Intervention de Philippe Latombe

Séance en hémicycle du mercredi 27 mars 2019 à 21h30
Simplification clarification et actualisation du droit des sociétés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Latombe :

Le texte que nous examinons à présent a connu un parcours législatif quelque peu atypique : après avoir été rapporteur sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, le sénateur Thani Mohamed Soilihi a souhaité poursuivre son travail et a ainsi déposé une proposition de loi en août 2014 ; accueillie très favorablement par l'ensemble des groupes du Sénat, ce texte a ensuite été examiné en commission en juin 2016, puis en séance publique par la Haute Assemblée en mars 2018. Ces délais ont permis à la proposition de loi d'évoluer et d'être améliorée, de nombreuses dispositions du texte d'origine étant intégrées à des lois adoptées entre-temps, preuve, s'il en fallait, de leur utilité : je pense ainsi à la loi du 7 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances, ou encore à la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Dernièrement, le projet de loi PACTE a intégré des dispositions relatives, par exemple, aux commissaires aux comptes, qui figuraient initialement dans le texte, ce qui explique la suppression de certains articles en commission des lois.

Le contenu de cette proposition de loi est pragmatique et consensuel. C'est ainsi que le texte a été abordé au Sénat, et je souhaite qu'il en soit de même au sein de notre assemblée. C'est en tout cas l'approche qu'a choisie le groupe MODEM et apparentés. Nous avions dit en commission que les textes de simplification étaient assez délicats à aborder : souvent très techniques, ils nécessitent une analyse fine, voire spécialisée, porteuse d'améliorations précises permettant en l'espèce de faciliter le quotidien de nos entreprises et des praticiens du droit qui les accompagnent. Il est toutefois important de faire attention aux effets que pourraient avoir ces aménagements et de ne pas perdre de vue que si nos prédécesseurs ont jugé utile de prévoir certains encadrements, c'est certainement pour des raisons tout à fait logiques et justifiées. Parfois, le contexte fait que ces précautions ne sont plus nécessaires aujourd'hui. Mais, dans d'autres cas, il me semble important de bien analyser les conséquences et de ne pas céder à la tentation d'une folie simplificatrice aveugle.

La grande majorité des dispositions de la proposition de loi vont effectivement dans le bon sens : je pense notamment à la dématérialisation de certaines procédures et à la mise en place d'un régime simplifié de fusion pour les sociétés civiles sur le modèle des fusions simplifiées entre sociétés commerciales. Toutefois, le groupe MODEM et apparentés a relevé trois points de vigilance sur lesquels je souhaite à présent appeler votre attention.

Premièrement, la commission des lois a, sur proposition de Mme la rapporteure, supprimé une des dispositions de l'article 33 bis introduit par le rapporteur au Sénat, M. Reichardt. Cette disposition supprimait l'exigence de deux rapports, respectivement des commissaires aux comptes et d'un expert indépendant, dans le cadre du rachat des actions des sociétés non cotées. Je dois dire que sur ce sujet, nous partageons le point de vue des sénateurs : en pratique, le rapport de l'expert indépendant fait doublon avec celui des commissaires aux comptes et corrobore la fourchette des prix indiquée dans celui-ci. Par ailleurs, les commissaires aux comptes sont soumis à une déontologie et à des obligations d'indépendance fortes qui nous paraissent des garanties suffisantes. Enfin, le recours à un expert indépendant représente un coût non négligeable. Pour ces raisons, notre groupe proposera un amendement visant à rétablir le texte du Sénat et donc de supprimer l'exigence d'un double rapport.

Deuxièmement, l'article L. 225-103-1 du code de commerce permet l'organisation dématérialisée des assemblées générales des sociétés non cotées tout en prévoyant un droit d'opposition pour les actionnaires représentant au moins 5 % du capital. Mais, compte tenu de l'absence à ce jour de décret d'application concernant cette disposition, les sénateurs avaient fait le choix de supprimer ce droit d'opposition des actionnaires minoritaires. La commission des lois de notre assemblée a opté pour une réécriture, se voulant un compromis, de l'article 23 de la proposition de loi, mais nous considérons que cette nouvelle rédaction ne permettra pas de protéger efficacement le droit des actionnaires minoritaires. C'est pourquoi nous proposerons de supprimer cet article afin de maintenir le droit d'opposition permettant à 5 % des actionnaires de s'opposer à la tenue d'une assemblée générale dématérialisée.

Dernier point, et selon nous le plus important car si la disposition en cause semble de prime abord essentiellement technique, sa suppression pourrait avoir des conséquences économiques plus importantes qu'il n'y paraît : il s'agit de l'article 5 qui supprime la condition d'exploitation préalable de deux ans du fonds de commerce avant de le mettre en location-gérance. Le groupe MODEM et apparentés craint que cette suppression n'engendre une spéculation sur les fonds de commerce, lesquels pourraient alors faire l'objet de rachat de grande ampleur pour être directement mis en location-gérance. On sait en effet que la valeur du fonds de commerce augmente en fonction du chiffre d'affaires qui y est réalisé et que, par voie de conséquence, la location-gérance ne permet pas au locataire qui l'exploite de se constituer un patrimoine comme s'il était en possession du fonds de commerce.

Nous craignons que cet article engendre une forte diminution des fonds de commerce disponibles à l'achat pour des indépendants et une forte augmentation des locations-gérances sans possibilité d'acquisition finale du bien. Or souvent, les commerçants, qui ont une petite pension de retraite, s'appuient sur la vente du fonds pour améliorer leur situation au moment de cesser leur activité. Le droit en vigueur nous paraît suffisamment souple et permet de répondre aux situations particulières qui peuvent nécessiter un raccourcissement ou la suppression du délai d'exploitation, et d'autoriser, contrairement à ce qui a été avancé comme explication, des transmissions d'entreprises préparées.

Le groupe MODEM et apparentés est favorable à la simplification, mais celle-ci doit être faite à bon escient. Si, dans l'ensemble, nous soutenons ce texte, nous espérons que nos débats permettront d'aboutir à une solution satisfaisante sur les points évoqués précédemment.

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