Intervention de Bruno Millienne

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2019 à 21h30
Agence nationale de la cohésion des territoires — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Millienne :

La création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires poursuit une ambition salutaire : favoriser le développement des territoires en partant des réalités locales et en donnant la priorité aux plus fragiles. Tel est l'objectif précis que nous souhaitons atteindre avec cette proposition de loi, à laquelle le groupe MODEM et apparentés apporte son soutien plein et entier. Vous connaissez en effet l'extrême diversité de nos territoires, qu'ils soient urbains, périurbains ou ruraux : les réalités qu'ils vivent et donc les solutions à leurs problèmes divergent largement. Il semble dès lors inconcevable de définir, depuis Paris, les projets ou le champ d'action des collectivités locales.

Le groupe MODEM et apparentés voit l'Agence nationale de la cohésion des territoires comme un outil facilitateur, favorisant une logique ascendante et vertueuse ; en somme, un exemple même de déconcentration de l'appui de l'État aux collectivités, répondant à un besoin du terrain. Dès lors, il est nécessaire que le texte qui sera adopté par le Parlement soit le plus souple et le plus pragmatique possible.

J'avais commencé mon propos en commission par un petit mot d'autosatisfaction destiné à saluer l'important travail réalisé en amont de nos débats, qu'il s'agisse des travaux de nos rapporteurs ou de ceux de la délégation aux collectivités territoriales, du groupe d'étude sur les enjeux de la ruralité ou de l'ensemble des groupes parlementaires. C'était sans connaître l'issue de nos débats en commission ! Toutes les dispositions adoptées durant la navette parlementaire tendent à multiplier les échelons et les thématiques abordées et à complexifier l'organisation du futur opérateur, au risque d'en amoindrir l'efficacité.

Nous souhaitons, pour notre part, revenir à la proposition initiale que le Président de la République a formulée il y a deux ans au Sénat dans le cadre de la Conférence nationale des territoires : créer une agence au service des territoires, dont la vocation serait de travailler en lien direct avec eux, dans une logique ascendante, de sorte que les collectivités territoriales soient associées en amont à toute décision les concernant, et que disparaisse ainsi le sentiment d'abandon éprouvé par certains territoires.

Or telle qu'elle est rédigée, la proposition de loi tend à imposer certains sujets jugés prioritaires depuis Paris, alors que les attentes sont différentes d'un endroit à l'autre. Il nous revient, en tant que membres de la représentation nationale, de rompre avec cette uniformité qui revient à traiter de la même façon des territoires qui ne sont pas nécessairement touchés par les mêmes problèmes. Il s'agit, en filigrane, d'établir les bases d'une différenciation territoriale qui répondrait aux besoins du terrain, des terrains.

Nos territoires sont en effet confrontés à de multiples urgences : la fracture territoriale, la fracture numérique, la fracture médicale ou encore la pénurie de logements.

Mais ces urgences ne sont pas les mêmes partout. En détailler certaines et en laisser d'autres de côté, comme le fait la proposition de loi, n'est pas de nature à répondre au besoin de déconcentration de l'État. Nos territoires ruraux, périurbains et urbains demandent un rééquilibrage, non pour briser la dynamique des métropoles mais pour que cette dynamique profite à tous, l'objectif étant que tous les territoires de la République aient les mêmes chances de réussir.

Je pense notamment à l'impératif de passer d'une économie concentrée dans les métropoles à une réinscription dans les échanges économiques de tous nos territoires, notamment ruraux, via des projets d'économie circulaire, verte, sociale et solidaire, formidables vecteurs de développement territorial et de création de richesses pour tous. À nous, parlementaires, de légiférer pour nos territoires en sachant nous effacer pour respecter la liberté de l'action publique locale. Il y va du respect des débats démocratiques locaux : les couleurs politiques diffèrent selon les territoires et il ne faudrait pas tenter de contrôler, depuis la capitale, ce qui relève de la démocratie locale. Laissons aux élus locaux la possibilité de gérer leurs projets sans se voir imposer des vues qui ne soient pas adaptées à leurs réalités.

Pour toutes ces raisons, nous proposerons plusieurs amendements de suppression ou de rétablissement du texte initial afin de simplifier le texte et retrouver l'outil facilitateur proposé par le Président de la République – outil, je vous le rappelle, demandé par les associations d'élus, l'AMF, l'Association des maires de France, en tête.

Un consensus s'est rapidement dégagé sur ce que ne devait pas être cette Agence. L'ANCT ne sera pas un « machin » supplémentaire, une couche en plus, un énième opérateur de l'État. Elle sera un guichet unique pour les collectivités locales, concentrant notamment l'offre d'ingénierie à leur disposition afin de contribuer au développement des territoires. Elle concentrera les missions et l'expertise des opérateurs existants pour, en premier lieu, faciliter la vie des préfets et de ceux qui les saisissent, ensuite pour répondre avec efficacité à un besoin réel.

Ainsi la future agence regroupera trois des structures pouvant intervenir au profit des collectivités territoriales : l'Agence du numérique, l'EPARECA et une partie du CGET. À la fusion avec d'autres opérateurs, trop complexe, a été logiquement préféré un système de conventionnement pluriannuel portant sur les périmètres connexes.

En somme c'est un outil facilitateur décliné en deux volets précis, et d'abord par son champ d'action. La proposition de loi crée une agence nationale de la cohésion des territoires pour répondre aux besoins des territoires qui ne disposent pas en interne de capacités techniques et financières suffisantes pour monter et réaliser leurs projets. Elle sera donc, par définition, en priorité au service des petites collectivités. Il n'est peut-être pas, en revanche, mes chers collègues, nécessaire de décliner toute la liste des territoires concernés comme le fait l'article 1er actuel.

En effet, comme vous l'avez dit maintes fois, madame la ministre, lors de l'examen en commission, tous les élus et toutes les collectivités, de métropole et d'outre-mer, pourront s'adresser à l'ANCT, qu'il s'agisse de communes, d'intercommunalités, de départements, de régions et même de territoires qui s'étendent sur des collectivités différentes. L'agence déploiera son action en direction de ceux qui auront souhaité son aide. Les élus disposant déjà de ressources ne seront pas obligés d'y avoir recours – je pense notamment aux départements dotés d'agences d'ingénierie qui assurent des missions similaires à celles de l'ANCT.

La rédaction initiale de la proposition de loi était donc claire et les précisions apportées depuis tendent à introduire de la confusion là où les élus locaux attendent de la simplicité.

Ce sera également un outil facilitateur par les types de projets menés. Il importe de ne pas hiérarchiser les priorités sur lesquelles elle pourra intervenir. L'accès aux soins, le logement, les mobilités, la mobilisation pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, la revitalisation des centres-villes et centres bourgs, la transition écologique, le numérique sont évidemment des priorités, je ne vous dirai pas le contraire ! Mais elles le sont tout autant que l'éducation, les déserts médicaux ou l'accès à l'emploi. Il faut permettre aux territoires de se saisir des problèmes qui leur semblent prioritaires afin de laisser à l'agence toute latitude d'action. Les élus locaux connaissent le terrain ; ils n'ont pas besoin d'être pris par la main, qu'on leur montre un chemin tout tracé. Ce qu'ils veulent, c'est un soutien, un accompagnement de l'État pour mener à bien leurs projets.

Mes chers collègues, notre objectif est simple : faciliter la vie des élus locaux et les aider quand ils le souhaitent. Lorsqu'une collectivité aura un projet, elle pourra le déclarer et demander l'aide de la future agence. Il n'est pas utile de préciser où l'agence agira puisqu'elle agira partout ; il n'est pas utile de préciser avec qui elle agira puisqu'elle agira avec tous ceux qui demanderont son aide ; il n'est pas utile de préciser sur quels sujets elle agira puisqu'il reviendra aux seuls élus locaux de définir leurs besoins.

Nous avons là une opportunité formidable de déconcentrer nos politiques publiques. C'est une réelle demande de la part de nos concitoyens, au moment même où nous traversons une situation sociale et démocratique particulièrement difficile. La commission et le Sénat ont pourtant fait l'inverse, ajoutant de multiples précisions et complexifications, sous prétexte que les élus locaux ne comprendraient pas le texte – je pense notamment au comité de cohésion des territoires. Les élus sont capables de s'entendre entre eux sur des projets sans que la loi ait à les y contraindre via la création de ce qui ne serait pour le coup qu'une strate supplémentaire. Laissons-leur la possibilité de s'approprier cette agence et de l'adapter à leurs besoins, dans le respect d'un principe de différenciation territoriale auquel nous sommes très attachés.

Voici donc la position du groupe MODEM et apparentés sur cette proposition de loi que nous attendions et appelions de nos voeux afin de prouver aux territoires que nous avons entendu leur demande : celle de disposer d'une agence nationale pour la cohésion des territoires adaptée aux réalités locales et territoriales. Notre rôle, mes chers collègues, c'est de créer cet outil pour rendre aux territoires et aux élus locaux, dans un esprit profondément décentralisateur, liberté et moyens d'agir pour leurs administrés sur le terrain ; ni plus, ni moins.

Montrons que nous avons pleine confiance en nos territoires.

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