Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du vendredi 29 mars 2019 à 15h00
Coopération en matière de défense avec le nigéria — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Madame la secrétaire d'État, je suis content si cela vous rassure aussi, mais attendez tout de même la suite !

La motion de rejet préalable m'a permis d'évoquer la question des accords de défense d'une manière générale, de parler des problématiques de la Françafrique et de vous proposer une réflexion visant à permettre à la représentation nationale de tracer quelques lignes rouges pour notre diplomatie, en amont de la négociation des traités.

Revenons au fond de cet accord. Il est issu de la prise de conscience, en 2014, du fait que le terrorisme transfrontalier au Sahel, autour du lac Tchad et au Sahara, pouvait largement déborder au Nigéria. Nous avons aussi réalisé que, malgré l'absence d'une influence politique de Paris sur Abuja, il fallait se rapprocher pour lutter ensemble contre Boko Haram, qui sévit dans la zone sahélienne du lac Tchad.

Bien qu'étant un État frontalier du Sahel, le Nigéria ne fait pas partie du G5 Sahel. Pourquoi ne pas l'y intégrer ? Comme la rapporteure l'a rappelé, j'avais fait cette proposition en commission. Un tel élargissement permettrait de prendre le problème de manière plus globale.

Comme en commission, je propose également, pour que la réflexion sur le Sahel soit totale, d'y inclure aussi la République arabe sahraouie démocratique qui se situe sur ce territoire. Cet État joue un rôle majeur à la frontière sud du Maghreb pour endiguer les trafics qui passent par le Sahel et le Sahara.

Il pourrait être intéressant que le G5 devienne ainsi un G7 Sahel plus important, plus inclusif et permettant de couvrir une plus grande zone qui fait face à des problématiques similaires, notamment concernant les trafics illicites d'êtres humains, de drogue ou d'armes.

Au-delà du G7 Sahel, cet accord soulève la question de l'intensification des relations militaires entre nos deux pays, notamment à travers l'autonomisation de l'armée nigériane, course d'influence politique et militaire, puisque les armées, une fois formées par un État, prennent ses réflexes, son matériel, et restent sous son influence.

La France n'est donc pas en reste avec cet accord qui lui ouvre la porte d'un pays jusqu'ici peu réceptif à son influence, lui permettant ainsi d'accéder à un marché de l'armement qui pourrait représenter un nouveau débouché pour l'exportation de ses armes.

S'agissant du Nigéria, il faudra surveiller les actions de l'armée nigériane. À plusieurs reprises, des ONG nous ont alertés sur les exactions commises par l'armée contre les populations civiles – exécutions extrajudiciaires, tortures ou enlèvements de membres supposés de Boko Haram.

Le cas du bombardement accidentel par l'armée de l'air nigériane d'un camp en janvier 2017 – j'en reste aux exemples contemporains pour satisfaire nos collègues de La République en marche – , qui a fait 234 morts, dont neuf travailleurs humanitaires, et une centaine de blessés, est très inquiétant.

En avouant qu'elle avait confondu ce camp de déplacés avec un camp d'insurgés, l'armée a démontré qu'elle pouvait être dangereuse pour la population civile. Vous y verrez sans doute une raison supplémentaire pour la former.

Quoi qu'il en soit, la représentation nationale devra redoubler de vigilance dans le cadre de cet accord avec un pays dont l'armée semble très violente à l'encontre des populations civiles, sans parler de l'opacité des ventes d'armes françaises, dont on espère qu'elles ne serviront pas à commettre des crimes de guerre. À cet égard, le cadre juridique des exportations d'armes en France est alarmant – peut-être réagirions-nous différemment s'il était réformé. Les licences françaises sont gérées uniquement par l'exécutif, sous le sceau du secret-défense – n'est-ce pas, madame la secrétaire d'État ? – , mettant totalement hors-jeu le Parlement.

Députés et sénateurs n'ont aucune connaissance de ce processus en France, contrairement au Royaume-Uni, à la Suède ou aux Pays-Bas. Chez nous, seul un rapport concernant l'exportation des armements est exigé du ministère des armées, sans que rien ne l'oblige à respecter les délais de parution annuels. Au contraire, au Royaume-Uni, le Gouvernement doit s'astreindre à présenter ces données tous les trimestres. Le détail des exportations doit également être fourni alors qu'en France, le flou est de rigueur.

La Suède, quant à elle, dispose d'un véritable contrôle du Parlement grâce à la présence de députés au sein de l'organe de contrôle des ventes d'armes. Le Royaume-Uni est également très avancé, avec un système de contre-rapport qui peut être établi et publié officiellement si le Parlement estime que les exportations d'armes n'ont pas été suffisamment bien présentées par l'exécutif.

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