Intervention de Véronique Louwagie

Séance en hémicycle du mercredi 13 mars 2019 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie :

Les difficultés se poursuivent.

Comment ne pas s'inquiéter, par ailleurs, de la privatisation d'Aéroports de Paris, de La Française des jeux et d'Engie ? Contraire à l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », cette mesure bafoue nos fondements constitutionnels.

Surtout, la question de l'intérêt réel de ces opérations se pose. Prenons l'exemple de La Française des jeux. Actuellement, l'État perçoit 90 millions d'euros de dividendes par an. Or, s'il revend l'entreprise pour la somme de 3 milliards d'euros en lui octroyant un monopole de vingt-cinq ans, il ne gagnera pas d'argent sur cette vente mais réalisera en réalité une opération nulle, compte tenu des fortes marges de croissance de l'entreprise.

Le projet de privatisation d'Aéroports de Paris est plus choquant encore. Il s'agirait ici d'un véritable abandon d'État. Service public national, ces structures, stratégiques par définition, constituent un pont entre la France et le monde. Six passagers sur dix atterrissent ou décollent chaque jour dans un aéroport parisien ; 8 tonnes de fret sur 10 passent par l'aéroport Charles-de-Gaulle. La volonté de l'État de privatiser est d'autant plus incompréhensible que, sur la période 2016-2020, Aéroports de Paris SA devrait distribuer près de 2 milliards d'euros de dividendes – l'État actionnaire en aurait récupéré près d'un milliard. En ces temps de déficit budgétaire, se priver d'une telle rente est une ineptie. Même les États-Unis n'ont pas privatisé leurs aéroports !

Mais s'il est une disposition qui justifie à elle seule un renvoi en commission du projet de loi PACTE, c'est sans doute son article 61, qui oblige les entreprises à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans leur gestion, et qui introduit la notion juridique de « raison d'être ». L'obligation pour l'entreprise d'agir « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » est un gros caillou dans la chaussure des entrepreneurs français. Le problème est d'autant plus grave que le Conseil d'État avait appelé l'attention du Gouvernement sur « le caractère incomplet de l'étude d'impact du projet de loi qui reste, en dépit des compléments déjà apportés, en deçà des exigences de l'article 8 de la loi organique no 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ».

Ainsi, tout dirigeant devra s'interroger sur ces enjeux sociaux et environnementaux, et les considérer avec attention, dans l'intérêt de la société, à l'occasion de ses décisions de gestion. Certes, cette prise en compte est nécessaire – elle s'inscrit dans l'intérêt de la société et nous devons travailler sur ce sujet – , mais elle est souvent déjà effective sans qu'il soit nécessaire de faire peser une énième contrainte sur le dos des entrepreneurs français. Comment comprendre que le tapissier du coin qui aurait le malheur de polluer son voisinage se voie contraint d'endosser la responsabilité d'une faute civile en plus de celle qu'il supporte déjà actuellement au titre de son manque de vigilance ? Cet article aurait mérité un débat beaucoup plus approfondi afin de mesurer l'ensemble de ses conséquences. Je crains qu'il ne soit une véritable torpille juridique pour les chefs d'entreprise et que les plus petits ne fassent, encore une fois, les frais de la politique économique du Gouvernement. Cette disposition risque, par ailleurs, d'entraîner une véritable bataille juridique : les risques de contentieux sont probablement à venir.

De plus, si la pertinence de l'intégration de la raison d'être dans le corpus juridique est aujourd'hui encore difficile à évaluer, il n'est pas exclu que celle-ci contribue également à fragiliser nos entreprises.

Certes, des avancées notables ont été obtenues par les députés du groupe Les Républicains. Par exemple, le ministre de l'économie est désormais contraint de prendre des mesures lorsqu'il constate qu'un investissement étranger a été réalisé sans autorisation préalable ou que les conditions assortissant une autorisation n'ont pas été respectées. La mutualisation des moyens des chambres de commerce et d'industrie et des chambres des métiers et de l'artisanat a été rendue possible. Les droits des actionnaires minoritaires des sociétés cotées sur un marché réglementé ont été renforcés par l'abaissement du seuil de sell out de 95 % à 90 %, sur le modèle de ce qui est proposé pour le retrait obligatoire bénéficiant aux actionnaires majoritaires.

Toutefois, malgré un certain nombre de rapprochements opérés entre le Sénat et le Gouvernement, de nombreuses divergences se sont manifestées, entraînant l'échec de la commission mixte paritaire du 20 février dernier. Conscient des risques, le Sénat a supprimé plusieurs articles relevant du coeur de la stratégie économique du Gouvernement, remettant notamment en question la privation d'Aéroports de Paris et de La Française des jeux, ainsi que les articles relatifs à l'intérêt social et à la raison d'être des entreprises.

En dépit des acquis que j'ai cités, il est désormais de notre responsabilité de représentants de la nation d'éviter l'adoption en l'état de mesures non souhaitables pour la santé économique de l'État français et pour les plus petits de nos entrepreneurs. C'est la raison pour laquelle je vous propose, au nom du groupe Les Républicains, d'adopter cette motion de renvoi en commission.

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