Intervention de Josiane Corneloup

Séance en hémicycle du mercredi 27 mars 2019 à 15h00
Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJosiane Corneloup :

Cette proposition de loi vise à donner aux assurés, particuliers comme entreprises, la possibilité de résilier sans frais et à tout moment, après la première année de souscription, les contrats de complémentaire santé.

Actuellement, de tels contrats peuvent être résiliés à l'échéance annuelle. Il est toutefois possible de les résilier en cours d'année dans deux cas : lorsque l'assuré change de régime de sécurité sociale ou lorsque l'assureur n'a pas respecté l'obligation d'informer son client de sa possibilité de mettre un terme au contrat dans le cadre de la loi Chatel de 2005.

Pour mémoire, la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, dite « loi Hamon », prévoit la possibilité de résilier en cours d'année, après une période initiale d'un an, les contrats d'assurance multirisques habitation, responsabilité civile et automobile.

La présente proposition de loi vise à étendre cette mesure aux contrats souscrits pour la couverture des risques de santé. Elle précise en outre que cette faculté de résiliation, sans frais et à tout moment, après la première année de souscription du contrat de complémentaire santé, s'applique aussi aux contrats d'assurance de personnes souscrits par un employeur pour ses salariés.

Elle a pour objectif de donner plus de liberté aux assurés et d'accroître la concurrence sur le marché des complémentaires santé. En effet – cela a déjà été rappelé – , les tarifs des assurances santé complémentaires ont augmenté de 21 % depuis 2010 et les frais de gestion représentent une part conséquente des cotisations payées par les assurés. Permettre à ces derniers de pouvoir plus facilement changer de complémentaire santé augmenterait leur pouvoir de négociation et stimulerait la concurrence sur le marché, ce qui pourrait donc faire diminuer les prix.

Je souhaite cependant émettre plusieurs réserves sur ce texte.

D'abord, les mutuelles sont des organismes destinés à répondre de façon collective à des besoins individuels de santé. Cette réponse n'est pas fondée sur l'appréciation d'un marché commercial mais sur une demande sociale. Appliquer aux complémentaires santé les mêmes règles qu'à des services purement commerciaux revient à oublier cette dimension.

L'objectif de diminution des tarifs des complémentaires santé, notamment de leurs frais de gestion, et de restitution de pouvoir d'achat aux assurés est certes généreux et partagé. Toutefois, la faisabilité technique de la mesure peut être mise en doute et ses effets induits pourraient s'avérer contraires à l'objectif.

Dans la logique concurrentielle normale, l'organisme d'assurance doit pouvoir intervenir sur tous les paramètres. Or la cotisation finance notamment les remboursements de frais de soins aux assurés sur lesquels celui-ci ne peut agir alors qu'elle représente pourtant la part la plus importante.

Caractéristique propre à la complémentaire santé, les dépenses de santé évoluent de façon importante parce qu'elles sont une réponse aux besoins sanitaires de la population mais aussi aux enjeux du vieillissement et au développement des maladies chroniques.

L'annualité des cotisations est un élément du modèle économique qui permet de ne sélectionner ni le risque couvert ni la personne. Demain, avec des contrats plus courts, il faudra segmenter davantage les populations en fonction de leurs risques spécifiques face à la maladie. Les seniors seront alors les grands perdants de la réforme.

La mobilité accrue des assurés risque également d'empêcher les assureurs de financer certaines garanties, ce qui, par capillarité, se traduira soit par une hausse des tarifs, soit par la disparition progressive de garanties, donc une augmentation du reste à charge aux effets négatifs sur le pouvoir d'achat.

La résiliation infra-annuelle fragilise la mutualisation sur laquelle le modèle économique des mutuelles est assis. Ce principe, fondé sur la solidarité entre les adhérents, est, me semble-t-il, incompatible avec toute mesure qui encourage l'individualisation des risques et accentue la segmentation des populations.

Les seniors sont ceux qui ont le plus à perdre : couverts à 70 % par des mutuelles, ils bénéficient des mécanismes intergénérationnels permis par la mutualisation. Une partie limitée des assurés – les plus avertis et les plus nomades – seront susceptibles de bénéficier de ce droit nouveau et d'en retirer un gain de pouvoir d'achat. Le profil de ces bénéficiaires est facilement identifiable : les jeunes et les actifs bien portants. Qu'en sera-t-il alors de la solidarité intergénérationnelle ? Cette mesure ne se traduira-t-elle pas par une augmentation des cotisations payées par les retraités ? Dans les mouvements sociaux, ce sont pourtant bien eux qui mettent en exergue les difficultés à financer leur santé.

En outre, alors que les soins sont de plus en plus prévisibles ou programmés, les consommateurs les plus opportunistes pourront bénéficier, au détriment des autres assurés, du cumul de la résiliation infra-annuelle et des mesures de la loi Chatel. Ainsi, ils pourraient souscrire une assurance très protectrice en fin d'année pour bénéficier immédiatement des remboursements prévus dans le contrat puis résilier cette assurance.

Les acteurs du marché seront incités à mobiliser des ressources supplémentaires pour fidéliser leurs adhérents tentés par un départ et pour aller conquérir des adhérents nouveaux déjà couverts, avec le risque d'une augmentation rapide des frais de publicité. Parallèlement, l'augmentation des entrées et des sorties dans les contrats imposera une gestion administrative plus lourde, donc des dépenses supplémentaires.

La résiliation infra-annuelle risque également de pénaliser le développement du tiers payant. Les assureurs ont tous noué des partenariats avec des organismes gérant la mise en oeuvre technique du tiers payant. Ces mécanismes reposent sur des informations précises sur les droits ouverts, ce qui donne des garanties aux praticiens en matière de paiement. Avec la résiliation à tout moment, le risque d'impayé devient considérable, et les professionnels pourraient être plus rétifs à recourir au tiers payant. Cela enlèverait tout sens à la mesure proposée, le tiers payant constituant un outil efficace dans la lutte contre la renonciation aux soins. Il serait paradoxal de poursuivre dans cette voie, madame la ministre, quand vous exprimez le souhait de généraliser le tiers payant pour accompagner la réforme du 100 % santé.

En commission des affaires sociales, la semaine dernière, la proposition de loi a été loin de faire l'unanimité parmi les groupes d'opposition. Au sein même du groupe majoritaire, de fortes divergences d'opinion sont apparues. Cette division révèle l'urgence avec laquelle le Gouvernement a été contraint de réagir face au risque de voir les tarifs des complémentaires santé augmenter, à la suite de l'instauration du reste à charge zéro. Le groupe Les Républicains avait d'ailleurs alerté la majorité sur un tel risque. « Un comité de suivi sera créé pour veiller à ce que les mutuelles respectent leur engagement à ne pas augmenter leurs tarifs », aviez-vous répondu, madame la ministre, lors de l'examen du dernier PLFSS. Il faut croire que ce comité de suivi n'offre déjà plus toutes les garanties.

Les griefs récurrents à l'égard de ce texte concernent le manque de concertation préalable et l'absence d'étude d'impact, qui aurait pu lever quelques doutes ainsi que la crainte de nombreux effets pervers liés à la concurrence exacerbée sur le marché des complémentaires santé : accroissement de la segmentation et renforcement de la logique d'individualisation des risques ; hausse des tarifs de cotisation liée à une augmentation des frais de gestion et de publicité ; comportements déviants des organismes incités à mettre en avant leurs garanties les plus attractives au détriment des prises en charge plus coûteuses ; chasse aux patients rentables. Du point de vue économique, des réserves ont également été émises sur les effets réels de la proposition de loi. Il a également été rappelé que la santé n'est pas un bien de consommation courante et ne peut donc pas être mise sur un pied d'égalité avec des secteurs concurrentiels.

Ce texte entend restituer du pouvoir d'achat aux Français en diminuant les coûts liés aux complémentaires santé, objectif que le groupe Les Républicains partage. Mais, dans les faits, nous avons des doutes quant à la possibilité de l'atteindre.

Comme cela a été dit en commission, l'arrêté prévu par la loi Hamon sur la lisibilité des contrats proposés par les assurances, les institutions de prévoyance et les mutuelles n'a toujours pas été pris. Comment imaginer accroître la capacité de nos concitoyens à changer de mutuelles si la lisibilité des contrats n'est pas au rendez-vous ? En commission, M. le rapporteur avait reconnu l'importance de traiter ce sujet.

Vous l'avez compris, si nous approuvons la philosophie générale de ce texte, nous pensons qu'il manque de lisibilité et nous restons dubitatifs sur le gain de pouvoir d'achat qui pourrait en résulter. Malgré les quelques amendements de précision adoptés en commission, nous estimons qu'il reste trop flou. C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains s'abstiendra.

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