Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2019 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 44 (appelé par priorité)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Vous projetez de créer un fonds de rupture et d'innovation pour provoquer une évolution majeure de l'économie française avec 250 millions d'euros par an ? Enfin, vous ne pouvez pas y croire vous-mêmes ! Cela est d'autant moins sérieux que nous disposons déjà de ces 250 millions d'euros grâce aux dividendes annuels d'Aéroport de Paris et de la Française des jeux.

Si vous voulez créer un fonds de 10 milliards d'euros, faites des économies sur le budget de l'État, mais ne vendez pas Aéroport de Paris et La Française des jeux ! Si vous voulez investir dans l'innovation et dans l'économie nouvelle, faites-le en affectant des dividendes qui existent déjà aujourd'hui à cet usage !

On le voit bien : tout cela ne tient pas debout. Votre véritable motivation, mais tout le monde l'a bien compris maintenant, tient dans votre volonté de diminuer la dette de l'État. Ces privatisations permettront d'afficher un endettement d'un demi-point inférieur à ce qu'il est aujourd'hui, ce qui vous évitera d'approcher de trop près les 100 % d'endettement par rapport au PIB. Je ne conteste pas qu'il s'agit de l'une de vos sincères préoccupations, mais, franchement, il existe d'autres moyens pour désendetter le pays que de vendre ADP et La Française de jeux.

Pour alimenter sa réflexion la majorité devrait aussi regarder ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières, puisqu'elle refuse de nous entendre. Cela dit, elle a beau jeu de faire semblant de croire que, parce que nous appartenons à l'opposition, nous sommes systématiquement hostiles à tout ce qu'elle propose. C'est entièrement faux ! Nous avons voté un certain nombre des textes voulus par la majorité, en particulier en ce qui concerne les ordonnances en matière de droit du travail, ou la privatisation de la SNCF. Sur un certain nombre de sujets, nous sommes prêts à la rejoindre, mais ce n'est pas le cas s'agissant de ces privatisations.

J'en reviens aux exemples étrangers. Sachant que l'on va nous faire une leçon de libéralisme, il est par exemple intéressant de regarder ce qui s'est passé aux États-Unis. Je rappelle que, pour notre part, nous ne sommes pas hostiles par principe aux privatisations, mais nous pensons que l'État doit rester un État stratège, qui doit continuer à maîtriser des outils essentiels comme les aéroports, les autoroutes, qu'on a privatisées à tort, ou un certain nombre de ports. Le constat est simple : aux États-Unis, l'ensemble des aéroports sont publics.

On peut aussi s'intéresser au discours que tiennent les compagnies aériennes en matière de privatisation des aéroports. Lors de son assemblée générale, qui s'est tenue au mois de juin dernier à Sydney, l'association internationale du transport aérien – IATA – qui réunit 290 compagnies aériennes dans le monde, a adopté une résolution dans laquelle elle conseille aux États de préserver le caractère public des aéroports. L'IATA s'est appuyée sur une étude du cabinet McKinsey qui constate que les aéroports privatisés ne rendent pas de meilleurs services que les aéroports publics, mais qu'ils coûtent plus cher. Ce n'est donc pas l'opposition qui le dit, mais le très sérieux cabinet McKinsey et toutes les compagnies aériennes du monde.

Demain, Aéroports de Paris privatisé coûtera plus cher, que vous le vouliez ou non, et nous nous serons privés des effets bénéfiques de l'évolution positive de son chiffre d'affaires.

Au-delà de ces remarques, plusieurs questions se posent. Il y a celles relatives à la concurrence. Vous vous apprêtez à créer une situation de monopole ou de rente, qui constituera peut-être, demain, un abus de situation dominante au profit des deux aéroports parisiens remis entre les mains d'un opérateur privé, que vous le vouliez ou non.

Il y a aussi une question à laquelle je crois que vous n'avez jamais répondu, monsieur le ministre – peut-être le ferez-vous aujourd'hui : l'État conservera-t-il une participation dans le capital d'Aéroports de Paris et à quelle hauteur ? La représentation nationale a le droit de savoir ce qu'il en est.

M. Robin Réda a déjà parfaitement évoqué la question suivante : comment indemniserez-vous les actionnaires actuels ?

M. Éric Woerth parlera beaucoup mieux que moi de cet autre sujet : que se passera-t-il si l'évolution du chiffre d'affaires, des dividendes et des bénéfices est supérieure à ce qui est prévu ? Pourrons-nous en récupérer une partie ?

Il faut aussi regarder de près ce qui s'est passé à Toulouse, parce que la privatisation de son aéroport se solde par un véritable fiasco. Lundi dernier, devant la cour administrative d'appel de Paris, le rapporteur public a même demandé l'annulation pure et simple de l'opération. J'espère qu'on n'en arrivera pas à cette extrémité, mais je me demande si vous avez tiré toutes les conséquences de ce fiasco qui se déroule sous nos yeux.

Nous, le groupe Les Républicains, vous demandons, monsieur le ministre, de renoncer à la vente d'Aéroports de Paris. Nous avons aussi déposé des amendements pour tenter de limiter les dégâts : soixante-dix ans est un délai vraiment beaucoup trop long et nous proposerons de le raccourcir. Éric Woerth a pour sa part déposé un amendement, que nous soutiendrons, tendant à ce que l'État français bénéficie d'un complément de prix si jamais le développement d'Aéroports de Paris s'avérait meilleur encore que ce que nous pensons, sachant que le secteur est en plein essor et plein d'avenir.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de venir ce matin nous écouter en personne.

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