Intervention de Christian Charrière-Bournazel

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 11h35
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Christian Charrière-Bournazel, avocat, ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris :

Madame la présidente, la question que vous soulevez est tout à fait importante. La réaction dépend des personnes auxquelles s'adressent les victimes. Ce que vous décrivez ne tient pas à de la malveillance de la part du gendarme ou du policier, je ne peux pas le croire, cela relève plutôt d'un défaut de culture dans ce domaine. En tant que législateurs, vous devez rappeler la chose suivante : quand il s'agit d'affaires qui concernent l'intérêt public et non pas des dossiers individuels, des ordres très précis doivent être donnés à tous les procureurs généraux et procureurs de la République afin qu'eux-mêmes donnent des instructions très précises aux officiers de police qui reçoivent les plaignants.

Je ne voudrais pas faire des comparaisons déplacées mais souvenez-vous à quel point il a été longtemps difficile pour les dames victimes d'atteintes sexuelles de se déplacer pour être entendues par un policier. C'est la même chose. Il ne s'agit pas de malveillance ou de méchanceté. Si les gens ne sont pas formés, ils ne peuvent pas réagir convenablement. Il faut donc former les forces de police et de gendarmerie en indiquant que ce sont des actes extrêmement graves.

Il faut aussi faire savoir au public que les personnes victimes peuvent s'adresser à des associations : la DILCRAH, association d'Etat, la LICRA, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), SOS Racisme et autres. Les associations sont nombreuses et elles oeuvrent dans un esprit totalement bénévole. J'ai plaidé des dizaines de fois pour la LICRA et de manière totalement bénévole. C'est évident. Ces associations sont prêtes à prendre la défense de ces personnes, soit en les défendant individuellement, soit en usant du droit que leur donne la loi pour agir en leur nom quand elles ont plus de cinq ans d'existence et que leur objet est précisément de se battre contre toute forme de racisme et d'antisémitisme.

Par un éditeur de mes relations amicales, je suis en train de faire rééditer un ouvrage remarquable d'André Frossard, Le Crime contre l'humanité. Publié par Robert Laffont, cet ouvrage n'avait pas été réédité. Pardonnez-moi de raconter ma vie mais c'est un ouvrage essentiel. André Frossard était venu témoigner au procès Barbie pour la mémoire du professeur André Gompel. J'étais l'avocat de Nicole Gompel, la fille du professeur, qui était partie civile. Le professeur Gompel avait été torturé par Barbie, à la fois comme juif et comme résistant. Il avait été supplicié à la baignoire, ranimé à l'eau bouillante parce qu'il était dans le coma. Il avait soixante-deux ans et il était mort entre les bras de Frossard dans « la baraque aux Juifs » de Montluc. André Frossard avait fait un témoignage admirable au procès Barbie. Il avait continué sa méditation en rédigeant ce livre, Le Crime contre l'humanité, où il pose la question de ce que l'on reprochait aux Juifs. Il écrit : « Ils sont criminels d'être nés. » Cette phrase est d'une force extraordinaire.

On ne peut pas laisser qui que ce soit dire des choses horribles de l'autre parce qu'il est différent et qu'il est criminel d'être né. Avec cet éditeur remarquable, je fais rééditer ce livre en nombre suffisant pour le distribuer dans les écoles, dans les lycées, pour que, au moins, les professeurs puissent commencer à en parler. La fraternité républicaine n'est pas seulement une expression, elle a besoin d'être soutenue par des actes, d'être alimentée par la mémoire d'un passé effrayant et l'hommage rendu à ceux qui se battent pour le meilleur. Ce sont de ces choses qu'il faut accomplir. Mais je n'ai pas de recettes pour faire en sorte que les gendarmes et les policiers accueillent bien, dès demain matin, tous ceux qui viendront se plaindre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.