Intervention de Isabelle de Silva

Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence :

J'en étais à la plateforme Salto. Cette plateforme pourra-t-elle concurrencer Netflix ? Il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce projet, quant à sa qualité comme à ses moyens, et ce d'autant moins que l'Autorité de la concurrence devra prochainement se prononcer pour autoriser ce projet au regard du droit des concentrations.

Nous constatons aujourd'hui la nécessité d'offrir des plateformes avec des contenus élargis. Des acteurs essaient de se rassembler pour proposer ce type de mutualisation des contenus. Rétrospectivement, il est peut-être dommage que l'Europe n'ait pas pris ce type d'initiative il y a déjà quelques années pour rassembler des acteurs de chaînes de télévision nationales, dont certains sont des poids lourds, comme la BBC. D'ailleurs, un projet d'envergure vient d'être annoncé au Royaume-Uni. Le mouvement se met en place. Les chiffres montrent que nous ne sommes pas dans le même ordre d'idées. Cependant, si nous ne nous en tenions qu'aux chiffres, au regard des moyens de Netflix, nous ne ferions plus rien.

Madame Kuster, votre question portait sur les radios. Je tiens à redire que nous avons entendu le SIRTI. J'ai sous les yeux une lettre de leur part rappelant qu'ils ont été auditionnés par les services d'instruction de l'autorité et qu'ils ont répondu à notre questionnaire. Je connais bien le secteur de la radio : il y a près de trente ans, j'étais conseillère en charge de la radio au ministère de la culture. Je connais son poids, parfois sa résistance au changement. Nous les avons entendus, cela ne veut pas dire que nous nous sommes interdit de proposer des évolutions. Nous pensons qu'il est de notre devoir, face à des évolutions économiques majeures, d'alerter les pouvoirs publics.

Il revient ensuite au Parlement et au Gouvernement de faire les choix qui s'imposent. Nous avions conscience que nos propositions allaient peut-être déranger ou déplaire. Les réactions qui se sont manifestées en témoignent mais nous assumons pleinement le constat que nous faisons. À nos yeux, il est nécessaire d'agir de façon forte, en prenant en compte, bien évidemment, l'intérêt de chacun de ces acteurs. Des solutions existent, et des études complémentaires peuvent être menées, peut-être même des expérimentations. Pourquoi est-ce qu'une région n'aurait pas le droit de faire de la publicité ciblée ? Nous pourrions ouvrir tel ou tel secteur dans une région déterminée, pour observer les conséquences sur les chiffres d'affaires. Ces questions devront faire l'objet de choix appropriés.

La question de Mme Racon-Bouzon portait sur l'édition littéraire et le cinéma. Les règles sur les secteurs interdits sont anciennes ; elles avaient pour objet de protéger les petits éditeurs littéraires et les petits producteurs français par rapport aux grands groupes américains et aux studios, qui ont des moyens considérables. Je me demande vraiment si cette logique de protection est toujours valable. Voyez l'évolution du cinéma diffusé en France et dans le monde : les blockbusters prennent une part considérable du nombre de spectateurs, et les moyens qu'ils déploient dans les affichages, dans la rue et dans les médias sur internet sont colossaux. Est-ce vraiment en faisant sauter le verrou de la publicité à la télévision que nous bouleverserons ces équilibres ? Je ne le crois pas.

Un certain nombre d'acteurs nous ont dit que cette dérégulation pourrait permettre de donner leur chance à tel ou tel film français, qui ont trouvé leur niche et qui pourraient avoir les moyens d'investir pour relancer par exemple leur carrière, après avoir obtenu un César ou un Oscar. Tout cela est aujourd'hui interdit. Cette crainte de défavoriser les petits empêche aujourd'hui les chaînes de télévision de faire de la publicité pour le cinéma et de donner une chance au cinéma de porter des projets intéressants. Voyez certaines belles réussites du cinéma français, et les carrières relancées de certains films après les César ou des Oscar. Ce choix n'est plus aussi pertinent qu'il l'a été, tout comme pour l'édition littéraire. Certes, nous ne pouvons pas nous attendre à des millions d'euros d'investissements du secteur de l'édition dans le secteur de la télévision. Mais si un grand groupe d'édition littéraire a envie de faire une grande campagne, pour tel grand succès de l'édition, à la télévision, pourquoi pas ? Est-ce cela qui va fragiliser les petites maisons littéraires, qui n'ont pas les mêmes moyens ? Personnellement, je ne le crois pas. Je dois dire, à titre personnel, que voir plus de publicité pour le cinéma et pour le livre à la télévision serait plutôt une bonne chose. Aujourd'hui, nous recevons ce type de publicités couramment sur internet. C'est un pari que nous pouvons faire et qui ne va pas fragiliser le secteur des maisons de production de cinéma ou le secteur de l'édition littéraire.

La question de Mme Descamps portait sur les chiffres que nous avons présentés dans notre avis sur l'évolution de la durée d'écoute individuelle. Le phénomène est très frappant. Parmi les auditions très intéressantes que nous avons menées, nous avons entendu une spécialiste des médias qui interroge en profondeur ces évolutions culturelles. Elle soulignait un fait très intéressant : sur certains créneaux horaires à la télévision, la moyenne d'âge est supérieure à 60 ou 65 ans ! C'est impressionnant ! Certes, la durée d'écoute se maintient en France, nous ne sommes pas encore face à un effondrement. Mais, comme le disait Mme Flüry-Hérard, connaîtrons-nous un saut brutal ? Voilà une très grande interrogation pour les chaînes, qui réfléchissent à la façon de rénover et réactualiser leur modèle. Nous sommes tous entourés de jeunes qui passent beaucoup de temps sur YouTube ou sur des contenus de ce type. Ces jeunes regarderont-ils demain la télévision, une fois habitués, sur Netflix, à regarder le contenu qu'ils souhaitent voir à l'instant T ? La télévision répondra-t-elle toujours à leurs besoins ? Voilà une vraie interrogation. Les chaînes de télévision réfléchissent elles-mêmes au changement de leur modèle. Elles pensent à se développer dans une logique de complémentarité entre les services qu'elles diffusent et des services délinéarisés, pour essayer d'atteindre ces consommateurs qui sont en train de leur échapper.

Madame Buffet, vous avez posé la question de l'équité fiscale et des moyens des acteurs publics. Voilà un réel problème, sur lequel il ne m'appartient pas de me prononcer. Quoi qu'il en soit, nous avons senti de la part de l'ensemble des acteurs, y compris des acteurs publics, une réelle volonté de se déployer et de répondre à ce défi, notamment à France Télévisions. Pour le type de produits de qualité qu'ils offrent, ils constatent que le replay est une offre extrêmement utile. Nous le constatons aussi pour des besoins pédagogiques : pouvoir accéder en replay à un excellent documentaire, à une émission de qualité dans le domaine de la formation, c'est une vraie révolution ! Je pense que nous en bénéficions tous de façon extrêmement forte.

Monsieur Testé, vous avez aussi posé une question sur l'impact d'une réforme des jours interdits de diffusion des films, cette fois sur la fréquentation des salles de cinéma. Nous sommes attachés à cette fréquentation. Nous avons réussi, en France, à maintenir un réseau de salles de cinéma et un niveau de fréquentation extrêmement élevé en Europe. Les prévisions certaines sont difficiles. Mais est-ce que le fait que, occasionnellement, une chaîne puisse diffuser un film lors de ces jours interdits suscitera un basculement, une fragilisation à cet égard ? Nous pensons que non. Quand les chaînes décident de leur programmation, elles sont soumises à des contraintes d'audience. Certains programmes attirent beaucoup de public, par exemple sur TF1 le samedi soir. Faire sauter ce verrou ne signifie pas la présence automatique, pour tous ces jours, de films sur les grandes chaînes. Que le cinéma ait une place supplémentaire aussi à la télévision nous paraît positif, alors qu'il est librement accessible dans les salles pour les films récents, et en visionnage sur Netflix et sur tous les services de vidéo à la demande par abonnement qui se développent. Nous souhaitons donner plus de liberté aux acteurs. Il nous paraît positif que le cinéma puisse avoir une place supplémentaire à la télévision. Cela provoquera peut-être une synergie positive, qui permettra de voir des films du patrimoine à la télévision et de continuer à avoir de nouveaux films en salles.

Comment est-ce que nous pourrions compenser des évolutions vis-à-vis des producteurs de films ? Madame Meunier, ce n'est pas en ce sens que nous avons mené nos réflexions. Une prise de conscience du secteur est peut-être nécessaire : le statu quo va pénaliser tout le monde. Rester droit dans ses bottes et vouloir ne rien changer fait courir le risque d'une atonie du secteur et d'une fragilisation des acteurs. Canal +, je le disais il y a peu, est fragilisé. Or, ces acteurs financent le cinéma ! S'ils sont dans une position économique de plus en plus difficile, tout le monde y perdra, y compris les producteurs de cinéma et d'audiovisuel. Il nous faut trouver des solutions un peu plus souples, sans que les uns et les autres ne soient pénalisés.

Monsieur Bois, vous souhaitiez savoir s'il y avait d'autres secteurs pour lesquels nous proposions des assouplissements. Nous avons vraiment considéré que chacune des dispositions limitatives sur les secteurs et sur les jours devaient être revues. Nous ne voyons pas de raison d'autoriser par exemple uniquement la publicité pour la grande distribution, et non celle aussi sur l'édition et le cinéma, même si les problématiques sont différentes. Nous souhaitons surtout une réflexion globale d'assouplissement, quitte à se donner une clause de rendez-vous et à prévoir un rapport d'évaluation, par exemple du Parlement, pour comprendre les effets après un ou deux ans. Revenir en arrière est toujours possible. Je pense que nous pouvons faire ce pari sans trop de risques.

Je termine en répondant à la question de Mme Duby-Muller sur la publicité ciblée. Plusieurs rapports ont été réalisés qui présentent des chiffres différents ; nous en sommes conscients. Il n'est pas si simple d'évaluer, pour un changement systémique de ce type, comment les masses vont se déplacer. Aujourd'hui la publicité qui se développe le plus n'est pas la publicité sur la PQR et la radio, mais la publicité sur internet. Aujourd'hui, nous pouvons peut-être donner aux acteurs télévisés une chance de bénéficier de cette manne publicitaire qui se porte sur internet. Internet porte la promesse du programmatique, de la publicité ciblée, de pouvoir immédiatement convertir un achat lors de la navigation, etc. La publicité télévisée en est aujourd'hui totalement coupée. Notre pari est – le Gouvernement et le Parlement, s'ils l'estiment utile et nécessaire, pourront réaliser d'autres études – de se donner finalement le courage de cette évolution, qui nous paraît aller dans le sens de l'évolution du secteur économique. Voilà ce que nous avons essayé de démontrer dans ce rapport ; finalement, c'est le consommateur qui décide de sa consommation. Il existe une certaine rationalité dans les choix économiques. Si, aujourd'hui, la publicité sur internet se développe tellement, c'est bien qu'elle répond à un besoin et à une rationalité.

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