels sont essentiellement constitués de baisses de prélèvements obligatoires ou de refus d'impôts, la dépense correspondant à la prime d'activité, liée au travail, n'entraînant pas une augmentation des dépenses publiques à proprement parler –, vous nous reprochez de ne plus nous situer dans l'objectif des comptes publics.

Je ne partage pas cette opinion, et pour plusieurs raisons. D'abord, la dépense publique est tenue, je peux le démontrer assez facilement. Le sera-t-elle tout au long du quinquennat ? Je ne puis vous le garantir. Vous avez été ministre du budget avant moi ; par votre expérience, plus grande que la mienne en la matière, vous savez que l'on se trouve souvent seul à prêcher dans le désert et que l'on doit toujours sur le métier remettre l'ouvrage ! Je rappelle qu'en 2018, la dépense a augmenté de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2017, soit la hausse la plus faible ces trente dernières années. La Cour des comptes, comme votre commission, a relevé que 4 milliards d'euros étaient dus à la sincérisation. Cela signifie que si nous n'avions pas eu à sincériser le budget de nos prédécesseurs, la dépense publique aurait baissé en volume, ce qui est tout à fait remarquable. Cela nous a d'ailleurs valu beaucoup de critiques – je vous rappelle, entre autres, les contrats aidés et les aides personnalisées au logement –, alors que nous avons augmenté significativement d'autres budgets, notamment ceux des ministères régaliens – la dernière loi de programmation militaire étant la plus ambitieuse jamais adoptée.

J'entends que vous ne souhaitiez pas vous attarder sur 2018, ce qui est pourtant le principe de l'exercice à l'ordre du jour. Pour ce qui est de l'autorisation parlementaire, on ne peut pas dire que le bilan soit négatif. Quant aux 2,8 milliards de dépenses supplémentaires, ils sont dus à la mesure relative à la prime d'activité, que votre groupe politique a par ailleurs votée. Certes, le déficit public reste élevé, la dette continue d'augmenter, la dépense publique et les prélèvements obligatoires demeurent trop importants. Mais ce gouvernement consent de grands efforts et les promesses du Président de la République seront tenues. La baisse des prélèvements obligatoires sera même supérieure à ce qui était annoncé durant la campagne. Nous verrons ce qui adviendra en 2019 ; vous dites fort justement qu'il y a beaucoup de prévisions, mais lorsque nous n'en faisons pas, le Parlement réclame que nous mettions à jour nos données et lorsque nous en faisons, on nous rétorque que cela change tout le temps ! C'est sans doute un jeu, que je prends comme tel.

La question la plus lancinante, et sans doute la plus compliquée, concerne la dette. Il faut dire que ce gouvernement n'a pas la chance de bénéficier d'un loyer de l'argent aussi avantageux. Je voudrais que l'ensemble de la représentation nationale, et mes collègues au Gouvernement, aient tous la même opinion que vous : une dette, un déficit ou une dépense publique trop importants demain, ce sont, à la faveur d'un retournement de conjoncture, les impôts d'après-demain ! Si nous ne poursuivons pas les efforts que nous avons entrepris, qui sont parfois difficiles politiquement, ce gouvernement, ou son successeur en 2022, devra combler les trous par une hausse des impôts, dont nous savons que ce sont toujours les classes moyennes qui la paient. Voilà pourquoi c'est une impérieuse nécessité que de maîtriser la dépense.

Je le dis sans esprit polémique, à l'ensemble des groupes parlementaires : je suis ouvert à toutes les propositions dans ce domaine. Chacune mérite d'être étudiée, à la lumière de l'intérêt national, avant que ne s'effectuent les choix de nature politique.

Nous présenterons bien un projet de loi de finances rectificative aux alentours du mois de mai, avec une nouvelle trajectoire budgétaire, dont nous discutons en ce moment même avec la Commission européenne et un programme de stabilité révisé. En tant que ministre des comptes publics, j'estime que le Parlement devrait débattre de ce programme de stabilité : c'est une bonne chose que de consulter, de connaître les avis et de partager la contrainte. Tout cela interviendra évidemment avant l'été.

Monsieur le rapporteur général évoque plusieurs questions précises. Les écarts qu'il a constatés sur la catégorie « Autres recettes fiscales » sont essentiellement dus aux donations et successions : la différence est de 3,3 milliards d'euros. Le rendement du PFU est de 3,45 milliards d'euros sur 73 milliards d'euros d'impôt sur le revenu. Sur la mission Écologie, développement et mobilité durables, l'écart observé s'explique essentiellement par la prévision de fonds de concours sur le programme 203 : les estimations du montant des fonds de concours dans les projets annuels de performances sont purement indicatives. Sur l'IFI, la recette est de 1,250 milliard contre 850 millions prévus en loi de finances. Il faut ajouter à cela 220 millions d'euros du service de traitement des déclarations rectificatives, en « queue de comète », et 430 millions d'euros de reliquat de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), s'expliquant ainsi par notamment à des contrôles.

Sur les niches fiscales, j'ai porté un débat devant l'opinion publique dans le cadre du Grand débat. Ce débat est d'ailleurs porté par des gens de diverses opinions politiques. La question des niches fiscales, c'est au fond celle de la manière dont la France a constitué son impôt. Collectivement, nous avons créé beaucoup d'impôts, notamment un impôt sur le revenu très concentré sur les 10 % les plus riches. La réalité statistique est en effet qu'un foyer fiscal au-dessus de 4 400 euros par mois fait partie des 10 % les plus riches qui payent l'impôt sur le revenu, même s'il existe des écarts très importants au sein de ces 10 %. Ces 10 % les plus riches payent 70 % de l'impôt sur le revenu. Pour rendre cet impôt supportable, au lieu de le baisser nous avons créé des niches. C'est un système un peu « shadok », un peu absurde, avec la création d'un gros impôt, par hypocrisie, et, comme on n'a pas voulu revenir sur cette hypocrisie, la création de niches fiscales qui profitent aux plus riches.

Les niches fiscales recouvrent de nombreuses réalités puisqu'il en existe 474. Je ne compte pas les 100 milliards en général, les abattements, le quotient familial qui est une niche stricto sensu, mais seulement les 14 milliards de réductions et crédits d'impôt. Sur ces 14 milliards, 7 milliards bénéficient aux 10 % les plus riches, et singulièrement pour les plus riches d'entre eux.

Dans les réunions publiques, il revient régulièrement, et à juste titre, que ce système profite aux personnes qui payent le plus d'impôt sur le revenu. On dit que, si nous supprimons ces niches, nous augmenterons les impôts. Une suppression de niche est certes une augmentation d'impôt mais personne ne voit la seconde partie de ma proposition. La question qui se pose dans notre pays étant, me semble-t-il, le consentement à l'impôt, et pour cela sa progressivité, et vu que la niche casse la progressivité de l'impôt, il s'agirait, si nous l'acceptions collectivement, d'utiliser l'argent récolté par les suppressions de niches pour baisser l'impôt, notamment l'impôt sur le revenu des deux premiers déciles, c'est-à-dire de la classe moyenne basse. C'est sur la table.

En tout cas, il me semble que la question des niches fiscales ne doit pas être taboue. Niche par niche, il faut se demander si c'est efficace ou non, car 14 milliards d'euros, c'est beaucoup d'argent – trois ou quatre fois l'impôt sur la fortune. Le Gouvernement a commandé des missions d'inspection et communiquera les documents à l'Assemblée, si vous le souhaitez, car c'est aussi le travail du Parlement de procéder à cette évaluation.

Je continue de porter ce débat, en excluant des dispositions qui me paraissent très utiles et efficaces : les services à la personne, la défiscalisation outre-mer… Si nous sommes d'accord sur le fait qu'un mécanisme est très efficace, nous n'y toucherons pas. Il appartient au Parlement, sur la base des documents transmis, de discuter de l'ensemble de ces niches dans le débat fiscal. Je constate d'ailleurs, sur le site internet du Grand débat, que ces documents sont régulièrement repris dans les contributions.

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