Intervention de Christophe Bouillon

Séance en hémicycle du mercredi 3 avril 2019 à 21h30
Débat sur l'organisation de l'État et des services publics

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bouillon :

S'il est difficile de savoir avec précision ce que les historiens, sociologues ou politologues retiendront dans quelques années du mouvement dit des gilets jaunes et des contributions citoyennes rédigées à l'occasion du grand débat national, un fait est déjà certain : cette contestation est avant tout celle de la France périphérique, périurbaine et rurale, qui est la première victime des fractures territoriales et sociales grandissantes dans notre pays. Ces territoires sont marqués par le déclin économique exacerbé par la fermeture de services publics et le manque de moyens alloués aux collectivités.

La direction générale des collectivités locales, la DGCL, vient de publier son étude sur les finances des communes, laquelle confirme que l'action sociale et la culture ont été les premières victimes de la restriction budgétaire dans les petites villes, ce qui est très grave et doit nous interpeller. Alors que notre cohésion sociale et territoriale est menacée, comment peut-on accepter de sacrifier ces politiques publiques qui sont au coeur même du concept du « vivre ensemble » ?

La vérité, c'est que les élus locaux ont beau être les meilleurs gestionnaires du monde ou les meilleurs VRP de leurs territoires, ils ne sont pas des magiciens. Sans soutien de la part de l'État, sans solidarité nationale, aucun coup de baguette magique ne fonctionnera. Si nous n'agissons pas rapidement, ces territoires risquent d'être tout simplement abandonnés au profit d'une mise en concurrence des territoires toujours plus pernicieuse.

Il est maintenant prouvé que la théorie du ruissellement des richesses entre territoires ne fonctionne pas sans volonté de correction forte des inégalités. La métropolisation, mal maîtrisée, conduit à une impasse et fragilise la solidarité territoriale dont l'État est et doit rester le garant.

L'inégalité dans l'accès aux soins constitue un des éléments les plus marquants de cette fracture et de cette concurrence entre les territoires. Cette question, qui ne constituait pourtant pas initialement un axe prioritaire dans le cadre du grand débat, est revenue très fréquemment dans les discussions et les remontées du terrain ces derniers mois.

Les chiffres sont accablants : selon le géographe de la santé Emmanuel Vigneron, 3,9 millions de Français vivent dans des territoires dont la situation est alarmante quant à l'accès à des professionnels de santé. On dénombre aujourd'hui en France 6 460 généralistes de moins qu'en 2010 et le nombre de maternités a été divisé par deux.

Face à ce constat, les élus locaux se sont beaucoup et fortement mobilisés. Ils s'engagent à trouver des logements pour les médecins et des emplois pour leurs conjoints. Ils multiplient les aides financières et créent, de fait, des « zones franches » pour les professionnels de santé. Pour quels résultats ? L'État a choisi l'incitation plutôt que la régulation et les élus locaux en paient le prix. La démultiplication des aides directes ou indirectes coûte extrêmement cher au contribuable et profite souvent à des médecins déjà installés, parfois dans la commune voisine.

Nous avons été nombreux à le dire lors de l'examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé – mais puisque nous n'avons pas été entendus, je me permets de le répéter : pour nous, la seule manière d'endiguer la compétition coûteuse entre les territoires et d'assurer un accès aux soins partout et pour tous est d'instaurer une régulation des modalités d'installation des médecins libéraux.

Parallèlement à la question de la médecine libérale, celle de la fermeture des services hospitaliers continue de se poser malgré les nombreuses promesses d'y mettre fin. Le nouveau statut d'hôpital de proximité risque d'accentuer ce phénomène à travers le déclassement de centaines d'établissements qui perdraient ici les services chirurgicaux, là les maternités.

Au-delà de la désertification médicale, nombre de nos concitoyens sont aux prises avec un phénomène beaucoup plus global de désertification des services publics, lequel revêt plusieurs formes.

La fermeture de guichets physiques est une conséquence inéluctable de l'objectif poursuivi par le Gouvernement visant à une dématérialisation totale des services publics d'ici 2022. Pour nombre de nos concitoyens, le rythme de cette dématérialisation risque d'être insoutenable si l'État n'investit pas massivement dans l'accompagnement et l'inclusion numériques.

Si le Gouvernement a bel et bien formulé des propositions intéressantes dans le cadre de sa stratégie pour un numérique inclusif, les territoires attendent toujours les ressources financières et humaines permettant de réellement relever ce défi. On me répondra sûrement, de manière un peu tautologique : « l'Agence nationale de cohésion des territoires s'en occupera » ! Certes, mais à ce stade, tant que nous n'aurons aucune visibilité sur le niveau de financement alloué à l'Agence, nous ne pouvons pas être certains qu'elle pourra assurer pleinement ses multiples missions.

Nous attendons désormais, à l'issue du grand débat national, que le Gouvernement prenne des engagements forts quant à l'accès aux services publics. Nos concitoyens réclament a minima la fin des fermetures de services publics, mais surtout un ensemble de mesures ambitieuses permettant de réduire les nombreuses formes d'inégalités territoriales en matière d'accès aux soins, de mobilité, de numérique et de culture. En somme, nous devons renouer avec la promesse républicaine d'égalité des territoires et avec le principe constitutionnel d'égalité devant le service public.

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