Intervention de Georges Malbrunot

Réunion du mardi 11 décembre 2018 à 17h05
Commission des affaires étrangères

Georges Malbrunot, journaliste au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient :

Si vous avez une recette pour renverser le régime, il faut la donner aux Iraniens qui pensent comme vous, mais, pour ma part, je n'ai pas de recette. Je vous connais, monsieur Habib, je sais ce que vous pensez, et c'est votre droit. Vous n'avez pas tout à fait tort, mais espérez-vous que je vous dise que la chute du régime iranien règlerait tout ? J'étais à Jérusalem en 2003, lorsque le premier ministre Ariel Sharon déclarait : « La route de la paix à Jérusalem passe par Bagdad. » Or Bagdad est tombée, et la paix n'est pas arrivée à Jérusalem…

L'Iran est un pays très complexe, que vos amis israéliens connaissent parfaitement. Il y a d'ailleurs non pas un Iran mais des Iran : l'Iran de Rohani ou l'Iran de Zarif, avec lesquels on peut s'entendre, et puis l'Iran de Qassem Souleimani, l'Iran des gardiens de la révolution ou de Khamenei, avec lesquels c'est beaucoup plus difficile. Il faut aussi tenir compte du contexte de ce pays, entouré de bases américaines et qui, en 2001, après le 11 septembre a collaboré avec les États-Unis en Afghanistan, avant que George W. Bush décrète qu'il appartenait à l'« axe du mal ».

J'admets avec vous que les Iraniens donnent le sentiment de vouloir recréer l'empire perse, alors qu'il est flagrant, lorsque l'on se rend dans le sud de l'Irak, à Kerbala ou à Nadjaf, chez les chiites irakiens, que l'alchimie ne s'opère pas entre les populations locales et les pèlerins chiites iraniens, qui ne parlent pas l'arabe. Indéniablement, le sentiment de leur victoire les rend un peu trop confiants.

Cela étant, ils ne sont pas les principaux promoteurs du djihad mondial, et le 11 septembre n'est pas le fait des Iraniens, pas plus que ceux qui ont attaqué la France n'étaient des chiites. Il faut éviter ce genre d'extrapolation, même si, c'est vrai, les Iraniens pratiquent un terrorisme d'État lorsqu'ils s'estiment menacés.

L'évolution du système iranien est inévitable, mais elle n'interviendra pas avant la mort du guide actuel, Ali Khamenei, anti-américain, anti-israélien, garant de la pureté idéologique révolutionnaire héritée de 1979.

Cela fait vingt et un ans que je me rends en Iran. Certes, il y a toujours, chaque vendredi, les mêmes cent cinquante types qui manifestent en criant « Marg bar Amrika ! Marg bar Israel ! », c'est-à-dire « Mort à l'Amérique ! Mort à Israël ! », mais la société iranienne est probablement, avec la société israélienne, la plus pro-américaine et pro-occidentale du Moyen-Orient. Il n'y a donc plus qu'à souhaiter que le prochain guide se montre plus ouvert vis-à-vis d'Israël sur la question palestinienne, mais également à l'intérieur sur les questions de société.

Reste que l'évolution sera d'autant plus compliquée que, comme je vous l'ai dit, l'Iran et ses alliés du Hezbollah se sentent confortés par leurs succès. Je conçois que cela pose un vrai problème aux Israéliens, mais il ne faut pas perdre de vue que ce sont, les uns comme les autres, des acteurs rationnels. Nasrallah a reconnu lui-même qu'il avait commis une erreur en 2006 et que le but n'était pas de faire la guerre mais d'enlever deux Israéliens pour les négocier contre la libération de prisonniers.

Le régime iranien a cependant ses fragilités, au premier rang desquels l'usure d'un régime dont le rigorisme idéologique ne correspond pas du tout à ce qu'attend la société iranienne. Autant vous avez, en Arabie Saoudite, un pouvoir qui, pendant longtemps, a été en avance sur sa société, autant, en Iran, c'est la société qui est largement en avance sur le pouvoir.

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