Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d'investissement :

Par deep tech, il faut entendre des halos d'écosystèmes de start-up autour des pôles universitaires ; en conséquence, la carte de la deep tech française est, en gros, celle de la science française. Cela répond aux questions relatives à la répartition territoriale : il est sûr que la deep tech sera probablement hors de portée des territoires fragiles.

J'ignore si nous finançons en particulier la recherche sur le traitement des cancers pédiatriques, mais je sais que Bpifrance investit dans de nombreuses start-up qui se consacrent à la biotechnologie et dont les protocoles s'appliquent aux cancers pédiatriques. Ainsi de Cellectis, une des « licornes » dont j'aurais aimé parler à M. Joël Giraud.

Un mot au sujet de l'hydrolienne de Naval Group, pour vous dire que nous avons participé au capital d'une entreprise qui se révèle sans fondement technologique, et donc sans pertinence. En conséquence, nous ne sommes pas contents du tout, et notre partenaire Technip et nous-mêmes avons envoyé du papier bleu. Nous avons d'autres raisons de travailler avec Naval Group, mais ce dossier précis ne nous satisfait pas.

Certes, notre coefficient d'exploitation est de 56,9 %, mais ce pourcentage englobe notre division du financement de l'innovation, un effectif d'environ 170 personnes qui travaillent à distribuer les aides de l'État. Il y a quatre ans encore, l'État payait les salaires de ces 170 personnes qui oeuvrent sous mandat de la direction générale des entreprises et du ministère de la recherche. Depuis lors, il nous revient de les régler, et ces salaires vont à des gens qui distribuent une ressource qui ne nous rapporte aucun revenu. C'est donc une perte nette. Quand on soustrait la direction de l'innovation du calcul du coefficient d'exploitation et que l'on s'en tient à l'activité de crédit qui nous rapporte des revenus – on compare donc charges et revenu – nous sommes à 48 %, ce qui est vraiment très faible. La division du financement de l'innovation de Bpifrance connaît une perte structurelle de 45 millions d'euros ; cela signifie que, tous les ans, nous prélevons 45 millions d'euros de nos fonds propres pour financer une mission d'intérêt général dont la gestion nous est confiée par l'État.

Je n'ai pas en mémoire le coût forfaitaire facturé par dossier du PIA mais nous vous le communiquerons, madame la présidente.

S'agissant du profil de nos collaborateurs, nous recrutons énormément dans les écoles de commerce et beaucoup dans les écoles d'ingénieurs, notamment pour les équipes de financement de l'innovation. Nous recherchons des jeunes gens capables d'être des « médecins de campagne » : ils doivent avoir à coeur les quatre valeurs de Bpifrance que sont la proximité, la simplicité, l'optimisme et la volonté, sans quoi ils ne sont pas recrutés.

Le programme 134 est très important puisque le coeur du financement de la transmission, des toutes petites entreprises notamment, c'est la garantie : les crédits permettant à un boucher de transmettre sa boucherie à un autre boucher ou la transmission d'une PME à une autre PME sont des crédits bancaires privés garantis par Bpifrance ; 83 % de nos crédits de transmission vont à des TPE et 16 % à des PME. En 2018, nous avons soutenu près de 14 000 entreprises en transmission pour près de 4 milliards d'euros déployés. Nous sommes donc très actifs, grâce au système de la garantie désormais financé par nos propres résultats. Nous finançons également, par nos propres fonds et par le biais des fonds privés que nous finançons, la transmission par fonds propres ; elle finance les rachats de fonds de commerce, les projets de transmission ou de première installation et les rachats par emprunt – leveraged buy-out (LBO).

C'est le coeur de la mission et le coeur de la « conscience » de Bpifrance. Pour Mme Rabault, je dirai que nous avons toutes les données permettant de mesurer l'équité géographique. Le rapport au PIB est un indicateur insuffisant car, dans certains départements, une forte partie du PIB provient de l'agriculture, que nous ne finançons pas ; il faudrait prendre en compte le PIB industriel, et l'on trouverait alors que l'action de Bpifrance est très équitablement répartie.

Le plan « Deep tech » est fondé sur une nouvelle gamme de produits présentée en janvier. Elle comprend une obligation convertible adaptée aux risques pris dans le monde de la deep tech et qui n'existait pas jusqu'alors.

MM. Saint-Martin et Forissier m'ayant interrogé sur le « recyclage » de l'ISF-PME, je m'attarderai un instant sur ce que l'on peut appeler le fonds de fonds retail. Manque-t-on de capitaux supplémentaires à injecter au capital des PME familiales françaises ? Je ne le pense pas. Il existe déjà beaucoup de fonds et, grâce aux fonds de fonds de Bpifrance, toutes les équipes qui veulent faire ce métier sont financées, pour peu qu'elles soient professionnelles. Une famille voulant ouvrir le capital d'une entreprise de qualité nous surprendrait vraiment en nous disant qu'elle ne trouve pas.

Avec un rapport de 1,7, l'investissement dans le capital des PME est très rentable : les investisseurs obtiennent un rendement très supérieur aux obligations d'État mais aussi à l'assurance vie. Or, le secteur est devenu pratiquement interdit d'investissement aux Français, parce que l'on exige des investisseurs qu'ils soient extrêmement professionnels. Le moment est venu de démocratiser le private equity français. Il faudrait créer un produit permettant aux Français qui peuvent investir 10 000 euros – je pense que ce seuil est nécessaire – de le faire en relative sécurité dans l'écosystème des fonds d'investissement PME français. Bpifrance peut y contribuer. Nous finançons 300 fonds avec nos fonds propres, ceux de l'État, de l'Union européenne et de certaines grandes entreprises privées ; qu'est-ce qui empêcherait de proposer ce portefeuille à des investisseurs individuels par le biais des banques françaises qui gèrent le patrimoine de leurs propres clients ? Il ne s'agit pas vraiment de combler une faille du marché mais de proposer un rendement et une action citoyenne aux très nombreux Français qui ont un peu d'argent à investir et qui ne veulent pas tout placer en produits obligataires, aujourd'hui peu rentables.

Nous sommes très heureux que vous vous soyez battue contre la suppression des crédits du programme 134, madame Bonnivard, car nous nous sommes battus aussi ! Il ne faut pas supprimer ce programme d'une importance fondamentale. Le recyclage du dividende exceptionnel de Bpifrance nous permet de tenir en 2019, et en 2020 à peu près. Les sommes sont énormes : sur le résultat net de Bpifrance que j'annoncerai après-demain à mon conseil d'administration – et dont je peux déjà vous dire qu'il est proche du milliard d'euros, provenant pour l'essentiel des plus-values de cessions – nous remontons 650 millions d'euros, soit presque l'intégralité de notre résultat et, de plus, nous payons l'impôt sur les sociétés. Cela permet de couvrir la garantie française en 2018, en 2019 et en 2020. Ensuite, c'est fini, et il faut trouver une autre solution. Nous y travaillons en ce moment avec la direction générale du Trésor, mais ce ne pourra pas toujours être un dividende exceptionnel de Bpifrance, parce que nous devons garder une partie de notre résultat pour augmenter nos fonds propres.

Vous vous êtes émue que certaines banques disent : « On y va si Bpifrance y va ». C'est parfois le cas, en effet. Mais – c'est aussi une manière de répondre à M. de Courson –, on peut comprendre que lorsque la situation d'une entreprise est chancelante, les banques se sentent rassurées si Bpifrance s'engage. Cependant, même Bpifrance est parfois obligée de refuser. Quand nous sommes sûrs que l'entreprise ne pourra pas rembourser son crédit, notre obligation de banquier régulé par la banque centrale est de dire « non ». Malheureusement, cela se produit : le taux moyen de refus, publié par la Banque de France, est de 12 %. En règle générale, les entrepreneurs obtiennent le crédit demandé, mais il est très difficile d'accompagner les entreprises qui n'ont aucuns fonds propres et qui sont très mal gérées.

Comme le préfinancement du CICE, que nous pouvions offrir à des entreprises en redressement judiciaire, a disparu, nous devons trouver des artifices. Normalement, aucune banque ne peut intervenir auprès d'une entreprise en redressement judiciaire, qui a pour seule solution d'augmenter ses fonds propres. Il faut donc des fonds de retournement et nous essayons d'en susciter autant que possible ; mais c'est un métier dangereux et il y a très peu de candidats à la création de fonds de retournement privés. Nous en trouveriez-vous un que nous y placerions 30 millions d'euros immédiatement.

Une plainte a effectivement été déposée contre Bpifrance à propos de Sequana. Cette entreprise nous aura, en tout, coûté 185 millions d'euros. Mes prédécesseurs et moi-même avons investi puis accompagné la restructuration de la dette de Sequana et, autant que possible, tenté d'aider le management à faire ce qu'il fallait. Finalement, le marché du papier s'est effondré beaucoup plus vite et beaucoup plus gravement que ce que chacun avait imaginé. Bpifrance a fait son devoir : 180 millions d'euros, c'est une année entière de résultat net de la totalité de nos activités bancaires. Mais le moment vient où il faut s'arrêter.

Nous avons, pour les étudiants, un fonds de garantie de 2 millions d'euros ; c'est trop peu et, à la fin du premier semestre, nous n'avons plus d'argent. Je pense comme vous, monsieur Le Vigoureux, que pour des sommes relativement limitées, nous offrons une chance définitive à des dizaines de milliers de jeunes Français. Mais ce produit exceptionnel est sous-financé. Nous sommes sur le budget de l'éducation nationale ; c'est un produit de bon sens, puisque cela coûte beaucoup moins cher que de verser des bourses, et, dès lors que le prix de l'immobilier explose dans les métropoles, le produit est incontestable.

Nous consacrons historiquement de très importants moyens au tourisme, puisque nous étions le Crédit hôtelier. Mais si nous distribuons toujours le prêt de modernisation de l'hôtellerie, nous sommes malheureusement obligés, là encore faute d'argent, d'arrêter le prêt de modernisation de la restauration. Or, dans le plan national « Action coeur de ville » de la Caisse des dépôts, ce prêt est très important. Aussi étais-je hier dans le bureau de Mme la ministre Jacqueline Gourault pour demander le rétablissement de ce prêt.

Je siège au conseil d'administration d'Orange, et je transmets donc vos messages.

Pour l'articulation avec les CCI, nous faisons le maximum. Elles sont très dynamiques dans certains départements – c'est le cas de la CCI de Strasbourg par exemple, et nous travaillons avec elle – et dans d'autres, non ; c'est une question de personnes. Team France Export est une percée. Le dispositif doit être mis en oeuvre et je pense que cela se fait à peu près correctement.

La question de la territorialisation de nos actions a traversé le débat. Non, ce que nous faisons ne suffit pas à contrer la logique de concentration géographique. Plus largement, rien de ce que fait la France ne suffit, parce que la pente descendante qui nous conduit à aller vers des métropoles mondialisées est inclinée à 25 degrés. Pour aller contre, il faut déployer une énergie phénoménale. C'est pourquoi nous poussons le programme VTE. Pour qu'il touche des milliers de jeunes Français, nous devrons unir nos efforts pour en faire un grand récit national. Aujourd'hui, 10 000 jeunes font un VIE ; je rêve qu'autant fassent un VTE, car il y a là quelque chose de profondément culturel : si, chaque année, 10 000 jeunes gens travaillent, loin chez eux, avec un patron de PME, nous changeons la France parce que ces jeunes gens, qui seront ensuite les chefs de la France, auront été transformés.

L'impact du passage du CICE à la baisse de charges commence à se faire sentir, les entrepreneurs en conviennent. Certains continuent de dire que le coût du travail reste trop cher, par rapport à la Pologne par exemple, mais ce sont, en général, les moins innovants. Dès qu'il y a de l'innovation, le coût du travail – grâce, aussi au crédit impôt recherche qui finance les cotisations sociales des ingénieurs –, commence à être considéré comme supportable.

Les « Territoires d'industrie », c'est une manière d'organiser le débat dans les territoires sélectionnés – il y en a désormais 136 – entre les acteurs. La Caisse des dépôts financera des zones industrielles dans lesquelles travailleront des entrepreneurs. Nous financerons les entrepreneurs, non les infrastructures. Aussi, à chaque fois que vous rencontrez un entrepreneur, dites-lui de s'adresser à Bpifrance, dont la boîte à outils est unique au monde. Il suffit de nous envoyer des entrepreneurs, nous travaillerons avec eux.

Il va de soi que Bpifrance agit partout en France, quartiers en veille active compris. Dites à tout jeune qui veut créer là son entreprise d'aller sur le site Bpifrance-création.fr.

Je réserve ma réponse sur le financement des équipements sportifs avec la Caisse des dépôts, sujet à propos duquel je ne suis pas compétent à ce stade.

Quel est l'effet de levier de la tournée dans les quarante quartiers retenus ? Nous nous fixons bien sûr des objectifs. Nous allons créer quinze accélérateurs ; nous voulons y faire progressivement entrer 1 500 entrepreneurs des quartiers – il s'agit, au fond, de déployer la « boîte à outils PME » pour les entrepreneurs des quartiers. Nous le ferons avec les réseaux associatifs précédemment mentionnés et avec des associations comme Entrepreneurs dans la ville, qui réalise à Lyon un travail exceptionnel. Puis nous commercialiserons des prêts sans garantie pour ces jeunes entrepreneurs ; ensuite, nous mettrons du capital dans des fonds à impact social qui, eux-mêmes, investissent dans les entreprises des entrepreneurs de quartier, en particulier un fonds qui finance les franchises, parce que de nombreux jeunes créateurs d'entreprise ne sont pas encore assez outillés pour créer d'emblée leur propre société.

La création d'un fonds spécifique pour l'immobilier de loisirs de montagne ne relève pas de Bpifrance mais de la Caisse des dépôts.

L'APE et Bpifrance sont les deux actionnaires actifs, présents aux conseils d'administration. La Caisse des dépôts a une importante activité de gestion d'actifs : elle prend des participations passives qu'elle fait tourner – une sorte d'Amundi public. L'articulation entre l'APE et Bpifrance se fait très bien : l'APE traite de toutes les entreprises qui sont de l'ordre du souverain – énergie, transport, défense –, Bpifrance des autres. Je précise qu'à l'inverse de l'APE, Bpifrance fait tourner son capital, si bien que tout ce qui entre à Bpifrance sera vendu.

Pour le site de Ford à Blanquefort, je retiens ce que vous m'avez dit de l'entreprise Hydrogène de France, et nous analyserons la situation très vite.

Effectivement, le Fonds unique interministériel 2019 n'a pas été budgétisé. Nous sommes en train de mettre une solution sur pied avec la direction générale des entreprises ; nous pensons l'avoir trouvée et nous vous en ferons part aussitôt qu'elle pourra être rendue publique. Nous ne pouvions cacher ce problème budgétaire aux entreprises concernées.

Je m'avise ne pas avoir répondu à l'une des premières questions, qui concernait l'agroalimentaire. Nous commercialiserons en avril deux nouveaux prêts financés par le ministère de l'agriculture et par le ministère de la transition énergétique. Ce sont des prêts à la méthanisation, très importants parce que cette activité constitue un complément de revenu majeur pour les agriculteurs. Pour le reste, nous finançons bien entendu les entreprises agro-alimentaires qui, vous le savez, sont de nombreuses toutes petites entreprises non numérisées, les plus fragiles de toute l'industrie française. Il y a là un énorme chantier.

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