Intervention de Laurent Nuñez

Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 16h40
Commission des affaires européennes

Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir. Les questions européennes sont à un moment clef de leur histoire. Le Président de la République a formulé ses propositions dans sa lettre ouverte aux Européens et le scrutin du 26 mai approche. Les atermoiements du Brexit, au Royaume-Uni, viennent nous rappeler la triste issue d'un sentiment de déconnexion entre l'Union et les attentes des citoyens.

Il nous importe, au ministère de l'intérieur, de renforcer des outils européens qui offrent une plus-value concrète aux citoyens, les outils d'une Europe qui protège. Le Conseil JAI s'est tenu jeudi dernier. J'y représentais la France. Cette rencontre a permis de faire un bilan des cinq années de la législature européenne qui s'achève et des priorités pour les années à venir. Elle nous a permis de voir où nous en sommes en matière de lutte contre le terrorisme et de questions migratoires.

Concernant la lutte contre le terrorisme, beaucoup d'outils sont désormais en place. Ils doivent maintenant devenir pleinement opérationnels. Nous avons renforcé des législations sectorielles européennes, pour rendre plus difficile l'accès aux armes à feu les plus létales ou pour limiter l'accès aux précurseurs d'explosifs, ou encore pour entraver le financement du terrorisme. La France est particulièrement engagée en faveur de l'adoption d'un règlement européen pour le retrait de contenus terroristes sur Internet dans un délai d'une heure après leur publication, afin de mettre en échec l'auto-radicalisation et de faire en sorte qu'internet ne soit pas une zone de non-droit. La négociation de ce règlement européen s'est faite en seulement quelques mois au Conseil. Il importe désormais que le Parlement européen partage notre ambition d'adopter ce texte au plus vite, c'est-à-dire avant les prochaines élections européennes. Je me suis entretenu avec plusieurs députés européens pour les sensibiliser à l'importance de ce sujet, et j'aurai l'occasion, dans les semaines à venir, de m'entretenir à nouveau avec certains d'entre eux. Cette question du retrait des contenus terroristes en ligne est extrêmement importante pour le Gouvernement français.

Ces deux dernières années, la France a contribué, avec ses partenaires européens, à parachever le renforcement des frontières de l'Union, pour garantir une meilleure sécurité. L'établissement et l'élargissement de l'espace Schengen, depuis 1995, ont permis la suspension des contrôles aux frontières intérieures, facilitant la libre circulation des personnes et des biens. Cependant, pendant trop longtemps, cette ouverture ne s'est pas accompagnée d'un renforcement des frontières extérieures de l'Union, ce qui en était pourtant le corollaire logique. Les attentats de 2015 ont été un dramatique rappel à l'ordre, mettant en évidence nos faiblesses. Un important travail a été lancé.

Au cours des deux dernières années, la France et ses partenaires européens ont mis en oeuvre des contrôles informatiques systématiques aux frontières extérieures de l'Union européenne. Le passenger name record (PNR) européen pour assurer le suivi des voyageurs aériens suspects est entré en vigueur en mai dernier. La mise en place du système entrées-sorties pour enregistrer les franchissements des frontières extérieures de l'Union européenne a été actée, de même que celle du Système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages – European Travel Information and Authorization System (ETIAS) – qui prévoit une autorisation électronique d'accès au territoire européen pour les visiteurs dispensés de visa. Ces systèmes représentent des avancées importantes, en théorie. Ils doivent désormais devenir opérationnels et visibles pour tous les Européens. Voilà notre objectif, qui constitue un important défi pour les années à venir.

Dans un espace de libre circulation, ces dispositifs ne feront leur preuve que si chaque État membre est en mesure de les mettre en oeuvre efficacement, sans faille. La nouvelle Commission européenne, qui débutera ses travaux en novembre prochain, devra assurer un suivi et un accompagnement de la mise en oeuvre de ces outils par les États membres. Un des enjeux des années à venir sera de rendre ces dispositifs interconnectés.

Pour renforcer ces outils, l'Union européenne va par ailleurs renforcer son corps de garde-frontières et de garde-côtes, dans la perspective de bâtir une véritable police aux frontières, conformément aux souhaits exprimés par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne. J'ai reçu hier le directeur exécutif de Frontex, notre compatriote Fabrice Leggeri, qui m'a présenté la montée en puissance de l'agence depuis l'adoption du dernier règlement européen de 2016, qui a permis la création d'une équipe d'intervention d'urgence de 1 500 agents, qu'il sera possible de dépêcher aux frontières de l'Europe en cas de défaillance avérée dans le contrôle des frontières extérieures.

Comme vous le savez, mesdames et messieurs les députés, un nouveau projet de règlement est maintenant en cours de négociation entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. Nous avons aussi abordé ce sujet au cours du Conseil JAI de la semaine dernière. Ce projet vise à aller encore plus loin, en attribuant à Frontex 10 000 agents pour renforcer le contrôle aux frontières extérieures. Ce texte devrait être adopté avant la fin de la législature européenne. Il permettra bel et bien la naissance d'une police aux frontières européennes.

Tous ces dispositifs de renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne ne fonctionneront pleinement que lorsque l'Union se sera donné les moyens de gérer les flux migratoires irréguliers. Les États membres vont mettre ne place, dans les années à venir, des dispositifs informatiques aux postes frontières ; encore faut-il qu'ils se dotent réellement des moyens de gérer les flux migratoires irréguliers qui arrivent sur les côtes de l'Espagne, de Malte, de l'Italie ou de la Grèce.

Contrairement à ce que recommandait le Conseil de juin dernier, les pays de première entrée n'ont jamais mis en place des centres contrôlés, qui permettraient, avant même que les migrants n'entrent sur le territoire européen, de distinguer ceux qui relèvent d'un besoin de protection internationale de ceux qui ont vocation au retour. Ces procédures d'asile à la frontière sont celles que la France promeut vivement.

La notion de centres contrôlés est rejetée par ceux qui ne veulent pas prendre la responsabilité d'installer des centres fermés sur leur territoire. Ainsi, des migrants circulent jusqu'à leur pays de destination, entre autres la France, l'Allemagne ou la Suède. Malheureusement, en l'absence de règles du jeu respectées par tous, c'est la libre circulation au sein de l'espace Schengen qui est menacée. Ainsi, un certain nombre de pays, comme la Norvège, le Danemark, l'Autriche ou l'Allemagne, estiment que les frontières extérieures de l'Union européenne sont encore trop fragiles pour contrôler les flux migratoires irréguliers et qu'il est nécessaire de maintenir le contrôle à leurs frontières nationales.

Je me permets de souligner que la France a rétabli le contrôle à ses frontières, mais pour des raisons de sécurité, en conformité avec le texte du code frontières Schengen, en raison du niveau de menace terroriste élevé et de l'organisation cette année, sur notre territoire, de réunions ministérielles et du sommet du G7.

Nous constatons le lien qui existe entre les règles européennes d'asile et le bon fonctionnement de l'espace Schengen. Certes, la pression migratoire est revenue au niveau antérieur à la crise de 2015. Le niveau d'entrées irrégulières est de 95 % plus faible par rapport au pic de ladite crise. Toutefois, la pression qui pèse sur la France demeure très importante. En tout état de cause, en cas de nouvelle crise migratoire, éventualité que l'on ne peut exclure, l'Europe ne dispose pas encore des outils nécessaires. La négociation du paquet « Asile », en cours depuis 2016, reste bloquée, comme nous l'avons constaté au cours du dernier Conseil JAI. Nous pouvons craindre qu'en cas de nouvelle montée de la pression migratoire l'espace Schengen ne soit significativement fragilisé.

C'est pourquoi le Président de la République a appelé à une remise à plat des règles de l'espace Schengen. Il est donc nécessaire de se mettre d'accord quant aux règles de l'asile en Europe et de trouver un équilibre entre la solidarité vis-à-vis des États de première entrée et la responsabilité de ces derniers pour lutter contre les flux migratoires secondaires au sein de l'Union.

Avec le ministre de l'intérieur allemand, nous avons présenté en décembre dernier une série de propositions pour débloquer la négociation du principal texte en discussion, le règlement de Dublin. Elles tiennent compte des lignes rouges des pays, qui demandent davantage de solidarité pour mieux partager l'accueil des réfugiés ou excluent d'en accueillir. Il s'agit de reconnaître que, de façon dérogatoire, la solidarité européenne peut prendre d'autres formes que la relocalisation de réfugiés. En complément, les règles pour lutter contre les mouvements migratoires secondaires devront être renforcées. Ces propositions franco-allemandes ne pourront pas prospérer avant les prochaines élections européennes, à un moment où toutes les positions se figent, comme nous l'avons constaté lors du dernier Conseil.

À l'issue des élections, nous avons l'intention d'aller à la rencontre de nos homologues européens, dans les pays clefs, pour chercher à débloquer la négociation du règlement de Dublin, qui est absolument fondamentale. Si vous le souhaitez, mesdames et messieurs les députés, je reviendrai dans le détail sur les propositions avancées par la France. Nous devons disposer des outils nécessaires pour faire face à une nouvelle crise migratoire.

Enfin, notre action pour lutter contre l'immigration irrégulière porte aussi sur l'amont. Le ministre de l'intérieur s'est rendu au Maroc. Je me suis moi-même rendu au Mali, aux côtés du Premier ministre, il y a trois semaines. Le ministre de l'intérieur se rendra prochainement dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest pour renforcer notre coopération en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Nous appuyons le lancement de plusieurs projets de coopération prometteurs avec le Niger, partenaire privilégié, ainsi qu'avec le Sénégal, la Guinée et le Mali, notamment pour lutter contre les réseaux de passeurs, sur le terrain, comme pour renforcer les réseaux d'investigation judiciaire de ces pays. Nous mobilisons à cette fin le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique, qui est déterminant pour financer de telles initiatives. Elles complètent une autre action essentielle, notre aide publique au développement. L'intervention du Fonds fiduciaire d'urgence n'exclut pas des accords plus bilatéraux.

Un élément clef pour lutter contre l'immigration irrégulière est le renforcement des moyens de gestion des frontières des pays de la rive sud de la Méditerranée, notamment leurs garde-côtes. L'Union européenne s'est engagée sur un appui de 140 millions d'euros, par exemple, en faveur du Maroc. La Libye fait également l'objet d'un appui important, pour lequel l'Italie a été désignée comme chef de file. Madame la ministre des armées a annoncé la cession de six navires aux garde-côtes libyens, ce qui contribuera à renforcer significativement leurs moyens d'action.

Voilà le panorama très rapide que je souhaitais dresser des enjeux actuels de notre action. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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