Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du mercredi 13 mars 2019 à 21h30
Croissance et transformation des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Nous aurions peut-être dû l'écouter, car il est vrai qu'avec plus de 190 articles à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, 174 au retour du Sénat, ce texte fleuve, généraliste et touche-à-tout s'attaque à la fois au code civil, au droit des sociétés, au code monétaire et financier, au code de commerce et au code général des impôts. Cela pourrait être anecdotique si ce projet de loi ne s'attaquait pas aussi au bon sens et au patrimoine de l'État. Vous comprendrez naturellement que j'évoque ici la question des privatisations, en particulier des opérations que vous prévoyez s'agissant d'Aéroports de Paris et de la Française des jeux, que nous considérons comme de mauvais choix stratégiques.

Depuis que vous nous avez fait part de vos intentions, il est très intéressant d'observer le glissement sémantique et l'évolution de votre vocabulaire sur le dossier Aéroports de Paris. Au début, nous avons entendu l'annonce tonitruante d'une nouvelle stratégie de l'État actionnaire, qui allait se délester d'une partie de son portefeuille pour financer l'innovation de rupture. Comme si les moyens dévolus à ce fonds, qui ne représentent finalement que 5 % de ce que rapportait l'ISF, nécessitaient de vendre le patrimoine des Français à la puissance privée… Puis nous avons appris, mardi matin sur France Inter, par la bouche du porte-parole du Gouvernement, qu'il ne s'agirait pas vraiment d'une privatisation car l'État conserverait en fait 20 % du capital.

Au-delà même de l'intérêt de cette nouvelle approche, vous comprendrez sans peine notre étonnement concernant une mesure que nous n'avions jamais évoquée dans nos débats. La surprise a été d'autant plus forte que cette annonce est venue fragiliser, pour ne pas dire saper, toute l'argumentation bâtie jusque-là autour de la nouvelle stratégie et des intérêts attendus d'un capital placé désormais bien moindre.

Depuis quarante-huit heures, nous avons franchi un nouveau pas dans la surprise et la sémantique puisque, sur les réseaux sociaux, des membres de la majorité relaient de nouveaux éléments de langage. Ils ne parlent plus de privatisation ou de cession de parts, mais seulement d'une concession de soixante-dix ans.

Vous comprendrez que nous soyons quelque peu perdus dans ces évolutions. Dans cette voie, on pourrait même imaginer que vous nous direz tout à l'heure qu'en fait, vous nous proposez une délégation de service public – pourquoi pas ?

On voit bien à travers ces revirements monsieur le ministre, qu'il n'y a finalement dans ce dossier que peu de cohérence économique, de logique d'aménagement du territoire, de gestion des actifs de l'État ou de défense du service public. Votre approche est différente de la nôtre : c'est un choix idéologique d'essence ultra-libérale, qui nous semble bien loin du pragmatisme dont vous vous réclamez.

Comme l'a rappelé notre présidente Valérie Rabault, il est bien difficile d'accorder pleinement notre confiance sur la gestion d'un dossier qui ressemble beaucoup à celui qui avait été conduit sous l'ancienne majorité par un certain ministre de l'économie d'alors, qui nous avait promis tant est plus pour la privatisation de l'aéroport de Toulouse. On voit aujourd'hui, avec le recul, la catastrophe qu'a été cette opération, qui n'aura servi qu'à engraisser de curieux actionnaires chinois au détriment d'un fleuron industriel.

Vous nous répondrez que le cahier des charges permettra de lever nos inquiétudes, mais la cour administrative d'appel de Paris envisage précisément de déclarer la nullité de la privatisation de Toulouse pour non-respect du cahier des charges fixé par le ministre Emmanuel Macron en 2015. Vous pourrez donc essayer de nous convaincre, mais votre argument est démenti par les faits.

Il est encore temps, chers collègues. Préservons-nous d'une telle décision car, si la justice permet parfois de bloquer de tels mauvais choix, elle n'en rattrape jamais toutes les conséquences.

Or, ces conséquences ne sont pas qu'économiques : elles peuvent toucher jusqu'à la santé de nos concitoyens. Cela m'amène à la privatisation de la Française des jeux. Je n'en dirai qu'un mot rapide, mais comment garantir qu'un acteur privé lutte demain avec la même force que l'État contre l'addiction et la dépendance au jeu, alors même que ce sont les jeux addictifs qui revêtent le plus grand intérêt économique ? Notre collègue Régis Juanico développera plus précisément cette question dans les débats.

Il y a, certes, dans ces mesures économiques diverses, nombreuses et pléthoriques, des avancées positives, mêmes si elles sont trop fragiles à notre goût. Ainsi, nous nous réjouissons que la majorité se soit saisie du rapport Senard-Notat pour engager une transformation de notre modèle d'entreprise.

À nouveau, et sons l'égide de Dominique Potier, nous défendrons des amendements qui viseront à mettre vos engagements en accord avec le contenu de cette loi, à propos de la transparence et de l'encadrement des écarts de rémunération, de la co-détermination, de la définition de la société et de la prise en compte de ses externalités ou encore de la société à mission.

Nous nous satisfaisons déjà également des avancées obtenues quant à la modernisation du statut de la société anonyme à participation ouvrière ou au relèvement du droit de suite pour la conservation du statut d'entreprise artisanale.

Dans la poursuite de nos débats, nous espérons que, sur les autres dispositions, consacrées notamment à l'entreprise nouvelle, nous serons également entendus pour améliorer ce texte.

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