Intervention de Éric Girardin

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Girardin, rapporteur :

L'accord qui nous est soumis aujourd'hui a été conclu le 12 novembre 2013 entre les gouvernements français et géorgien. Avant d'en venir à ses clauses, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte.

Cet accord s'inscrit dans un cadre général défini en 2005-2007 par l'Union européenne, dit de l'« approche globale de la question des migrations et de la mobilité » et des « partenariats pour la mobilité ». L'idée générale était d'établir avec les partenaires extérieurs des programmes de mobilité légale en contrepartie de leur coopération à la lutte contre l'immigration illégale. Huit accords européens de « partenariat pour la mobilité » ont été conclus entre 2008 et 2014 : avec le Cap-Vert, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Maroc, la Jordanie et la Tunisie. Ces accords s'inscrivent pour la plupart dans les deux grandes « politiques de voisinage » de l'Union – politique euro-méditerranéenne et « partenariat oriental » – et sont complétés par des accords de réadmission et des accords sur les visas. Ces accords européens étaient destinés à être déclinés par des accords passés ensuite par les États-membres avec les pays considérés, étant donné que les politiques migratoires relèvent principalement des compétences nationales. Le partenariat européen pour la mobilité avec la Géorgie, signé en 2009, a ainsi été décliné par seize États-membres, dont la France en 2013.

L'accord que nous examinons s'inscrit plus généralement dans une série d'accords signés par la France avec des pays européens non membres de l'Union ou de certains pays africains entre 2006 et 2014, soit pour décliner, comme c'est le cas en l'espèce, des accords-cadres européens, soit de manière autonome. Tous ces accords visent à faciliter la délivrance de titres de séjour autorisant à travailler, pour une durée limitée, à d'anciens étudiants, des « jeunes professionnels », des « talents » ou des professionnels de métiers connaissant en France des problèmes de recrutement, dits souvent « métiers en tension ».

Il s'agit de favoriser une migration économique légale, mais dans une optique de retour au pays ensuite, ou d'allers-retours, d'où le qualificatif de « circulaire » parfois employé, notamment dans le titre de l'accord avec la Géorgie, qui est « relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels ». L'ouverture de voies légales de migration de travail est un sujet dont nous avons déjà eu l'occasion de débattre, en particulier lorsque nous avions examiné l'avis préparé par notre présidente, Marielle de Sarnez, sur le projet de loi sur l'asile et les migrations.

L'analyse des chiffres sur la mobilité des Géorgiens en France illustre les enjeux d'une action dans ce domaine. En 2016, dernière année plaine de l'obligation de visa court séjour, 250 à 300 visas de long séjour ont été attribués, principalement à des étudiants géorgiens, au nombre de 150 à 200. En 2017, le nombre d'étudiants géorgiens en France était de 495. La migration économique « officielle », via un visa de travail, est marginale : moins de 30 titres par an. Les Géorgiens étaient plus nombreux à obtenir un titre de séjour après être entrés en France avec un visa de court séjour. En 2016, ils ont été près de 1 200 à obtenir un titre de séjour de longue durée dans ces conditions, notamment en raison de liens familiaux, au titre de l'asile ou pour raisons humanitaires.

Un évènement récent a accru la pression migratoire géorgienne. Je rappelle que la réglementation des visas de court séjour est de la compétence de l'Union européenne. Depuis le 28 mars 2017, les Géorgiens peuvent entrer sans visa dans l'espace Schengen pour un séjour de moins de trois mois. Ceci a eu pour conséquence une forte augmentation de la demande d'asile d'origine géorgienne dans plusieurs pays européens. En 2017, le nombre de demandes d'asile de Géorgiens dans l'ensemble des pays de l'Union européenne a augmenté de 35 % par rapport à 2016. Ils ont déposé près de 10 000 demandes dans l'Union, dont 31 % en Allemagne et 19 % en France. Dans la Marne, en 2018, alors même que l'année n'est pas terminée, et d'après la préfecture, 77 ménages ont fait la demande, 33 en 2017, soit une hausse de 133 % en 9 mois. De manière plus générale, En France, le nombre de demandes d'asile par des Géorgiens, qui était de l'ordre de mille par an de 2014 à 2016, a doublé en 2017, où il s'est élevé à 2 096. Cette évolution s'est accentuée durant les derniers mois : les Géorgiens ont déposé 4 807 demandes d'asile en France sur les neuf premiers mois de 2018, soit 4,8 % du total des dossiers. Ils se situent désormais au 5ème rang des nationalités demandeuses. On constate donc, suite à la suppression de l'obligation de visa, une forte accélération des demandes d'asile, lesquelles constituent pour les personnes entrées dans l'Union le moyen pratique le plus accessible pour régulariser leur séjour, même si, dans l'absolu, les effectifs concernés ne sont pas considérables.

Dernier point à signaler sur ce contexte migratoire : la Géorgie est un pays qui collabore à l'exécution des mesures d'éloignement, ce qui s'explique sans doute par son engagement clairement pro-européen et son espoir d'adhérer à terme à l'Union. Le taux de délivrance par la Géorgie des laissez-passer consulaires demandés par les autorités françaises pour exécuter des retours forcés a été en moyenne de 85 % en 2015-2017. Il atteint même 98 % sur les trois premiers trimestres de 2018. Ces chiffres sont à comparer à un taux moyen, tous pays confondus, de l'ordre de 50 %.

J'ajoute enfin que la Géorgie est non seulement un pays ami, mais aussi, hormis quelques points noirs qui subsistent, comme le système pénitentiaire et la justice, une vraie démocratie. La Géorgie est l'une des rares ex-républiques soviétiques où il y a des alternances politiques dans les urnes, sans violences, sans manoeuvres des sortants pour se maintenir à tout prix. Les exportations géorgiennes sont orientées vers l'Union européenne à 18 % et les importations à 30 %. Enfin, la Géorgie a été, après la France, le plus important fournisseur de troupes à l'opération EUFOR RCA entre 2014 et 2015, dont l'objectif était le maintien de la paix en Centre-Afrique.

Tout cela justifie, me semble-t-il, la démarche qui sous-tend l'accord, à savoir le développement de mobilités de travail dans un cadre légal. Sans cela, nous décevrons nos partenaires géorgiens, qui, pour le moment, coopèrent pleinement à la lutte contre l'immigration illégale. Et nous entretiendrons une demande d'asile d'origine géorgienne qui, le plus souvent, n'a pas lieu d'être.

J'en viens aux clauses de l'accord lui-même. Il prévoit quatre types de facilitation de la mobilité professionnelle.

Primo, il est prévu que la France délivre un titre de séjour temporaire d'une durée de validité de douze mois, pour recherche d'emploi, aux étudiants géorgiens ayant obtenu un diplôme de niveau master ou licence professionnelle en France ou en Géorgie dans un établissement partenaire d'un établissement français.

Secundo, l'accord prévoit la délivrance d'un titre de séjour d'une durée d'un an renouvelable à des Géorgiens pour l'exercice de 50 métiers en tension sans que leur soit opposée la situation de l'emploi, dans la limite annuelle de 500 personnes.

Tertio, les deux pays conviennent de développer des échanges réciproques de « jeunes professionnels » âgés de dix-huit à trente-cinq ans, en vue d'améliorer leurs perspectives de carrière grâce à cette expérience, dans la limite de 150 bénéficiaires par an.

Enfin, la France s'engage à faciliter la délivrance de la carte « compétence et talents », qui a maintenant été remplacée par le « passeport talent », aux ressortissants géorgiens qui en remplissent les critères.

La question que pose un accord de ce type est celle de notre capacité à l'appliquer de manière effective et faire en sorte qu'il ait un impact.

Comme je l'ai rappelé, la France a signé entre 2006 et 2009 des accords dits de gestion concertée des flux migratoires avec huit pays africains, qui comprenaient exactement le même genre d'ouvertures en matière de migrations légales de travail. L'OCDE a publié en 2017 une analyse de cette politique qui montre des résultats assez décevants. Les flux de migrations légales de travail provenant de ces pays ont à peine augmenté. Les contingents de titres de travail dans les métiers en tension ou de cartes « compétences et talents » qu'ils prévoyaient ont été remplis à quelques pourcents seulement. L'OCDE observait en outre que les ouvertures prévues par les accords étaient quelque peu factices en ce sens que beaucoup de leurs dispositions ne faisaient que reprendre des dispositions du droit commun français en matière de migrations. Dans l'autre sens, les pays signataires n'ont aucunement amélioré leur coopération en matière de retour des migrants illégaux.

Si nous voulons éviter un bilan aussi décevant pour l'accord avec la Géorgie, il y a un message à faire passer. Il doit y avoir un accompagnement administratif fort de sa mise en oeuvre, afin que des jeunes Géorgiens puissent effectivement en bénéficier.

En effet, selon l'accord, la délivrance de titres de séjour aux « jeunes professionnels » géorgiens ou aux professionnels de métiers en tension est subordonnée à la production d'un contrat de travail. 4073 kilomètres séparent Tbilissi et Paris, et alors même qu'ils ne sont pas encore rentrés sur le territoire français, les intéressés doivent donc y avoir déjà trouvé un emploi. Un dispositif aussi exigeant ne peut fonctionner que si les demandeurs sont réellement aidés par les administrations dans leurs démarches.

C'est d'ailleurs ce que prévoit l'annexe II s'agissant d'une des ouvertures de l'accord, celle concernant les « jeunes professionnels ». Il est prévu que chaque pays désigne un organisme chargé de centraliser et présenter les candidatures, ainsi que de diffuser de l'information. La mise en oeuvre effective de cet accompagnement administratif et son extension aux professionnels des métiers en tensions et aux personnes susceptibles d'obtenir le « passeport talent » sont nécessaires pour que le présent accord fonctionne. Les autorités politiques devront veiller à ce que cet accompagnement administratif soit mis en place.

Enfin, du point de vue français, cet accord pourrait être l'occasion de faire reconnaître clairement par les autorités géorgiennes le statut des quelques volontaires internationaux en entreprise, les VIE, que nous avons sur place ; je pense notamment à l'école internationale d'hostellerie Vatel ou encore au groupe AccorHotels. Vous savez que les VIE out un statut particulier très souvent contesté dans beaucoup de pays, y compris la Géorgie, où les entreprises sont parfois obligées de ruser avec la réglementation.

Je conclurai avec un élément de l'actualité politique de la Géorgie. Le premier tour de l'élection présidentielle y a eu lieu il y a quelques jours. La personnalité arrivée en tête, qui pourrait donc remporter l'élection au second tour qui aura lieu dans quelques jours, est Mme Salomé Zourabichvili, qui est une personnalité franco-géorgienne. Mme Zourabichvili est née en France dans une famille d'origine géorgienne et, après avoir servi la diplomatie française pendant trente ans – son dernier poste étant l'ambassade de France à Tbilissi –, est devenue en 2004-2005 ministre des affaires étrangères de la Géorgie, puis y a continué une carrière politique. Je crois que ce parcours illustre à la fois l'amitié entre les deux pays et ce que peut apporter la mobilité internationale.

Je vous invite donc à adopter le présent projet de loi, afin que l'accord puisse enfin entrer en vigueur. Ce vote est d'autant plus justifié que l'accord a été signé en 2013 et a déjà été approuvé par le Sénat en juin 2015 : il est temps de parachever la procédure. Cet accord confortera l'influence de la France en Géorgie.

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