Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2019 à 16h00
Agence nationale de la cohésion des territoires — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Tout cela apparaît comme un choix politique rationnel visant à améliorer l'intervention de l'État. Encore faut-il savoir à quoi servira cet outil et surtout quelle est la stratégie, l'objectif, la vision qu'il y a derrière s'agissant du territoire national, de ses composantes et de ses niveaux d'administration locale et démocratique. Quel type de territoire, eu égard aux enjeux actuels, voulons-nous construire ?

C'est là que, de notre point de vue, le bât blesse, puisqu'à travers cette agence, comme l'a dit notre collègue Coquerel, on constate un changement de vision : nous passons du triptyque, issu de la Révolution, communes-départements-État à un nouveau triptyque, territoires-régions-Europe, qui correspond à la nouvelle conception des relations entre les niveaux administratifs, conception reprise et accentuée par la majorité actuelle. Nous réfutons cette conception, parce que nous considérons qu'elle éloigne davantage encore les citoyens des décisions et qu'elle ne responsabilise pas les élus locaux, lesquels sont, eux aussi, en partie dépossédés de leurs pouvoirs.

L'autre constat, à propos duquel nous vous avions déjà interpellés et sur lequel nous continuerons à le faire, c'est que les services et les opérateurs de l'État sont en perte de vitesse majeure, du fait des politiques d'austérité qui sont menées depuis des années et que vous avez choisi de poursuivre, et même d'accélérer. C'est notamment le cas pour le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le CEREMA, qui subit actuellement un véritable démantèlement – j'y reviendrai, chiffres à l'appui. Avec des élus locaux, sans pilotage national, même si vous prétendez y répondre par la création de cette agence, sans ingénierie publique, même si vous affirmez que vous allez la mettre à leur disposition, et sans financement pérenne, mais subissant au contraire une stratégie de coupes budgétaires systématiques, on se demande bien comment la nouvelle agence pourra fonctionner, et quels moyens, notamment financiers, ainsi que quels pouvoirs on donnera aux élus locaux pour mener à bien leurs projets.

En matière d'aménagement territorial durable, qui est l'une des ambitions affichées de l'agence, il nous semble qu'il existe déjà nombre de structures. Surtout, le ministère de la transition écologique et solidaire – version La République en marche – devrait jouer un rôle majeur, voire central, en vue d'anticiper les nécessaires, inévitables et urgentes adaptations au changement climatique, qui entraîneront des transformations importantes de notre pays et nécessiteront des investissements publics pour que les territoires puissent s'adapter. Or la situation de ce ministère illustre bien la situation : il subit de plein fouet les choix austéritaires de la majorité.

Comme l'a montré notre collègue Mathilde Panot, dans son rapport pour avis consacré au sujet, de 2013 à 2019, 9 000 emplois ont été supprimés au sein du ministère de la transition écologique et solidaire. Si l'on étend le périmètre d'analyse aux opérateurs, ce sont 13 250 emplois qui ont été supprimés.

Nous estimons que la poursuite d'une telle politique est un danger pour le pays car elle menace la France d'incapacité à faire face aux enjeux écologiques, par manque de savoir-faire et de capacités techniques, premières ressources dont il faudrait disposer. Avant de mettre en oeuvre une ingénierie, il faut en effet des gens qui connaissent le territoire et qui soient capables d'émettre un diagnostiquer sur les besoins. Or, alors que le ministère de la transition écologique et solidaire devrait être central si la majorité était véritablement engagée dans un aménagement du territoire en cohérence avec la nécessaire transition écologique, en 2019, ce sont 811 équivalents temps plein qui seront supprimés, dont 203 au titre des personnels relevant du ministère de la cohésion des territoires.

D'autre part, la subvention du CEREMA a diminué de 2,5 % chaque année depuis 2015, ce qui représente une somme annuelle de 15 millions d'euros, compensée par une augmentation de 6,2 millions d'euros des ressources propres. Cela s'est traduit par la perte de 300 équivalents temps plein et a entraîné un décrochage des investissements, qui ont été réduits de 41 % entre 2015 et 2018. Cela aura des conséquences très dommageables à terme pour le CEREMA, qui fait partie des institutions censées être coordonnées par la nouvelle agence. En 2019, le mouvement se poursuivra, avec la perte de 100 emplois et une diminution de 5 % des dépenses de fonctionnement.

Nous pensons qu'il faut choisir. Si nous voulons que ces institutions publiques et ce ministère tout de même central disposent d'une capacité d'expertise, il est indispensable d'enrayer le mouvement actuel, faute de quoi les équipes ne disposeront plus de la taille critique pour éclairer l'action publique, en particulier celle des collectivités locales.

Au vu du traitement réservé au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, dont les compétences centrales sont, justement, la cohésion territoriale et l'aménagement durable, nous nous demandons quelle crédibilité accorder à cette nouvelle agence, qui ressemble beaucoup plus à une usine à gaz qu'à un outil opérationnel. Quelle crédibilité pouvons-nous accorder à votre proposition de loi quand nous constatons, après deux débats budgétaires, que vous n'êtes pas prêts à apporter les moyens humains et les expertises nécessaires pour répondre aux enjeux de la cohésion ? C'est d'ailleurs ce qu'ont relevé un certain nombre de nos collègues sénateurs, qui craignaient que l'agence ne soit qu'un arbre de plus dans la forêt des établissements publics et opérateurs de l'État, qu'elle ne soit au mieux qu'une coquille vide, au pire un « machin », comme elle a été qualifiée à plusieurs reprises.

Voilà pourquoi nous doutons de la pertinence de la présente proposition de loi. Fondamentalement, la majorité refuse d'envisager l'aménagement du territoire, l'aménagement durable, comme il devrait l'être, c'est-à-dire en planifiant cette politique publique à l'échelle nationale, en lien avec des élus locaux, dont les moyens, notamment budgétaires, seraient véritablement renforcés. De même, les ministères et les agences devraient disposer des moyens humains leur permettant de réaliser les adaptations nécessaires.

Voilà pourquoi nous ne pouvons soutenir cette proposition de loi. Nous avons déposé un certain nombre d'amendements, que nous espérons voir adopter afin de réduire les failles que nous avons détectées. Cependant, nous craignons malheureusement que cette nouvelle agence ne soit qu'un étage supplémentaire du dispositif existant, une coquille vide que vous avez décidé de créer, essentiellement dans un souci de communication, mais qui passe à côté des enjeux de notre temps.

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