Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 13 mars 2019 à 21h30
Croissance et transformation des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je vous écoute et j'entends une langue morte, monsieur le ministre. Vous dites qu'Aéroports de Paris n'est plus un monopole depuis qu'il existe des hubs, qu'il faut abonder un fonds pour l'innovation de rupture, qu'il faut dégager des moyens financiers pour le stockage des données. Mon sentiment, c'est que vous n'y croyez pas, que vous n'y croyez plus. Les Français y croient encore moins, mais qu'importe, cela se fera quand même. Vous êtes porté, moins par un enthousiasme que par une inertie.

Lorsque je vous écoute, je me rends compte que l'ensemble de ce projet de loi est habité de cette langue morte : « accompagner vers la digitalisation », « stimuler la croissance de nos sociétés », « lever les blocages », « modernisation », « co-construction », « innovation »… Il y a l'inévitable « libérer les entreprises », et aussi la fatale « croissance au service de notre économie ». Vous parlez une langue mécanique, sans foi ni fougue, sans imagination, sans ambition, qui n'emporte plus le pays, qui ne cherche même plus à emporter le pays, qui ne se soucie plus d'avoir l'approbation, l'adhésion ni même l'acceptation des Français.

Cela dit, ce projet de loi, cette langue, cette braderie des aéroports reflètent un moment politique. Vous ne dirigez plus, mais vous dominez toujours. Vous savez que nous devons cette distinction à Antonio Gramsci. Je le cite car, depuis sa prison, depuis les années 1930, depuis l'Italie, on croirait qu'il parle de la France d'aujourd'hui, dans sa langue complexe – car, pour que ses écrits franchissent les portes des geôles fascistes, il utilisait en permanence des périphrases. Pour ne pas écrire le nom de Marx, il évoquait « l'inventeur de la dialectique »…

Selon Gramsci, donc, la crise moderne est liée à ce que l'on appelle une crise d'autorité. La classe dominante a perdu le consentement, c'est-à-dire qu'elle n'est plus dirigeante, mais seulement dominante, détentrice d'une pure force de coercition. Cela signifie précisément que les grandes masses se sont détachées des idéologies traditionnelles, qu'elles ne croient plus à ce en quoi elles croyaient auparavant.

Nous vivons ce temps. L'adhésion des Français au mouvement des gilets jaunes a montré que nos compatriotes ne croient plus en vous, qu'ils ne croient plus à votre discours.

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