Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2019 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 44 (appelé par priorité)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Nous avons, sur nos pupitres, trois boutons de vote, qui correspondent à trois décisions possibles. Nous pourrons ainsi approuver la privatisation du groupe Aéroports de Paris – ADP – , la refuser ou nous abstenir. Il faut convenir que, en certaines circonstances, quand on ne sait que décider, l'abstention est un choix commode. Ce n'est toutefois pas un choix possible s'agissant de la privatisation d'Aéroports de Paris, sur le bien-fondé de laquelle, je le sais, un certain nombre d'entre vous, au sein même de la majorité, s'interrogent. C'est une décision qui engage l'avenir du pays, qui engage l'avenir de notre compagnie nationale de transport, qui engage l'avenir de projets importants d'aménagement de la région francilienne. C'est pourquoi il n'y a de place pour l'abstention sur aucun banc.

Les aéroports de Paris accueilleront, en 2022, quelque 120 millions de passagers. Le groupe ADP n'est pas une entreprise comme les autres, c'est un aménageur, un exploitant, un développeur qui dispose de 6 600 hectares de foncier – son éventuelle privatisation serait sans équivalent en Europe. Aéroports de Paris est une entreprise stratégique parce qu'elle est placée, je l'ai dit, au coeur de tous les grands projets d'aménagement de la région francilienne, avec le CDG-Express, avec la ligne 17 du métro du Grand Paris, avec Coeur-d'Orly et son quartier d'affaires de 15 hectares et sa plateforme multimodale – autant de projets relevant de l'intérêt national, de l'intérêt général.

Aéroports de Paris est également au coeur des intérêts stratégiques des départements de la région francilienne : le Val-d'Oise, la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne – avec l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle – , le Val-de-Marne et l'Essonne – avec l'aéroport d'Orly. C'est pourquoi l'écrasante majorité des élus de cette région, qu'ils soient de droite ou de gauche, sont opposés à cette privatisation, pour eux un non-sens autant qu'un danger. En effet, le groupe Aéroports de Paris est le premier pôle d'emplois de la région capitale, pour les Franciliens comme pour de très nombreux habitants des régions voisines.

Aéroports de Paris est au coeur des intérêts de tout le territoire national en ayant entre ses mains l'avenir des dessertes nationales. Songez que l'aéroport de Heathrow dessert 190 destinations dont seulement dix intérieures. Vous voyez ainsi le risque que vous faites planer sur l'avenir de l'aménagement du territoire. En effet, si l'on ne peut démultiplier le nombre de pistes, un aéroport choisit le type d'avion qui y atterrit et en décolle : pour lui, un Airbus A380 au nombre très important de passagers est plus rentable qu'un avion de transport régional – ATR – au nombre de places très limité. Voilà pourquoi les liaisons locales seront sacrifiées.

Comment, dès lors, j'y insiste, ne pas avoir d'avis sur un tel projet de privatisation ? Pire, comment s'y ranger ?

Le fait de confier à des intérêts privés de tels intérêts nationaux pourrait-il être compensé par une opération financière ? Nous avons eu l'occasion de l'affirmer avec force, Valérie Rabault pour le groupe Socialistes et apparentés ou des représentants d'autres groupes : c'est une mauvaise opération financière. C'est le cas d'abord parce que vous avez en tête l'idée de rembourser un peu de la dette nationale – oh, bien peu : 0,5 % – , alors même que l'action ADP rapporte des dividendes dont le taux de rentabilité est supérieur au taux auquel nous empruntons sur les marchés – à savoir à des taux très faibles, voire, en certaines circonstances, à des taux négatifs.

C'est une mauvaise opération car ADP est une entreprise en plein développement, dont les dividendes, depuis dix ans, quoique vous en disiez, ont augmenté. Ces cinq dernières années, le cours de l'action a augmenté de 160 %, une progression qui n'a même pas été ralentie par la crise de 2008. D'un strict point de vue financier et d'un strict point de vue patrimonial, cette privatisation est une idiotie d'autant plus grande que vous voulez financer un fonds pour l'innovation radicale pour un montant somme toute dérisoire, 200 millions d'euros, qui ne correspondent même pas au montant cumulé des dividendes de La Française des jeux et d'Aéroports de Paris en 2017.

Vous voulez créer une taxe sur les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon : très bien, qu'à cela ne tienne et nous nous en félicitons. Elle produira 450 millions d'euros la première année. Consacrez-les donc à l'innovation radicale. Vous avez d'ailleurs envisagé un rendement croissant de cette taxe : c'est dire à quel point l'innovation aurait à y gagner.

Les Français auront perdu la maîtrise de l'avenir du groupe ADP sans gagner un centime. Nous sommes en train de reproduire le scandale de la privatisation des autoroutes. Et peu importe que vous parliez de privatisation ou de concession. La régulation que vous prévoyez est celle d'un tout petit périmètre. Le service public aéroportuaire est en réalité la portion congrue. Vous prétendez que nous allons privatiser un centre commercial ou, comme je l'entendais tout à l'heure, la Maison du chocolat – avouez que la Manufacture nationale des chocolats et du cacao, ça aurait de la gueule, si j'ose m'exprimer ainsi, mais c'est pour plaisanter avec le rapporteur général de la commission spéciale.

Or, ADP, c'est bien autre chose : c'est une entreprise stratégique. J'emploie à dessein le terme car le Premier ministre lui-même, hier, a eu la prudence de le faire, ajoutant qu'il n'était pas très content de la manière dont le groupe ADP était géré. Je lui réponds : faites donc votre travail d'État actionnaire, votre travail de régulateur.

Observez le classement des aéroports internationaux : les dix premiers ont un capital majoritairement public et non privé.

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