Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du mercredi 27 mars 2019 à 15h00
Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Accès aux soins et pouvoir d'achat : voilà, pour résumer, les deux thèmes que vous nous proposez d'aborder cet après-midi avec cette proposition de loi du groupe La République en marche. L'actualité nous incite plus que jamais à réconcilier ces deux aspects. En effet, alors que la santé ne figurait pas parmi les thématiques du grand débat national, elle s'est imposée d'elle-même, preuve, s'il en fallait, de la préoccupation majeure qu'elle représente pour les Français.

Plus précisément, c'est la question de l'accès au système de santé qui inquiète. Nous en avons très largement parlé ces deux dernières semaines à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. Au-delà de la désertification médicale, un autre aspect de l'inégal accès au système de santé réside dans le coût des soins et des couvertures santé. En effet, non seulement les frais liés aux complémentaires pèsent considérablement sur le pouvoir d'achat des ménages, mais ils peuvent aussi s'avérer dissuasifs, privant ainsi les usagers de leur droit à y souscrire.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2018, un Français sur dix n'avait pas de couverture santé. Cette proportion est en augmentation par rapport aux années précédentes, et la tendance est plus marquée chez les jeunes et les étudiants, parmi lesquels seulement 66 % bénéficiaient d'une couverture, contre 75 % en 2017. Au-delà des jeunes, le renoncement à la complémentaire santé est aussi marqué chez les ménages aux revenus les plus modestes. Le coût élevé des complémentaires menace donc directement l'accès aux soins de nos concitoyens, qui vont parfois jusqu'à renoncer à se soigner.

L'autre préoccupation du grand débat, très probablement à la source de la crise que nous traversons depuis quatre mois maintenant, est liée au pouvoir d'achat. Le groupe Libertés et territoires souhaite naturellement apporter des réponses concrètes à ceux qui demandent à vivre dignement des fruits de leur travail.

À cet effet, nous avons voté certaines mesures d'urgence en décembre dernier, parmi lesquelles la valorisation de la prime d'activité. Plus récemment, le Premier ministre a annoncé d'autres propositions pour s'attaquer aux dépenses contraintes des ménages, les « angles morts du pouvoir d'achat », pour reprendre ses termes. C'est en effet sur le sujet des dépenses incompressibles, celles dont on ne peut se passer, qu'il faut particulièrement progresser, car leur poids a fortement augmenté depuis le début des années 2000. Parmi ces dernières, les frais de complémentaires santé, qui représentent entre 2 et 5 % des dépenses dites pré-engagées, sont évidemment ciblés.

Ce sujet mérite une attention particulière dans la mesure où les dépenses de santé, nous le savons, sont croissantes : leur hausse a été de plus de 30 % en dix ans. Par conséquent, les cotisations aux complémentaires santé ont évidemment augmenté à leur tour, de plus de 38 % sur la même période.

Il faut toutefois rappeler que ces augmentations sont aussi liées à l'augmentation des taxes, prélevées directement sur les primes, lesquelles sont passées de 1,75 % en 2000 à 14,1 % aujourd'hui, soit une augmentation de plus de 10 points.

S'attaquer à ces dépenses incompressibles peut donc apparaître, à première vue, comme un objectif louable. Cependant, notre groupe ressent quelques doutes concernant les moyens que vous avez choisis pour y parvenir.

Comment s'assurer en effet que la possibilité de résilier sans frais et à tout moment les contrats de complémentaire santé entraîne effectivement une baisse des tarifs ? À l'heure actuelle, nous n'avons aucune garantie en la matière. Des effets pervers sont peut-être même à prévoir, qui prendraient la forme d'une augmentation des frais de publicité, dans le contexte de concurrence accrue que vous encouragez. Il en va de même pour les frais de gestion administrative, qui pourraient croître si les résiliations de contrats venaient à se multiplier. Comment garantir alors que ces hausses ne soient pas répercutées sur le niveau des cotisations ?

En outre, n'y a-t-il pas un risque à remettre en cause certains des acquis récents de notre système de protection sociale ? Je pense par exemple au tiers payant, dispositif reposant sur des partenariats noués avec les professionnels de santé, qui nécessite une information claire sur les droits ouverts de la personne et un délai de mise en oeuvre, incompatible avec un système instable. Je songe également au reste à charge zéro, qui, bien qu'il ne soit pas encore totalement mis en oeuvre, fait d'ores et déjà craindre une augmentation des frais de mutuelle.

Plus grave encore, je pense à la valeur clé de notre système de protection : la solidarité entre ses membres, à laquelle notre groupe est profondément attaché. La mesure que vous envisagez vise en effet à baisser les prix, ce qui conduira les mutuelles à proposer à leurs adhérents un tarif encore plus proche du coût du risque assuré. Nous craignons donc particulièrement que les cotisations des personnes à risque, comme les seniors, n'augmentent, pour garantir des prix attractifs au reste de la population. Notre inquiétude, vous l'avez compris, est qu'en adoptant votre mesure, nous participions à fragiliser davantage la situation des personnes les plus démunies, celles-là même qui ont exprimé leurs difficultés lors des récents mouvements de contestation. Ainsi, après la hausse de la CSG et après la non-indexation des pensions de retraites sur le coût de la vie, nous risquerions de valider l'augmentation de leurs tarifs de complémentaire santé. Le risque nous paraît bien trop élevé.

En réalité, le problème est que votre proposition, bien que nous en partagions l'objectif, repose sur deux constats erronés.

Le premier consiste à mettre dans le même sac assurances privées et mutuelles. Or il nous semble indispensable de rappeler que, s'agissant des complémentaires santé, une distinction doit être faite entre, d'une part, les sociétés anonymes d'assurance et, d'autre part, les sociétés d'assurance mutuelles. Si les premières cherchent à réaliser des profits pour reverser les dividendes à leurs actionnaires, les secondes possèdent, elles, le statut de société civile à but non lucratif, ce qui signifie qu'elles ne sont pas supposées faire de bénéfices. Malgré cette distinction, vous préconisez d'encourager une concurrence similaire et exacerbée pour ces deux types d'organismes, indifféremment.

Cela m'amène à votre deuxième postulat de base erroné, qui consiste à voir dans la santé un acte de consommation comme un autre. Monsieur le rapporteur, vous présentez cette proposition de loi comme « une évolution de la loi Hamon, et non pas une révolution ». Pourtant, comme son nom l'indiquait, cette loi adoptée en 2014 était relative à la consommation et excluait justement la santé, qui n'y avait pas sa place.

Votre vision tend à faire disparaître le principe des mutuelles auquel nous sommes attachés, qui consiste à organiser une réponse collective à des besoins individuels de santé, permise par la mutualisation des risques. La santé n'est pas un secteur comme les autres. L'idéologie libérale, si elle peut fonctionner dans d'autres domaines, n'est sûrement pas la plus adaptée en la matière.

En outre, la concurrence pure et parfaite n'existe pas, et le problème de l'information lisible, accessible à tous persistera, malgré les récents engagements des organismes en la matière. Certains pourront peut-être passer facilement d'un contrat à un autre, mais ce ne sera pas le cas de tous, et cela risque de pénaliser encore les plus fragiles d'entre nous.

Malgré toutes nos réticences à l'égard de cette proposition de loi, nous considérons comme nécessaire de nous interroger sur le fonctionnement des complémentaires santé. Celui-ci doit évidemment être amélioré, afin de faire en sorte qu'il réponde avant tout à nos besoins de santé, et non pas à l'objectif d'enrichir des organismes. On peut notamment se poser la question lorsqu'on sait que 20 % des cotisations collectées ne sont pas affectées au remboursement des prestations. Toutefois, nous ne sommes pas convaincus de l'efficacité de la mesure que vous proposez, d'autant que la résiliation est déjà possible à l'échéance annuelle du contrat. Nous ne voyons donc pas en quoi une résiliation à tout moment conduira à une amélioration notoire du pouvoir d'achat.

De plus, nous ne disposons malheureusement d'aucune étude d'impact sur laquelle nous appuyer pour évaluer la mise en oeuvre de la mesure, ce qui aurait pu permettre de dissiper nos doutes.

Par conséquent, le groupe Libertés et territoires, dans sa majorité, votera contre le texte.

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