Intervention de Loïc Finaz

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Loïc Finaz, directeur de l'École de guerre :

C'est moi qui plonge dans le traquenard le premier ! Les questions ont été très nombreuses et demanderaient, toutes et chacune d'entre elles, de très longues réponses. J'essaierai d'en apporter quelques-unes, très modestement.

Je commencerai par la dernière. Dans deux siècles, y aura-t-il encore une humanité pour se demander pourquoi nous n'avons pas réagi collectivement ? La Terre sera toujours là. Mais y aura-t-il encore une humanité pour se poser la question ? Ce n'est pas sûr. J'espère que oui, bien sûr, mais je n'en suis pas certain.

Concernant la cinquième source de conflits identifiée par M. Bruno Fuchs, la bêtise humaine est-elle une source de conflits ? Hélas, oui ! Mais, pour plagier une réponse célèbre face à l'interpellation « Mort aux cons ! », j'aurais tendance à dire : « Vaste programme » ! Je réponds à votre question mais je ne résous pas le problème, et j'en suis désolé.

Je tâcherai maintenant, de manière un peu plus synthétique, de répondre – là encore, très modestement – au plus grand nombre possible de questions. Plusieurs d'entre vous ont évoqué le rôle de la France. Je suis absolument convaincu que notre pays a un rôle très important, pour au moins deux raisons. La première – et là encore, je vais utiliser une réplique célèbre du général de Gaulle – est qu'il existe « un lien multiséculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ». Je crois qu'il avait raison. Cela ne doit pas pour autant nous léguer, en héritage, une prétention épouvantable de Gaulois stupides et trop fiers. En revanche, c'est une exigence pour nous, Français. Je crois que la France a un rôle particulier. Je dirige l'École de guerre aujourd'hui, mais je ne suis pas un élève de cette école, puisque j'ai fait l'École de guerre aux États-Unis. Je vous garantis – je le dis sans aucune prétention et cela n'a rien à voir avec l'officier que j'essaie d'être – que l'officier français dans une école de guerre à l'étranger a un statut particulier. Donc oui, la France a un rôle important.

La deuxième raison – évoquée par nombre d'entre vous – est que nous avons le deuxième territoire maritime du monde. On pourrait presque dire le premier. Là encore, pour deux raisons. La première est qu'avec le programme Extraplac, on pourrait considérer que nous sommes devant les États-Unis, qui sont les premiers aujourd'hui. Les autres sont très loin derrière. Il existe une autre raison, très importante, pour laquelle on pourrait considérer, au-delà des chiffres, que nous sommes le premier territoire maritime du monde. Les États-Unis ont le premier territoire grâce à leurs eaux continentales, si j'ose dire. En France, nous avons un territoire maritime sur tous les océans. Nous sommes le seul pays au monde sur lequel le soleil ne se couche jamais !

Et cela, combiné avec la première raison que j'ai évoquée, nous conduit à affirmer que, bien sûr, la France a un rôle particulier à jouer. Cela ne doit nous léguer aucune prétention, mais de véritables exigences pour que nous soyons au rendez-vous de ce rôle.

Je ferai quelques remarques sur la mer et les océans. Les trois défis les plus importants – car si on ne les résout pas, l'on n'aura même pas à résoudre les autres – sont les suivants. Comment 9 milliards d'individus vont-ils se nourrir sur la planète en 2050 ? Comment auront-ils accès à l'eau douce ? Comment résoudrons-nous ces problèmes en prenant en compte la protection de la planète ? Tels sont nos grands défis. Ils sont effarants parce que la terre, au sens des continents émergés, ne sait pas y répondre. La bonne nouvelle, c'est que la mer et les océans savent le faire. Mais cela entraîne un corolaire absolument fondamental : puisque notre survie est là, il faudra exploiter la mer sans la violer comme on a violé la terre.

Cela me permet d'aborder un autre sujet qui me permettra, j'espère, de répondre en partie à un certain nombre de vos questions – et qui rejoint celle du rôle de la France. Dans l'éternel dilemme entre nos valeurs et nos intérêts, quelle posture faut-il adopter ? Je n'ai pas la prétention de répondre à cette question, mais je crois que nous serions idiots d'ignorer nos intérêts, et criminels d'ignorer nos valeurs.

Nous serions idiots d'ignorer nos intérêts. La façon de nourrir 9 milliards d'êtres humains impose d'exploiter la mer. La façon de les nourrir dans la durée impose de la protéger. Vous voyez bien que dans cette seule question, vous retrouvez le juste milieu qu'il faut savoir poser entre nos intérêts et nos valeurs. Quand je parle d'intérêts à propos de la nourriture et de l'eau douce, vous comprenez bien que je ne parle pas d'intérêts financiers. Allons-nous pouvoir « bouffer » ? Allons-nous pouvoir boire cette eau douce nécessaire à notre vie ? Je crois fondamentalement que nos valeurs sont là pour que nous puissions nous nourrir et avoir accès à l'eau jusqu'à dans deux siècles et plus loin encore.

Plusieurs questions ont porté sur la guerre. C'est un éternel débat. D'aucuns pensent qu'elle est une anomalie sociale primitive. D'autres, que c'est une utilité politique fonctionnelle. Quand John Kennedy dit qu'il faudra que l'humanité mette un terme à la guerre, sinon à la guerre mettra un terme à l'humanité, il n'a pas tort. Mais lorsque Proudhon observe que la guerre est une nécessité politique et culturelle, il n'est pas sur Sirius ! Il dit même que c'est ce qui pose l'homme dans sa majesté et sa vaillance. C'est d'ailleurs, en ces moments où l'on commémore le 11 novembre, ce qui fonde le soldat comme défenseur de la collectivité nationale. Oui, la guerre est primitive et étatique. Les Grecs l'avaient parfaitement compris, avant que les Lumières ne nous embrouillent, avec Arès, le dieu de cette violence primitive et Athéna, la déesse de cette violence raisonnée. Donc, oui, la guerre est primitive et étatique. J'ai bien conscience qu'en vous répondant cela, je ne résous pas le problème. Mais il ne sera jamais résolu !

Ne soyons pas naïfs. Relisons tous plus souvent Thucydide et La guerre du Péloponnèse, c'est la meilleure des gazettes de notre temps d'aujourd'hui, avec, en plus, une clairvoyance et une qualité littéraire bien supérieures à celle de nos médias actuels. N'oublions jamais ce dialogue mélien. D'ailleurs, plus nous proclamons le contraire, plus nous y replongeons. Rappelez-vous Mélos, cette petite île du sud de la mer Égée, à l'est de Sparte, à laquelle Athènes demande de se soumettre, qui répond qu'il n'y a pas de raison qu'elle quitte son statut de neutralité et qui en appelle au sens de la justice d'Athènes et à sa compassion pour une petite cité pacifique et sans défense. Athènes répond que la justice ne s'applique pas entre puissances inégales, assiège la ville, l'affame, la soumet, tue tous les hommes, réduit femmes et enfants en esclavage. La justice n'entre pas en compte dans le raisonnement des hommes lorsque les forces sont inégales. Les forts soumettent les faibles à leur pouvoir. Donc, ne soyons pas naïfs. Pour le redire, je crois que la France a un vrai rôle à jouer. N'oublions jamais que nous serions idiots d'oublier nos intérêts, et criminels de ne pas prendre en compte nos valeurs.

D'autres questions, tout à fait justes, portaient sur la formation. Bien sûr, la formation et l'éducation sont absolument indispensables. Permettez-moi de l'illustrer par deux incarnations, parce que c'est cela qui compte. Il faut incarner ces principes qui nous sont chers. Tout d'abord, je suis à l'origine de la Fondation de la mer, dont l'un des enjeux vise précisément à faire comprendre et à éduquer – en particulier tous les enfants de France – à ces problématiques. Le deuxième exemple que je pourrais évoquer est l'École de guerre. L'École de guerre, c'est comme si, dans la fonction publique, on disait à tous les énarques de 35 ans qu'ils doivent repasser un concours, que l'on retiendra les 20 % les meilleurs et que ce sont eux qui deviendront les grands chefs de la fonction publique – ce qui imposerait de repartir un an à l'école pour s'y préparer. C'est ce que les armées font avec l'École de guerre. Je pense très honnêtement, et sans chercher à mettre ma boutique en avant, que c'est un modèle qui pourrait être plus souvent copié.

Voilà ce que je pouvais dire très rapidement, pour ne pas dépasser mon temps, en essayant de revenir de manière synthétique sur ces très nombreuses et très intéressantes questions que vous avez tous posées.

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