Intervention de Jean-François Cesarini

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2019 à 21h30
Agence nationale de la cohésion des territoires — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Cesarini :

… que ce soit par son contenu ou en raison du moment de crise dans laquelle elle s'inscrit. La plupart des problèmes et des tensions de notre pays viennent des inégalités territoriales. Le mouvement des « gilets jaunes » n'a pas, en réalité, commencé avec la hausse des carburants. Mais quand on leur a dit : « covoiturage, bornes de recharge électrique, alternative à la voiture individuelle » ; ils ont répondu : « De quoi parlez-vous ? »

Demain, quelle que soit la loi que nous voudrons débattre dans cet hémicycle, qu'elle porte sur la santé, la justice, ou encore la culture, la moitié du pays risque de nous demander : « De quoi parlez-vous ? » Sur tous les sujets, en effet, il y a deux pays en un. Et il ne s'agit pas de l'ancienne fracture entre Paris et la province ou entre l'urbanité et les ruralités. Aujourd'hui, la fracture sépare les métropoles du reste du pays.

Au cours de la deuxième partie du XXe siècle, nous avons constaté un déplacement des capitales nationales vers les capitales régionales. Aujourd'hui, il nous faut lancer une autre décentralisation, franchir une nouvelle étape, partant de ces métropoles pour irriguer le reste du pays.

Le problème n'est pas seulement français. Aux États-Unis, l'électorat de Donald Trump n'est pas dans les métropoles de New York, San Francisco ou Los Angeles. De même, l'électorat du Brexit n'est pas à Londres. En Espagne, la Catalogne qui représente 25 % du PIB national ne veut plus payer pour les territoires pauvres, tout comme la Lombardie ou la Vénétie en Italie.

La future agence doit donc être celle du renversement, pour penser une autre forme de décentralisation. Celle-ci ne doit pas uniquement se fonder sur les compétences administratives et les dotations de l'État, mais être une décentralisation de projets. Ce ne sont pas les territoires qui vont faire les projets, mais les projets qui vont servir à délimiter de nouveaux territoires, lesquels pourront dépasser les frontières administratives actuelles : des agglomérations, des EPCI pourraient ainsi s'agréger pour développer des projets de territoire. Et cela ne se fera pas simplement avec les élus : les équipes qui devront frapper à la porte de l'Agence comprendront également des entrepreneurs, des professeurs, des centres de formation, des associations de citoyens. L'horizontalité des équipes de porteurs de projet viendra ainsi croiser, au sein de l'Agence, la verticalité de l'État. C'est en effet l'articulation entre horizontalité et verticalité qui fera la force de la décentralisation de demain.

Cette agence devra également permettre que les territoires et l'État se rencontrent à mi-chemin, et ne suivent pas simplement une logique de dotations. Un projet, ce n'est pas seulement de l'argent public. Quand on construit un théâtre, on n'a pas forcément une politique culturelle. Quand on construit un tramway, on n'a pas forcément un plan de déplacement urbain.

Ce n'est pas l'organe qui fait la fonction, c'est la fonction qui va faire l'organe. Le projet doit être la cause qui va entraîner la construction d'infrastructures, non l'inverse. C'est ce renversement que l'agence doit être à même de réaliser, et c'est pour cela qu'elle est si importante pour nous.

Bien sûr, on me rétorquera qu'il y a des pauvres dans les métropoles, et que les métropoles souffrent aussi. Disons-le autrement, en tentant un parallèle un peu audacieux : dans cet hémicycle, la distinction entre la droite et la gauche a cédé le pas à une distinction entre progressistes et conservateurs, qui va bien au-delà du groupe majoritaire. Au sein de ces deux groupes, on trouve des députés de gauche et de droite. Il en va de même dans les territoires, dans les métropoles et hors des métropoles : on y trouve des pauvres et des riches. Mais le sentiment n'est pas le selon que l'on vit ou non dans une métropole.

Les métropoles sont une magnifique invention du XXe siècle ; elles ont permis la concentration des richesses et la création d'emplois : aujourd'hui, 80 % des richesses y sont produites. Mais un nouveau siècle a débuté, amenant avec lui une nouvelle révolution industrielle, celle du numérique, laquelle permet une déconcentration économique. La première révolution industrielle, celle du XIXe siècle, a conduit à concentrer les êtres humains au même endroit et au même moment pour mieux produire. Aujourd'hui, il est possible de produire à des endroits et des moments différents. Les grandes entreprises du numérique, notamment dans la Silicon Valley, ont leur siège social dans des villes qui comptent moins d'habitants que ces entreprises n'ont d'employés.

Travaillons ensemble, débattons, amendons, mais ne manquons pas la création de cette agence, car si nous échouons à obtenir la cohésion des territoires, nous échouerons à réaliser celle du pays.

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