Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 12 décembre 2018 à 17h05
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères :

En effet, pas même les Européens. Oui, c'est lent, mais ce processus n'a commencé qu'en juillet 2017 et, à ce jour, cette force conjointe a déjà mené six opérations ! À terme, l'objectif est que cette force conjointe assure la sécurité des cinq pays membres – autrement dit, que les Africains assurent eux-mêmes leur propre sécurité, avec le soutien de l'Union africaine. Des engagements financiers ont été pris et tous ne sont pas encore mis en oeuvre mais ils le seront. J'ai participé à une discussion avec les cinq chefs d'État concernés vendredi matin à Nouakchott, et je suis surpris par leur détermination commune, qu'il faut reconnaître et respecter. Il faut donc poursuivre cette action, la formation des troupes, tout en contribuant au développement dans le cadre de l'Alliance Sahel, constituée à l'été 2017 et qui permet de mobiliser jusqu'à 9 milliards d'euros sur l'ensemble de la durée du programme, c'est-à-dire cinq ans.

Autre nouveauté, qui est une grande leçon car le Sahel devient un lieu d'expérimentation : tous les acteurs du développement ont décidé de mettre leur action en commun et de renoncer à conserver, chacun de son côté, sa filière, sa présence, son nom sur une affiche au détriment des autres. Ils ont décidé de mutualiser leurs travaux et leurs compétences. C'est là aussi un événement majeur qui concerne tous les acteurs du développement. À cet égard, l'AFD joue un rôle significatif. Vendredi, lors de l'assemblée plénière des acteurs concernés, j'ai annoncé que la contribution française s'élèvera à 500 millions d'euros, dont 220 millions de nouveaux projets menés par l'AFD. Je suggère qu'à chacun de vos déplacements dans les pays du G5, vous alliez constater sur place la mise en oeuvre des projets de développement. Nous voulons que cesse le travail en silo et que des actions concrètes soient mises en oeuvre. Certes, cela ne fonctionne pas toujours ainsi, mais le but est de changer d'échelle pour plus d'efficacité – c'était l'objet de la rencontre de Nouakchott à laquelle j'ai participé.

S'agissant, enfin, de la dimension politique de la situation au Sahel, des progrès ont été accomplis dans la mise en oeuvre de l'accord de paix d'Alger. On note en particulier des avancées concernant le programme « désarmement, démobilisation et réinsertion » (DDR), qui constitue un point important. Le Conseil de sécurité a fixé en juin des objectifs clairs aux parties maliennes. Ils doivent être mis en oeuvre dans un délai de six mois à compter du mois de septembre. Le Conseil de sécurité a en effet décidé de proroger la MINUSMA jusqu'en juin, mais à la condition que, d'ici là, les parties en présence aient avancé sur le plan politique, en particulier concernant les mesures de DDR et la décentralisation. Comme vous le savez, à l'issue des dernières élections au Mali, qui ont reconduit Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir, un nouveau Premier ministre a été nommé, M. Maïga, qui est tout à fait allant et prend des décisions pour mettre en oeuvre ces mesures.

En ce qui concerne le système multilatéral, notre conviction est que les défis que les États ont en partage, qu'il s'agisse de sécurité, de changement climatique, de régulation du commerce international ou des phénomènes migratoires, ne peuvent être traités efficacement que par une coopération régulée par le droit, par le respect de chacun et celui des engagements contractés, et non pas seulement par le jeu des puissances. La France n'est pas seule à défendre cette conviction, mais la voix de ceux qui remettent en question l'ordre international multilatéral se fait beaucoup entendre. Il faut donc que nous soyons les acteurs d'un nouveau multilatéralisme. La remise en question de l'ordre international a pris un tour nouveau avec la présidence de Donald Trump. L'attitude qu'il adoptera en 2019 au cours de la présidence française du G7, à partir du mois de janvier, est profondément imprévisible. Aussi devons-nous faire montre de créativité et ne pas hésiter à renouveler les formats et l'ambition du G7.

Nous cherchons en particulier à associer, dans le cadre de coalitions sur les sujets prioritaires, ce que j'appelle les « pays de bonne volonté », qui partagent nos valeurs démocratiques et notre attachement au multilatéralisme, notamment parmi les membres du G20, mais pas uniquement, afin d'obtenir des résultats concrets et de dépasser les blocages créés par les positions américaines. Au-delà des formats, notre engagement pour soutenir le multilatéralisme témoigne aussi d'une vision des relations entre États. Le multilatéralisme, c'est un projet politique et pas seulement un cadre formel ; c'est un ordre qui doit permettre de régler collectivement les crises, mais aussi de réguler, à moyen et à long termes, les effets des inégalités mondiales.

La France placera au coeur de sa présidence du G7 la notion de réduction des inégalités et la dimension sociale de la mondialisation. Notre présidence doit aussi nous permettre de donner une impulsion à la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), décidée à Buenos Aires – j'y reviendrai dans un instant –, de poursuivre la lutte contre le changement climatique et pour la préservation de la biodiversité, mais aussi d'aborder les sujets liés au numérique et à la défense de la démocratie, de prolonger l'action de la présidence canadienne concernant l'égalité femmes-hommes et de nouer un partenariat avec l'Afrique, en particulier en matière d'emploi des jeunes.

La réunion plénière du G7 aura lieu à Biarritz à la fin du mois d'août. J'organiserai deux réunions des ministres des affaires étrangères. La première, les 5 et 6 avril, sera consacrée aux grandes crises politiques et sécuritaires. Elle abordera également les questions liées au cyberespace. La seconde, avec les ministres du développement et les ministres de l'éducation, se tiendra au mois de juillet et sera suivie d'une conférence internationale sur l'autonomisation des filles et des femmes par l'éducation dans le pays en développement.

Je passerai plus brièvement sur les autres points que je voulais évoquer avec vous, pour être en mesure de répondre à vos questions. Je voudrais néanmoins rappeler que nous commémorions, avant-hier, le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH). J'ai organisé au Quai d'Orsay un après-midi de témoignages sur les grands défis que rencontrent les droits humains. J'ai évoqué la nouvelle stratégie internationale que je souhaite mettre en oeuvre pour que la France reste en position de leader s'agissant de la DUDH – je serai peut-être amené à en reparler en réponse à vos questions.

Je voudrais également vous dire que je suis avec stupéfaction les vrais-faux débats autour du pacte sur les migrations. Je considère qu'il s'agit de véritables manipulations. Les propos les plus fantaisistes ont circulé sur certains réseaux sociaux, au point de pousser des leaders politiques pourtant respectables à s'interroger. Je pense à l'Autriche – j'en profite pour le dire publiquement –, qui préside le Conseil de l'Union européenne. Ce pays, qui était à l'origine du pacte, ne participe même pas à la conférence de Marrakech. C'est assez stupéfiant.

Je précise que le pacte en question est un document de quarante et une pages, dont je vous conseille la lecture et que je vous invite à commenter ensemble, pour éviter les faux débats. C'est une bonne chose que de véritables débats aient lieu, mais, en l'occurrence, ce n'est pas le cas : le pacte n'a aucune portée juridique, il n'impose aucune obligation nouvelle aux États signataires et ne crée aucun droit à la migration ni aucun droit nouveau pour les migrants.

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