Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2019 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 44 (appelé par priorité)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Je le sais bien, cher collègue. Vous avez montré, en citant deux juristes, que c'en était évidemment un.

Sachant que la quasi-intégralité – 80 % – du transport aérien national et international passe par l'Île-de-France, qu'est-ce d'autre qu'un monopole ? Nous dire que ce n'est pas un monopole, c'est, là encore, jouer avec les mots, et cela ne passera pas, si je puis dire, le mur des convaincus.

Troisièmement, on nous dit que, si la privatisation des autoroutes a été une mauvaise affaire pour l'État, c'est parce qu'elle a été très improvisée et qu'on a vendu les actifs à un prix anormalement bas. Or, d'une certaine façon, vous êtes confrontés aux mêmes incertitudes. Un jour, M. Griveaux annonce que l'État conservera 20 % du capital. Quelques heures plus tard, il révèle dans un tweet que cette décision est remise en question. Vous-mêmes, vous nous dites que vous ignorez ce qu'il en sera. Le groupe Vinci achètera-t-il la totalité d'ADP ? Y aura-t-il plusieurs actionnaires, parmi lesquels les départements franciliens ? En réalité, vous nous faites signer un chèque en blanc pour effectuer une opération qui n'est absolument pas bordée et sent l'improvisation.

Quatrièmement, vous nous demandez pourquoi l'État conserverait des centres commerciaux ou des hôtels. Je vous rappelle que, si 60 % du chiffre d'affaires d'ADP est directement lié à l'aéronautique, le reste, dont les activités commerciales et hôtelières, dépend aussi de la présence d'un aéroport : c'est dans ce sens, et non dans l'autre, que cela fonctionne. Si vous voulez nous convaincre qu'on peut privatiser les commerces et les hôtels, pourquoi pas ? Dans ce cas, envisageons une opération sur ces secteurs, non sur l'ensemble des aéroports. Ceux de New York ne sont pas privatisés ; ils restent propriété publique, ce qui n'empêche pas, à certains moments, que des tâches, notamment commerciales, soient dévolues au privé. Là encore, votre argument ne tient pas.

Au niveau financier enfin, nous vous l'avons tous dit et redit tant c'est évident au vu des chiffres : vous préparez une mauvaise affaire ! Les dividendes versés aujourd'hui par l'ensemble des entreprises que vous comptez privatiser sont trois fois plus élevés des intérêts que vous espérez récolter à partir du fonds d'investissement : d'un côté, il y a 250 millions d'euros par an ; de l'autre, trois fois plus. Les dividendes des seuls aéroports de Paris rapporteront autant que les intérêts que vous nous promettez.

Hier, Mme Rabault a fait une proposition : si vous voulez verser des fonds à l'investissement, fléchez les dividendes rapportés par ADP !

Il existe une autre possibilité. Chacun sait que les taux d'intérêt sont très bas. C'est pourquoi je ne peux m'empêcher de sourire, quand j'entends dire que notre pays est au bord de la faillite. Tout le monde veut prêter à la France. Vous savez du reste que, compte tenu du niveau des taux d'intérêt, inférieur aux prévisions, vous récupérerez une partie de l'enveloppe de 10 milliards que vous nous avez fait voter il y a quelques semaines. Si vraiment vous voulez obtenir 250 millions d'euros, souscrivez plutôt un emprunt supplémentaire. Cela nous coûtera 2 millions d'intérêt par an, ce qui, sur sept ans, sera bien moins coûteux pour la nation que la privatisation d'ADP.

Enfin, vous promettez que l'opération est entourée de garanties. Les garanties sur l'emploi, j'aimerais les connaître. La privatisation des autoroutes s'est caractérisée par des suppressions de postes et une précarisation des emplois. Or ADP représente 5 % du PIB régional et 8 % de l'emploi régional – c'est dire l'importance de ce groupe. Rien ne prouve que sa privatisation ne portera pas un mauvais coup à l'emploi.

Nous vous avons renvoyés à la privatisation de l'aéroport de Toulouse, désormais remise en question. Vous assurez que vous avez retenu la leçon et qu'il n'y aura pas de cession à des États, ce qui limitera le risque d'ingérence. Mais en quoi l'influence de fonds de pension, de Goldman Sachs ou de la Caisse de dépôt et placement du Québec serait-elle moins importante, y compris en ce qui concerne la pression politique ou en termes financiers, que celle d'un État ? Le cahier des charges ne comporte aucune garantie sur ce point.

À propos, M. Le Maire a annoncé il y a peu à la commission spéciale qu'il aurait un cahier des charges – en précisant qu'il s'agissait d'un dispositif réglementaire et non obligatoire – , afin de nous rassurer. Je suis surpris qu'il ait fallu attendre onze heures trente et une, ce matin, pour qu'Olivia Gregoire envoie un document sur notre messagerie électronique. Et quel document ! C'est à tomber par terre. Il ne comporte que des titres !

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