Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

On voit pourquoi le ministère de l'économie et des finances ou le ministère de l'action et des comptes publics propose d'affecter au budget général et au remboursement de la dette un certain nombre de recettes. Mais il est évidemment plus légitime, si la recette est trop importante, de baisser les taux, et ce particulièrement dans le cas d'une taxe affectée, à partir du moment où un certain nombre d'objectifs sont définis.

Cependant, beaucoup de dépenses ont été financées dans notre pays par l'emprunt, par une augmentation considérable de la dette ; j'ai rappelé tout à l'heure le niveau de la dette en 2001, et vous connaissez son niveau aujourd'hui. La charge de la dette n'a pas du tout augmenté dans les mêmes proportions compte tenu de taux d'intérêt qui ont été très faibles. Mais, à un moment donné, il faut bien rembourser les dettes.

Il n'est donc pas totalement illogique qu'à partir du moment où des dépenses ont été financées par emprunt, on puisse se donner les moyens de rembourser une partie de la dette. Le gros problème est que nous sommes dans une situation fragile, compte tenu de cet endettement. La France continue d'être un grand pays, et les taux d'intérêt vont vraisemblablement évoluer lentement dans le temps ; la catastrophe annoncée n'arrivera donc peut-être pas. On observe toutefois que la sensibilité aux taux d'intérêt est extrêmement forte.

Vous avez encore évoqué le problème de la responsabilité, sur lequel nous pourrons revenir si vous le souhaitez. Une distinction doit être établie entre le pilotage et la gestion proprement dite, qui existe dans beaucoup de pays. C'est le cas en Allemagne, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie : les ministres ne sont pas ordonnateurs principaux des dépenses mais n'en sont pas moins ministres.

C'est une tradition française, mais il y a sûrement une responsabilité administrative à mettre en place entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale. Car lorsqu'il s'agit de gestion, la responsabilité ne relève pas du domaine pénal, et tout ne relève pas d'une responsabilité politique devant le suffrage universel. Les marges de progrès demeurent considérables en matière de responsabilisation des gestionnaires, qui était un des objets de la LOLF.

Je me souviens qu'avec Alain Lambert, nous nous déplacions en disant : « Chaque ministre doit être son propre ministre des finances, vous verrez qu'avec la fongibilité asymétrique vous pourrez bénéficier d'une certaine souplesse, etc. » Or, aujourd'hui, lorsque l'on considère la pratique du ministère des comptes publics, on constate qu'il fait du ligne à ligne , ce qui est totalement déresponsabilisant, pour ne pas dire infantilisant, pour les gestionnaires publics. Un gestionnaire qui souhaite proposer des initiatives le fait une fois, mais pas deux.

Deux choses demeurent essentielles.

La première est la sincérité des prévisions, pour laquelle un travail a été entrepris et doit être poursuivi ; la chose est difficile lorsqu'il s'agit de la sincérité absolue dans le domaine des recettes, car elles dépendent de la conjoncture économique. Cela est plus facile pour les dépenses, même si des ajustements sont toujours possibles en cours d'année. Mais, lorsqu'on sait qu'on sous-budgétise un certain nombre de crédits depuis plusieurs années ; cela peut poser une question de sincérité – ou d'insincérité – que la Cour des comptes peut identifier.

De son côté, la contractualisation peut être utile, car la question de l'annualité peut également être posée. Cette pratique reste utile, mais certaines choses doivent obligatoirement s'inscrire dans le temps. Je me souviens d'un des propos de Philippe Séguin, qui m'a précédé dans mes fonctions, et présentait la LOLF comme constituant aussi une réforme de l'État, ce qui excédait peut-être le champ de cette loi, mais était possible à partir du moment où les outils d'une plus grande performance de l'action publique pouvaient conduire à cette réforme. Car passer d'une logique de moyens à une logique de résultats pouvait effectivement représenter une réforme de l'État, ou, à tout le moins une démarche pouvant y conduire, mais cela reste encore en suspens.

Dans tous les cas, cela représente un beau travail ; je vous souhaite bon courage !

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